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Lifestyle - Un peu plus

Frères et sœurs d’armes

Patrick Baz / AFP

Il n’y a rien à dire, la révolution a créé des liens. De liens plus forts entre ceux et celles qui se connaissent déjà. De nouveaux liens entre ceux et celles qui se sont rencontré(e)s au gré de leurs pérégrinations révolutionnaires. Et ces liens, aussi simples soient-ils, sont et resteront indéfectibles. Parce que nous avons marché ensemble, chanté ensemble, eu la trouille ensemble. Parce que nos désirs sont les mêmes. Nos demandes sont les mêmes. Parce que le Liban nous a uni(e)s comme jamais auparavant. Et parce que nous n’avons plus rien à perdre. Nous sommes embarqué(e)s dans la même galère. Celle de la peur du lendemain, des questions à propos de notre avenir. Cette galère, quels que soient nos moyens financiers, notre statut social, nos appartenances politiques et nos croyances religieuses, elle est là.

Il y a ceux et celles qui ont perdu leur emploi. Ceux et celles qui ont été obligé(e)s de diminuer les salaires ; ceux et celles qui ont été contraint(e)s de licencier leurs employés, parfois après de nombreuses années au sein de l’entreprise. Il y a ceux et celles qui ont fermé boutique, décidé de tenter leur chance à l’étranger. Ceux et celles qui en bavent, qui ont faim. Tout ce monde, ces jeunes, ces vieux, ces mères, ces fils, sont unis quoi qu’il adviendra.

Cette énergie qui se dégage de ces rendez-vous sur le Ring, à Nabatiyé, à Tyr, à Tripoli, à Baalbeck, sur la place des Martyrs, à Jal el-Dib, Zouk, et partout où le vent nous mène pour demander la chute du régime, est incroyable. Et lorsque le pacifisme laisse la place à la douleur et à l’agressivité, il y a ceux et celles qui calment, rassurent, protègent. Elles surtout. « Ces femmes qui portent dans leurs mains le salut du Liban. » Ces femmes qui allument des bougies, marchent côte à côte main dans la main. Ces femmes qui enlacent, retiennent ces hommes, agrippées à leurs corps pour empêcher les forces de l’ordre de les emmener. Ces femmes qui se mettent sur la ligne de front, face à l’armée, pour défendre les gars derrière elles. Ces femmes qui apaisent ceux et celles qui angoissent parce que encerclé(e)s par amen el-dawlé. Ces femmes qui se sourient, se portent à bout de bras. Ces femmes qui, même si elles ne se voient pas tous les jours, sont devenues proches. Si proches. Elles descendent ensemble. Embarquent avec elles d’autres sœurs d’armes. Embarquent leurs frères, leurs pères, leurs fils. Quand ce n’est pas l’inverse. Ces femmes-là en ont ras le bol. Elles font le lien entre Aïn el-Remmaneh et Chiyah. Elles se retrouvent aujourd’hui pour faire entendre leur cri contre les agressions sexuelles. Parce que c’est également de ça dont il s’agit. Leur(s) cause(s). Leurs droits, les inégalités, le fait qu’elles sont encore et toujours considérées comme des citoyennes de second rang. Elles en ont marre, ces femmes-là. Marre de cette société patriarcale qui a noyé le Liban. Marre de ces hommes qui ont tout détruit sur leur passage. Ces hommes et cette femme, épouse d’un politicien, qui a pris la poudre d’escampette au lendemain du 17 octobre. Cette femme qui a volé, pillé, menacé. Cette femme qui ne ressemble en rien aux autres femmes.

Alors ces (autres) femmes se révoltent, se soutiennent, font à manger, organisent des rassemblements, envoient de la nourriture et des vêtements chauds à ceux et celles dans le besoin. Elles s’affichent sur les réseaux sociaux, couvrent les incidents à 2 heures du matin en live sur Instagram, protègent leurs yeux du gaz lacrymogène, inventent des slogans, hurlent dans les mégaphones. Puis elles rentrent chez elles, font étudier leurs gamins, s’occupent de leurs grands-mères, cuisinent pour la fratrie.

Et le lendemain, elles reviendront. Retrouveront ces gens qu’elles croisent inlassablement. Ces hommes et ces femmes qui se démènent pour que la justice prévale. Pour que le Liban sclérosé se libère de ce carcan immonde dans lequel nous ont plongés nos politiciens. Ils se révoltent contre l’indécence des gouvernants, des députés qui ont encaissé leurs salaires dans leur intégralité quand le peuple qu’ils sont censés représenter crève de faim. Quand des hommes se suicident. Ces politiques abjects, scotchés à leurs foutus fauteuils. Ces politiques abjects qui voient les rues noyées sous l’eau, aux premières pluies, faute d’infrastructures adéquates. Ces politiques abjects qui se battent encore pour se partager le gâteau, avides de millions de dollars en plus. Ces politiques abjects qui pensent que ces hommes et sœurs d’armes se lasseront, désabusés. Ces politiques abjects qui n’ont pas compris que la rue va gronder de plus en plus fort. De plus en plus fort. Cette rue, unie jusqu’à la moelle.

Il n’y a rien à dire, la révolution a créé des liens. De liens plus forts entre ceux et celles qui se connaissent déjà. De nouveaux liens entre ceux et celles qui se sont rencontré(e)s au gré de leurs pérégrinations révolutionnaires. Et ces liens, aussi simples soient-ils, sont et resteront indéfectibles. Parce que nous avons marché ensemble, chanté ensemble, eu la trouille...

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