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Culture - Exposition

La « thaoura », briseuse de frontières même dans l’art...

L’art révolutionnaire s’est emparé des cimaises de la galerie Janine Rubeiz... jusqu’à nouvel ordre.

« Independence in Revolution Times », une aquarelle signée Thierry Chéhab.

Quelque chose de vibrant se dégage de l’espace lumineux de la galerie Janine Rubeiz à Raouché. Une note dynamique, solidaire et chaleureuse qui se manifeste jusque dans la scénographie des œuvres présentées. Au total, 65 pièces de 44 artistes libanais, peintres, sculpteurs, plasticiens et photographes dont le dénominateur commun est un même et unique thème : celui de la « thaoura ».

Dire que l’art de la révolution est « exposé » à la galerie de Raouché serait inapproprié. Il a plutôt investi les lieux, s’en est emparé avec vitalité et expressivité. Mais surtout, avec le consentement plus que réjoui de Nadine Begdache, la propriétaire des lieux, qui dès les premières semaines de la révolution annonçait la couleur en affichant son soutien absolu au soulèvement populaire enclenché le 17 octobre 2019. Un soutien qui, après s’être traduit par la suspension des expositions prévues initialement, s’est rapidement converti en une action concrète. À savoir la mise de son espace et de ses murs à disposition des artistes qui ont fait des œuvres inspirées de cet élan révolutionnaire.

Une toile en 72 heures
Et ils sont nombreux ! À commencer par Ghassan Ouais qui, suite au discours du Premier ministre sortant Saad Hariri réclamant 72 heures pour présenter son programme de réformes, s’est donné… 72 heures pour réaliser un tableau reflétant sa vision de la liberté. Une silhouette de femme enceinte à l’encre et l’acrylique sur papier coton, double allégorie de la liberté et du rôle de la femme dans cette révolte censée accoucher d’un Liban meilleur.

Ou encore Jamil Molaeb, artiste phare de la galerie, qui a été l’un des premiers à immortaliser, avec la touche fourmillante de vie qui le caractérise, les masses révolutionnaires dans les différentes places du pays.

D’ailleurs, tout un mur est consacré à ses huiles sur toile qui de Tripoli à Tyr, en passant par Saïda et évidemment Beyrouth, documentent dans un style certes pittoresque mais collant au plus près à la réalité des moments forts de ce mouvement national exceptionnel. « Une dernière place manque à cette série, celle de Baalbeck que je suis en train de peindre », confie le fameux peintre au béret.

Drapeau-poings et jeux de jambes
Dans un style moins narratif, une autre « artiste maison », Leila Jaber Jureidini, a elle aussi immortalisé « ce vent de changement positif », en revisitant le drapeau national et le monument aux Martyrs libanais au moyen de codes graphiques contemporains imprégnés des symboles de la « thaoura ». Comme ce désormais emblématique poing révolutionnaire (conçu par Tarek Chéhab) dont elle a fait le nouveau motif du drapeau national dans une acrylique sur toile intitulée We the (Lebanese) People.

Fidèle à son univers faussement naïf et enfantin, Alain Vassoyan a quant à lui spontanément croqué, en techniques mixtes sur papier, sa vision caricaturale des politiciens aux longs nez ou aux silhouettes sans tête et l’arme à la main pointée sur ceux qui les affrontent. Quant aux manifestants, il en a fait des anges révolutionnaires à travers de petites effigies ailées en résine colorée et patinée. Sans oublier de rendre un drôle d’hommage au « female power » (la puissance féminine de cette révolte) au moyen d’une série de petites sculptures de jambes en escarpins rouges tendues vers le ciel !

S’agissant de puissance féminine, on ne peut pas rater dans cet accrochage les dessins à l’encre sur papier de Laure Ghorayeb. La fameuse « téta de la révolution », qui poursuit à 88 ans son œuvre artistique chargée d’affect et de mémoire.

Un œuf et des masques...
Plusieurs symboles de la révolution d’octobre sont évidemment largement déclinés dans cette exposition. Ainsi le drapeau libanais habille aussi bien la robe de bal grandeur nature en fil barbelé signée Liane Rabbath que le visage d’un manifestant portraituré par Frédéric Husseini. Omniprésent dans plusieurs toiles, autant les grandes techniques mixtes d’Élie Bourgeily que les délicates aquarelles de Thierry Chéhab, il se transforme même en pot en grès rouge portant une pousse de cèdre conçu par la céramiste Samar Mogharbel.

Mais on y retrouve aussi des représentations d’autres éléments désormais incontestablement liés à ce moment historique. À l’instar du masque et des bougies devenus les accessoires de ces révolutionnaires jeunes et pacifiques, comme en témoigne une belle composition photographique de Lama Chidiac, intitulée This Revolution is Ours. Ou encore le fameux Egg, ce bâtiment ovoïde du centre-ville de Beyrouth, relique du temps de l’avant-guerre, pris d’assaut par les manifestants et apparaissant dans de nombreux photos (Zeina Badran) et dessins (Marylin Mokbel) présentés dans cette sélection.

Ensuite, viennent des œuvres plus abstraites et à la narration plus complexe. Celle de Hannibal Srouji, par exemple, toute en éclats noirs sur papier calque longitudinal ; de Mansour el-Habre, canevas de couleur évoquant un mur aux superpositions de couleurs écaillées, ou encore le « casque » en porcelaine délibérément fracturée exécuté par Tania Nasr.

« La Bicyclette de la révolution »
Et puis, un peu à part, il y a la très singulière Bicyclette de la révolution. Une acrylique sur toile libre de Sélim Moawad qui accueille les visiteurs à l’entrée de la galerie. Ce très actif artiste et activiste s’était fait voler son vélo par l’un des contre-révolutionnaires alors qu’il dessinait sur un mur dans l’une des places des contestations à Beyrouth. Il a décidé d’en faire l’allégorie de ses revendications anticorruption, en le représentant au centre d’un canevas immaculé cerné de boucs et ponctué de slogans révolutionnaires. Une œuvre qu’il voudrait interactive et qu’il a accompagnée de plusieurs bombes à graffiti destinées aux visiteurs afin qu’ils la complètent à leur gré, comme ils signeraient une pétition en couleurs.

Bref, entre artistes confirmés et expression artistique spontanée née de la fièvre du moment (comme ce drapeau libanais au cèdre remplacé par le mot « thaoura » en arabe dessiné par une jeune pousse de 12-13 ans), cette exposition est à l’image de la révolte populaire qu’elle décrit : rassembleuse et briseuse de barrières. Et comme la « thaoura », elle est vouée à évoluer au gré des événements et à s’enrichir régulièrement de nouvelles œuvres. À découvrir, assurément !

Galerie Janine Rubeiz, Raouché, immeuble Majdalani.

Quelque chose de vibrant se dégage de l’espace lumineux de la galerie Janine Rubeiz à Raouché. Une note dynamique, solidaire et chaleureuse qui se manifeste jusque dans la scénographie des œuvres présentées. Au total, 65 pièces de 44 artistes libanais, peintres, sculpteurs, plasticiens et photographes dont le dénominateur commun est un même et unique thème : celui de la...

commentaires (3)

@ Zena Zalzal, J'AURAIS AIMÉ VOIR ET APPRÉCIER LES PHOTOS DE CES OEUVRES AVEC LES NOM DES ARTISTES AFFICHÉS. COMME ÇA ON N'AURA PAS BESOIN DE LIRE TOUT CE LONG ARTICLE.

Gebran Eid

13 h 01, le 09 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • @ Zena Zalzal, J'AURAIS AIMÉ VOIR ET APPRÉCIER LES PHOTOS DE CES OEUVRES AVEC LES NOM DES ARTISTES AFFICHÉS. COMME ÇA ON N'AURA PAS BESOIN DE LIRE TOUT CE LONG ARTICLE.

    Gebran Eid

    13 h 01, le 09 décembre 2019

  • Très bel article qui résume à travers cette exposition l'essence même de l'esprit de la Thawra. Bravo Nadine Begdache !

    KHOUZAMI Joumana

    11 h 00, le 09 décembre 2019

  • LA THAWRA EST A LA MODE EN CES JOURS POLITIQUEMENT TOUT COMME ARTISTIQUEMENT. LE MONDE CHANGE ET TOUT CHANGE AVEC.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 44, le 09 décembre 2019

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