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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Au Yémen, l’accord de paix peine à prendre forme sur le terrain

La ville de Hodeida n’a toujours pas été démilitarisée.


La ville de Taëz, dans les hauts plateaux de l’Ouest du Yémen, le 6 décembre 2019. Ahmad al-Basha/AFP

Se dirige-t-on vers la fin de la guerre au Yémen ? Un vent d’optimisme souffle actuellement dans la région en vue d’un début du processus de paix. Supervision de la signature de l’accord de Riyad entre le gouvernement yéménite et le Conseil de transition du Sud, pourparlers par le biais de Oman, contacts directs avec les rebelles houthis... L’Arabie saoudite affiche une volonté claire de sortir du conflit. Mais malgré les espoirs, la prudence est de mise. Et pour cause : un an plus tôt, le Yémen avait les mêmes attentes suite à la signature de l’accord de Stockholm entre le gouvernement yéménite et les houthis sous l’égide de l’ONU. Créant la surprise générale, cette première étape devait permettre de tracer la voie en direction d’une paix durable, avec pour objectif d’approfondir par la suite les termes et conditions de la fin de la guerre.

Rédigé en termes suffisamment vagues pour laisser une certaine marge de manœuvre lors de futures négociations entre les parties, le texte prévoyait un accord de cessez-le-feu à Hodeida et le retrait des troupes loyalistes et rebelles de la ville et de ses trois ports : Hodeida, al-Salif et Ras Issa. L’accord prévoit également la création d’un mécanisme exécutif sur l’activation d’échange de prisonnier et une entente autour de la ville de Taëz, située dans les hauts plateaux à l’Ouest, devant permettre l’établissement d’un couloir humanitaire.

Force est de constater aujourd’hui que l’accord a été tributaire des retards dans sa mise en œuvre et des blocages internes. « Le résultat de l’accord de Stockholm semble être surtout dans l’impasse », observe Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy, interrogée par L’Orient-Le Jour. « Ce sont toujours des parties en guerre et chacune reproche à l’autre le fait que l’accord ne soit pas mis en œuvre », indique pour sa part à L’OLJ Jane Kinninmont, analyste sur le Moyen-Orient.


(Lire aussi : Au Yémen, l’embryon de paix se dessine)

Redéploiement stratégique

Selon l’ONU, le cessez-le feu à Hodeida tient, mais des efforts doivent être déployés par les protagonistes pour permettre une application complète de l’accord. Le port de cette ville représente un point-clé stratégique par lequel transitent 70 % des importations pour l’aide humanitaire, bénéficiant de son accès direct à la mer Rouge. « Si les frappes aériennes ont certes diminué, la crise médicale et humanitaire se poursuit. L’accord de Stockholm n’a pas réussi à arrêter les combats, et les civils à travers le Yémen continuent de faire face à la violence de la guerre quotidiennement », explique Frédéric Pelat, chef de mission au Yémen à Médecins sans frontières, contacté par L’OLJ. « Alors qu’il y a douze mois, la plupart des victimes civiles étaient des victimes de frappes aériennes, elles sont aujourd’hui plus susceptibles de souffrir de blessures par balles au cours de combats au sol et de blessures par l’explosion de mines ou d’engins piégés », ajoute-t-il.

L’entente sur le départ des forces en présence à Hodeida a seulement été partiellement appliquée, les houthis ayant entamé un retrait unilatéral seulement à partir du mois de mai. Dans le même temps, des affrontements entre les rebelles et les forces loyalistes avaient fait craindre de voir l’accord de Stockholm mis en péril. Deux mois plus tard, les forces émiraties – qui font partie de la coalition qui soutient le gouvernement yéménite – annonçaient leur départ de la ville portuaire pour un « redéploiement stratégique », passant ainsi le relais aux forces yéménites et à des mercenaires étrangers. Selon Jane Kinninmont, le fait que la démilitarisation de Hodeida n’ait pas été encore appliquée a empêché d’établir des liens de confiance entre les parties pour entamer de nouvelles négociations sur des thématiques politiques plus larges, d’autant plus que certaines sont déjà en cours.

Miné par les dissensions locales, le terrain yéménite est également marqué par l’empreinte des puissances régionales : Riyad est enlisé au Yémen, menant une coalition avec Abou Dhabi depuis 2015 pour appuyer le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi face aux rebelles houthis, soutenus par l’Iran. Des influences et des agendas politiques qui se superposent aux dynamiques internes du conflit et qui, en conséquence, compliquent davantage le dialogue entre les parties yéménites. Le royaume saoudien a ouvert des canaux de discussions parallèles à l’accord de Stockholm avec les rebelles. « Pour obtenir une véritable désescalade ou un cessez-le-feu dans cette guerre, les Saoudiens doivent être directement impliqués en tant que partie aux négociations », estime Elana DeLozier. « Une fois la désescalade ou le cessez-le-feu en place, cela jette les bases pour que l’ONU entame à nouveau les pourparlers Hadi-Houthi, qui se concentreront principalement sur un plan de transition politique et un plan de désarmement », poursuit-elle.


(Lire aussi : 128 rebelles houthis détenus par l’Arabie saoudite rapatriés par le CICR)


Méthode progressive

Les pressions internationales pour calmer le jeu se sont toutefois intensifiées à la mi-septembre après les attaques contre des installations pétrolières de la compagnie saoudienne Aramco, poussant les parties au Yémen à adopter une posture plus conciliante. Fin septembre, les rebelles annonçaient leur décision unilatérale de relâcher 290 prisonniers avant de voir l’Arabie saoudite leur emboîter le pas deux mois plus tard avec la libération de 128 détenus houthis. Des initiatives importantes, mais effectuées au compte-gouttes : l’accord de Stockholm prévoit la libération d’une liste de 15 000 prisonniers, soit bien loin des quelques centaines de détenus libérés jusqu’à maintenant. « Les parties ont opté pour cette méthode progressive, chacune pensant qu’elle peut être utilisée pour inciter l’autre à faire un geste », note Jane Kinninmont.

L’ouverture d’un corridor humanitaire à Taëz ne s’est également toujours pas concrétisée. « Depuis que l’accord a été signé, nous n’avons pas vu de changements substantiels sur le terrain », note Frédéric Pelat. « La ville est toujours considérée comme enclavée et la population subit des niveaux de violence élevés. L’accès pour les patients et les organisations humanitaires reste un défi. Même si les patients arrivent à l’hôpital, ils ne sont pas toujours en sécurité », rapporte-t-il. De manière générale, les conditions de vie au Yémen se sont aggravées au cours de ces douze derniers mois alors que le pays fait face à la « pire crise humanitaire », selon l’ONU. Le Comité international de la Croix-Rouge a rapporté en novembre dernier que le Yémen était désormais touché par une épidémie de dengue, s’ajoutant aux cas de choléra et de paludisme.

Se dirige-t-on vers la fin de la guerre au Yémen ? Un vent d’optimisme souffle actuellement dans la région en vue d’un début du processus de paix. Supervision de la signature de l’accord de Riyad entre le gouvernement yéménite et le Conseil de transition du Sud, pourparlers par le biais de Oman, contacts directs avec les rebelles houthis... L’Arabie saoudite affiche une volonté...

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