Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Krikor SAHAKIAN

Vous avez dit révolution ?

Bien sûr que c’est une révolution, pire un tsunami. Ce n’est pas parce qu’elle n’est pas sanglante qu’elle n’est pas violente. Elle a la violence de la cascade d’eau qui emporte tout sur son passage quand le barrage est rompu, la violence de toutes les résiliences et de tous les non-dits cumulés qui explosent d’un coup.

Oui, le système est en train de s’écrouler. Il s’écroule parce que l’édifice était non seulement bancal et fragile, mais il était surtout rongé jusqu’à l’os par la corruption. De toute façon, il n’y avait rien de bon à en tirer.

Certains voient et craignent dans ce mouvement une révolution politique qui remettrait en cause leurs acquis ou leur positionnement local ou international. Ce n’est pas le cas, mais c’est peut-être pire, car en fait cette révolution-là est sociale. Elle remet en question et en profondeur les structures jadis consensuelles sur lesquelles était bâti le pays.

C’est la révolution des jeunes qui rejettent, à travers l’autorité de leurs aînés, les structures claniques et confessionnelles qui ont mené à la faillite morale, financière et politique que l’on sait. Les chamailleries du passé ne les concernent pas, ni les faits d’armes glorieux ou moins glorieux. Ils réclament un accès à la citoyenneté sans structures anachroniques intermédiaires dans un État responsable et efficient, en phase avec l’ère de la globalisation, où les frontières s’estompent et les identités se fondent dans un melting-pot universel.

C’est la révolte des bonnes gens qui en ont eu marre qu’on leur tonde la laine sur le dos, marre d’avoir eu à accepter l’inacceptable, de proche en proche un peu plus chaque jour, et qui voient avec horreur ce à quoi ils ont souscrit à leur corps défendant, au point qu’ils ont honte de se regarder dans le miroir.

C’est la révolution des femmes contre un système patriarcal qui escamote leurs droits, leurs prérogatives, leur légitimité et surtout leur dignité, tant dans leur statut civil et personnel (soumission à l’homme, non-transmission de la nationalité…) que dans leurs chances d’accès au monde politique ou professionnel. Elles ont renversé la vapeur en se mettant sur le devant de la scène, et en plus elles imposent au mouvement leur tempo particulier en remettant en question la pertinence du mode de gestion masculin des affaires publiques et privées et des états de crise. C’est la révolution des pauvres qui n’en peuvent plus de devoir mendier le droit à l’éducation, à la santé et au travail, alors que la classe dirigeante (1% du pays) détient 50 % des richesses et vit dans une opulence ostentatoire, pendant que l’argent public est dilapidé par dizaines de milliards.

C’est la révolution des artistes, des intellectuels, des hommes et femmes de lettres et de culture contre une société qu’on a analphabétisée et abêtie, dans laquelle on ne cultive plus le sens du beau, où la pensée ne nourrit plus l’esprit et dont la culture politique se limite à ânonner l’ordre du jour de partis grégaires et identitaires.

L’appel à l’avènement d’un État laïc juste et égalitaire est aussi une révolte contre les autorités religieuses qui cautionnent le verrouillage d’un système confessionnel anachronique, pour garder la main haute sur l’état civil du citoyen, de sa naissance jusqu’à sa mort. Longtemps associées au pouvoir, ces autorités seraient bien inspirées de tirer les leçons de la révolution plutôt que de se figer dans une posture de déni. C’est aussi et surtout une révolution sur le plan éthique avec une tolérance zéro face à la corruption, qu’elle soit dans le privé, le public ou même dans les institutions religieuses. C’est un rejet de toutes les compromissions, eussent-elles été justifiées un jour, qui ont fait fonctionner le pays en mode de survie depuis les années de guerre.

Cette révolution sociale et sociétale aura forcément des implications sur le plan politique : elle dessinera le nouveau visage du Liban, un visage plus congruent avec le message de ce pays, et dans lequel tous pourront se retrouver. Cela peut faire peur à certains, installés jadis dans leur zone de confort, mais il se trouve que la zone de confort était factice, et plus jamais les choses ne seront comme avant. C’est bien d’une révolution qu’ils s’agit ! Les lendemains de révolution sont toujours difficiles, et quand on remet tout à plat, il faut savoir repartir à zéro. Il y a chez les hommes et les femmes de ce pays et de la diaspora plus de potentiel, d’énergie, de créativité, de ressources et d’argent qu’il n’en faut pour assurer la prospérité de dix Liban. Il faudra juste les laisser faire.

Pr ass. USJ

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Bien sûr que c’est une révolution, pire un tsunami. Ce n’est pas parce qu’elle n’est pas sanglante qu’elle n’est pas violente. Elle a la violence de la cascade d’eau qui emporte tout sur son passage quand le barrage est rompu, la violence de toutes les résiliences et de tous les non-dits cumulés qui explosent d’un coup. Oui, le système est en train de s’écrouler. Il...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut