Depuis le début du soulèvement populaire, le 17 octobre dernier, Ziad Itani manifeste quasiment tous les jours. « J’ai toujours voulu un pays non confessionnel. J’ai manifesté en 2011 et en 2015 pour cela et là je suis à nouveau dans la rue », affirme l’acteur et dramaturge de 44 ans, injustement accusé il y a deux ans d’intelligence avec l’ennemi, arrêté et torturé.
Aujourd’hui, presque deux ans après sa libération, il pense encore tous les jours à son arrestation, les tortures subies, ses conditions de détention. « Je n’ai qu’à fermer les yeux et tout ce que j’ai vécu défile devant moi comme un film », confie-t-il. Très actif sur Twitter, Ziad Itani souligne qu’il n’est qu’un simple citoyen qui veut garder profil bas. Cet homme discret confie qu’il a toujours aimé l’anonymat et que c’est ce qui lui manque le plus depuis qu’il est sorti de prison. « Mon métier ne m’a jamais propulsé sous les projecteurs… Aujourd’hui après mon affaire, tout le monde s’attend à ce que je donne mon avis, que je me positionne sur tel ou tel dossier, or ce n’est pas dans ma personnalité, je rêve de vivre ma vie tranquillement », explique-t-il.
Aujourd'hui, la Cour de cassation militaire devrait à nouveau statuer sur cette affaire, qui l’a plongé dans la tourmente, et dans laquelle la principale accusée est Suzanne el-Hajj, l’ancienne directrice du bureau de lutte contre la cybercriminalité au sein des Forces de sécurité intérieure, accusée de fabrication de fausses preuves contre Itani. Le tribunal militaire avait arrêté, le 29 mai dernier, les poursuites engagées contre elle, soulevant l’indignation de l’opinion.Toute cette affaire débute quand Suzanne el-Hajj perd son poste, en octobre 2017, après avoir retweeté un message ironique sur les femmes en Arabie saoudite. Si Mme Hajj avait rapidement effacé ce retweet, une capture d’écran de ce retweet avait été diffusée par un certain Ziad Itani. La fonctionnaire aurait alors monté l’affaire pour se venger, mais se serait trompée de victime en raison d’une homonymie. Le dramaturge Ziad Itani, accusé d’intelligence avec Israël, avait été emprisonné à tort quatre mois durant, avant que la vérité n’éclate et qu’il soit libéré le 13 mars 2018.
« Si j’ai passé 109 jours en prison, c’est à cause de Suzanne el-Hajj certes, mais aussi et surtout à cause de tout un système qui permet à des personnes comme elle de faire ce qu’elle a fait et d’échapper à la justice ; en fait c’est parce que tout le système est corrompu. Mon combat est dirigé contre la corruption, celle des systèmes judiciaire et sécuritaire dont j’ai été victime », affirme Ziad Itani, qui a raconté son épreuve dans une pièce de théâtre, Ma tallit Colette.
« J’éprouve une haine immense pour ce système corrompu. Dès mon arrestation, les scandales se sont succédé : la façon dont j’ai été arrêté, la torture, la détention à l’isolement, le procès, rien qu’une série de scandales ! Nous ne sommes pas de simples corrompus ! Nous sommes un modèle de créativité en matière de corruption. Nous pourrions même en exporter », martèle-t-il. « Le Liban était à la tête des pays arabes au moins dans trois domaines : son système judiciaire, son éducation et sa liberté d’expression. Malheureusement la corruption a tout aboli. »
(Lire aussi : Ziad Itani agressé lors d'un débat place Samir Kassir à Beyrouth)
« Ma vie s’est effritée comme un château de sable »
Issu d’une famille d’acteurs et de dramaturges, Ziad Itani a été torturé physiquement et psychologiquement. Les enquêteurs ont été jusqu’à menacer de s’en prendre à sa fille, qui venait d’avoir dix ans. Son accusation d’intelligence avec l’ennemi et son emprisonnement lui ont coûté son mariage et de nombreuses amitiés. Aujourd’hui encore, il essaie de les comprendre. « De nombreuses personnes m’ont déçu, mais j’ai découvert d’autres qui ont pris ma défense parfois sans me connaître, qui ont douté dès les premiers moments de la véracité d’une telle accusation », poursuit-il.
« Il ne reste plus rien de ma vie d’avant, mes amis ont changé. Les personnes en qui j’avais confiance m’ont déçu. Je me suis rendu compte que j’avais construit ma vie sur un château de sable. Toute ma vie s’est effritée. À 44 ans, il est difficile de tout recommencer. Aujourd’hui j’ai moins d’amis, je suis devenu pessimiste et je suis de plus en plus solitaire alors que j’étais un extraverti. »
Durant ses 27 jours de détention à l’isolement, c’est son père et sa fille qui l’ont aidé à tenir le coup. « Quand ils m’ont accroché à un poteau par les bras, j’ai pensé à mon enfance et à mon père, en me disant que s’il était vivant, il m’aurait défendu », confie le dramaturge. Dans ses pires moments de désespoir, c’est la pensée de sa fille Lynn qui l’a sauvé. « Je me disais : je ne veux pas lâcher, je veux me battre pour elle. Je veux que la vérité éclate au grand jour, juste pour elle, pour qu’elle sache que je ne suis pas coupable de ce dont on m’accuse », explique Ziad Itani, qui garde sur son portable des photos de ses geôliers et tortionnaires.
« Même si j’ai été blanchi, pour beaucoup je reste un agent israélien et souvent je suis encore attaqué », souligne Ziad Itani. L’acteur a été agressé le mois dernier au square Samir Kassir lors d’un débat pendant lequel il avait pris la parole.
À part le procès du tribunal militaire où l’État est partie plaignante, Ziad Itani a intenté un procès contre Suzanne el-Hajj, il y a treize mois. En vain. « Je n’ai plus peur de rien. Je veux que justice soit faite, pour que d’autres officiers sachent qu’ils auront un prix à payer s’ils agissent comme elle ; pour que ce qui m’a été fait ne se répète pas avec d’autres personnes. Je veux aussi que Suzanne el-Hajj reconnaisse son erreur et qu’elle me présente des excuses », souligne-t-il en conclusion.
Pour mémoire
Ziad Itani auditionné après une plainte contre Suzanne el-Hajj et Elie Ghabbache
Affaire Itani : Suzanne el-Hajj à nouveau devant le tribunal militaire
Ziad Itani entendu dans le cadre de sa plainte contre Suzanne el-Hajj et Élie Ghabach
commentaires (6)
L'éternelle question : qui gardera les gardes ?
Desperados
21 h 40, le 18 décembre 2019