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Fumant !

À manœuvrier, manœuvrier et demi.


Jeudi, le ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil croyait frapper un grand coup en menaçant de passer à l’opposition, avec l’ensemble de son bloc parlementaire, si ses vues quant à la nature du prochain gouvernement n’étaient pas retenues. Sans crainte du ridicule, il évoquait ainsi une situation des plus absurdes où l’on verrait en effet le Courant patriotique libre déclarer la guerre à l’organe exécutif, alors même que son propre fondateur, le général Michel Aoun, est président de la République. Dans la foulée, et avec un incroyable aplomb, le ministre appelait de ses vœux l’avènement d’un gouvernement productif qui, entre autres bienfaits, offrirait enfin aux Libanais la grâce d’un courant électrique à gogo : dossier longtemps confié à sa gestion pourtant, et qui n’a été traité, comme on sait, qu’à l’aide de ruineux expédients…


Cette très singulière démarche ne visait pas cependant que le Premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, qui n’accepte de reprendre le collier qu’entouré de technocrates échappant à toute affiliation politique ; c’est à ses alliés du Hezbollah, favorables à un maintien de Hariri au Sérail, qu’étaient adressés aussi les nuages de fumée lâchés par Bassil. Ce dernier en aura été pour ses frais. Hier même, il se voyait indirectement rappeler par Hassan Nasrallah l’obligation faite à toutes les composantes du pouvoir d’assumer, en temps de crise grave, leurs responsabilités passées et présentes, plutôt que de déserter le navire en perdition. Dans le même ordre d’idée, le chef de la milice pro-iranienne a écarté toute idée de gouvernement monochrome; par contre, et à quelques heures des consultations parlementaires programmées pour lundi, il ne s’est pas privé d’abriter à son tour, derrière un écran de fumée, ses intentions réelles.


Mais toutes ces pitoyables gesticulations politiciennes, déployées alors que la maison brûle, ont-elles encore la moindre chance de faire illusion, au double plan domestique et extérieur ? Éloquent est le verdict prononcé par le Groupe international de soutien au Liban, réuni mercredi à Paris : pas de chèque en blanc à notre pays, toute aide étant conditionnée par l’avènement d’une autorité efficace et crédible. Dans cette lapidaire formule se trouvent conjointement et solidairement pointées du doigt la médiocrité et la vénalité de toute une lignée de gouvernements passés. Sont même dénoncées en toutes lettres la corruption et les évasions fiscales, dans l’appel du GIS à l’élaboration rapide d’une politique financière durable.


Corruption : le voilà bien, dans sa hideuse splendeur, le fond du problème, sous ses habillages d’émulations entre communautés pour la sauvegarde de leurs droits. Corruption qui, dès lors qu’elle est partagée, fait des protagonistes des complices dans une même entreprise de pillage des ressources nationales. Or c’est à la révolution en cours depuis le 17 octobre que l’on doit cette vaste, cette planétaire prise de conscience du mal qui, de manière plus dévorante que tous les autres, mine la vie publique au Liban. C’est bien la révolution, en effet, qui a ouvert en grand les portes et fenêtres de la demeure libanaise, permettant à la puanteur ambiante de s’échapper au dehors, d’aller gratouiller même les plus tolérantes et accommodantes des narines étrangères. Contrairement à un pouvoir libanais muré dans son déni, le GIS a pris bonne note des clameurs de la rue ; dès lors, on ne saluera jamais assez le rôle central joué à ce propos par la France.


Car celle-ci n’est pas seulement l’initiatrice de CEDRE et l’inlassable pays hôte du Groupe de soutien. C’est elle qui, à tous les moments difficiles, n’a cessé de rameuter prêteurs et donateurs potentiels, de les mobiliser et les motiver, d’aiguillonner les hésitants, de houspiller même récalcitrants et sceptiques. Ce qui est nouveau et exaltant cependant, c’est que la France, et de la plus explicite des manières, n’a plus pour seul objet de ses préoccupations un État libanais ancré dans ses vieilles et mauvaises habitudes : c’est la clameur de tout un peuple en colère qu’elle prend à témoin pour pousser à la roue des réformes. Invisible et néanmoins bien présente était la révolution aux délibérations de Paris.


Près d’un siècle après la proclamation de l’État du Grand Liban, les enjeux ne sont certes plus les mêmes au Levant ; ce qui perdure en revanche, c’est le message de démocratie, de justice sociale et de respect des droits de l’homme dont ce pays demeure inébranlablement porteur. D’autant plus appréciable est ce souci libanais que l’Hexagone connaît lui-même, en ce moment, de graves troubles sociaux.


Moins d’années de travail et assurance-vieillesse étendue ? S’agissant du Liban, Marianne n’est heureusement pas pressée de prendre sa retraite…


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

À manœuvrier, manœuvrier et demi. Jeudi, le ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil croyait frapper un grand coup en menaçant de passer à l’opposition, avec l’ensemble de son bloc parlementaire, si ses vues quant à la nature du prochain gouvernement n’étaient pas retenues. Sans crainte du ridicule, il évoquait ainsi une situation des plus absurdes où l’on verrait...