Le processus de paix au Yémen est-il en train de s’accélérer ? Le ballet diplomatique s’est intensifié au cours de ces dernières semaines dans le Golfe tandis que l’Arabie saoudite a libéré 128 houthis qui ont été rapatriés jeudi à Sanaa par le Comité international de la Croix-Rouge. Un geste perçu comme un pas supplémentaire vers la paix. La veille, le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane (MBS), s’est rendu aux Émirats arabes unis pour rencontrer le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed, puis l’émir de Dubaï, Mohammad ben Rachid al-Maktoum. Les EAU ont annoncé un retrait partiel de leurs troupes dans le sud du Yémen durant l’été avant de remettre la ville de Aden aux forces saoudiennes à la fin du mois d’octobre. Des milices soutenues par Abou Dhabi restent toutefois présentes sur le terrain. L’Arabie saoudite et les Émirats mènent une coalition depuis mars 2015 pour appuyer le gouvernement du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi face aux rebelles, soutenus par l’Iran.
Alors que l’Arabie est embourbée dans le conflit, les officiels saoudiens semblent multiplier les discussions en coulisses. Le ministre adjoint à la Défense, le prince Khaled ben Salmane, s’est rendu à Mascate à la mi-novembre pour aborder différents dossiers régionaux avec le sultan Qabous. Le frère de MBS, ancien ambassadeur de l’Arabie saoudite aux États-Unis, jouerait un rôle-clé dans les négociations. Rappelé au royaume en urgence suite à l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays en octobre 2018 avant d’être nommé au poste de ministre adjoint en février 2019, le jeune prince, âgé de 31 ans, aurait été mandaté par son frère afin de trouver une résolution au conflit. Le déplacement du prince Khaled à Oman reflète « un engagement en faveur d’une paix globale et définitive... et la prise de conscience qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit », a indiqué l’ancien ministre yéménite des Affaires étrangères, Abou Bakr al-Kirbi, cité par le magazine américain Foreign Policy.
Le canal de négociations a été ouvert à Oman en septembre pour permettre aux parties de communiquer par vidéoconférence ainsi que par le biais d’intermédiaires européens, ont rapporté des officiels houthis à l’Associated Press. « Il n’y a aucune confiance entre les parties, mais Oman est en capacité d’être un médiateur et d’essayer d’établir la confiance entre elles », souligne à L’Orient-Le Jour Elisabeth Kendall, chercheuse en études arabes et islamiques au Pembroke College de l’université d’Oxford. « Il y a actuellement une fenêtre d’opportunité pour mener des négociations de paix », observe-t-elle. « Toutes les parties cherchent un accord de partage du pouvoir, ce que les houthis souhaitaient dès le début de la guerre, à savoir (disposer) du pouvoir et des ressources », explique-t-elle.
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Plusieurs canaux
À la fin du mois de septembre, les houthis ont annoncé envisager d’arrêter toutes les attaques contre l’Arabie saoudite avant de relâcher 290 prisonniers, conformément à l’accord de Stockholm signé en décembre 2018 prévoyant la libération de 15 000 détenus. Quelques semaines plus tôt, les rebelles avaient revendiqué deux attaques contre des installations pétrolières de la compagnie nationale saoudienne Aramco, infligeant un coup sévère à la première source de revenu du royaume. Riyad, qui attribue l’opération à Téhéran, s’est distingué par son absence de réaction. Ne disposant pas d’un soutien solide de la part de Washington sur ce dossier, le comportement de Riyad semble s’inscrire dans une volonté de ne pas alimenter plus encore les tensions de ces derniers mois avec l’Iran. « Les Saoudiens parlent aux houthis, contrairement au gouvernement yéménite, ce qui laisse penser que les discussions se déroulent à un niveau plus élevé que pour l’accord de Stockholm », où seules des délégations yéménites étaient présentes, indique Elisabeth Kendall.
La tendance diplomatique semble s’appliquer à d’autres dossiers dans la péninsule Arabique alors que la cadence s’accélère pour mettre un terme au blocus mené par Riyad et ses alliés à l’encontre du Qatar, accusé de financer le « terrorisme » et d’entretenir des liens trop étroits avec Téhéran. « Les attaques contre le trafic maritime et les installations pétrolières en Arabie saoudite et aux EAU, ainsi que la réaction discrète de l’administration américaine de Donald Trump, semblent avoir conduit les Saoudiens et les Émiratis à désamorcer les tensions dans la région et à adopter une approche moins conflictuelle dans l’élaboration de leurs politiques », estime Kristian Ulrichsen, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Institut Baker pour les politiques publiques à l’Université Rice, contacté par L’OLJ. « Les incertitudes concernant les positions politiques des États-Unis ont amené les acteurs régionaux à revoir leurs calculs », ajoute-t-il.
Meilleur deal
Le royaume wahhabite a par ailleurs encouragé la conclusion de l’accord de Riyad, signé le 5 octobre dernier, entre le gouvernement yéménite et le Conseil de transition du Sud dans le but de mettre un terme aux dissensions sur Aden et de faire front uni dans des négociations avec les houthis, présents dans le Nord depuis la prise de la capitale Sanaa en septembre 2014. Le 5 décembre doit marquer le premier test pour l’accord de Riyad alors que le délai de 30 jours pour former un nouveau cabinet de 24 ministres, incluant des personnalités du Sud, arrive à expiration. De nouveaux gouverneurs pour les provinces de Aden, d’Ad Dali’ et d’Abyan doivent également être nommés et les forces yéménites et du CTS doivent être redéployées autour de Aden sous la direction de Riyad.
Suffisant pour construire un rapport de confiance entre les parties ? « Il y a des signes positifs mais tout reste extrêmement fragile », rappelle Elisabeth Kendall. Si les violences ont baissé en intensité ces dernières semaines, elles ont toutefois repris ces derniers jours dans la province de Saada tandis que les houthis ont annoncé hier avoir abattu un hélicoptère Apache saoudien et tué les deux pilotes. Les violences récentes « semblent suggérer que l’accord de Riyad n’est peut-être pas un chemin direct vers la paix, mais plutôt vers une guerre plus agressive avant de considérer une paix plus large », estime la chercheuse. Selon elle, « la coalition suit deux voies : les discussions à Oman, d’une part, l’intensification des bombardements, d’autre part, pour augmenter la pression afin d’obtenir un meilleur deal ».
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