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Nos Lecteurs ont la Parole - Eddy TOHMÉ

Je vous « hais » compris

Dans les années soixante, Che Guevara plaçait en exergue de ses écrits militaires et révolutionnaires cet appel à l’espérance et à la lutte de José Marti : « C’est l’heure des brasiers et l’on ne doit regarder que vers leur lumière. » Alors qu’à l’autre bout du monde, le dramaturge et poète est-allemand Berthold Brecht écrivait dans son poème Die Lösung (La Solution) que « si le peuple en arrive à perdre la confiance du régime, il est nécessaire que le gouvernement soit en mesure de dissoudre le peuple et d’en élire un autre à la place… ». Plus que jamais ces deux citations me reviennent à l’esprit. Le Liban est aujourd’hui partout en ébullition. De Nabatiyé au Sud jusqu’à Tripoli, la grande ville du Nord, de Kfarremmane la rouge aux universités de Beyrouth, de la plaine de la Békaa jusqu’à la place Riad el-Solh en passant par les villages druzes du Chouf et ceux de l’Iqlim, des hommes et des femmes, par dizaines de milliers, sont en train de manifester pour obtenir les conditions indispensables à l’édification d’une société plus humaine. L’on ne peut que s’incliner devant le courage et l’abnégation de cette foule assoiffée d’égalité qu’aucun pouvoir et aucun parti n’ont réussi à faire plier… et pourtant il fallait que ces êtres libres plient pour que perdure ce maléfique système patiemment établi durant des décennies, il fallait les faire renoncer à ce rêve subversif de société plus juste où tous les Libanais, sans distinction et sans appartenance politique ou religieuse, pourront avoir droit à leur part de justice. Il fallait que ces terroristes rendent raison à qui de droit de cet acte inqualifiable d’avoir, l’espace d’un mois, cru en un Liban débarrassé d’une classe de satrapes adipeux qui ont pillé durant trente ans la terre et les hommes. Il fallait coûte que coûte que ces brigands, qui ont eu l’impudence d’essayer d’ébranler l’ordre politique, judiciaire et éducatif pourri jusqu’à la moelle, disparaissent. Il fallait à tout prix que vive le système. Pour les terroriser, les briser, on fera réciter à des schismatiques, hébétés par les coups, des mélopées sans queues ni têtes où le merveilleux et l’imaginaire vont se mélanger à une réalité beaucoup plus triste, celle d’un pouvoir politique qui tolère des procédés qui tiennent à la fois de la mafia de Chicago et de la terreur d’État, Vychinski aurait été aux anges. Pour les diaboliser, on les fera passer pour des rebuts à la solde de l’étranger, des traitres aux sombres desseins, des valets aux ordres de quelques ambassades. Pour les terrifier, on lancera contre eux des cohortes de matraqueurs assermentés confiants de cette puissance absolue que donne l’impunité alliée à la force bestiale, un procédé vieux comme le fascisme et les dictatures militaires. Certains plus royalistes que le roi lui-même essayeront pitoyablement de jouer à ces groupuscules paramilitaires de défense qui, jadis, ont mis l’Amérique latine à feu et à sang, en tirant à bout portant sur la foule désarmée, sans toutefois avoir la dextérité des Sinchis péruviens ou la cruauté des escadrons de la mort salvadoriens.

Il fallait que ces êtres libres plient, mais ils ne plieront pas, et en bloquant les routes avec leurs corps, en attaquant la soldatesque à coups de roses et d’hymne national, en dormant sur l’asphalte, en campant sous la pluie, ces jeunes que rien ne destinait à autant de sacrifices ont prouvé à toute personne censée et capable d’apprécier un acte à sa juste valeur que Prague n’a pas l’exclusivité du velours. Aujourd’hui, trente jours après le déclenchement d’une des révolutions les plus civilisées que l’urbe ait connue, un hommage s’impose à ces personnes dont le seul crime est d’avoir cru en un idéal et voulu l’atteindre par des moyens pacifiques et non violents, et quel que soit le résultat de cette révolution, le Liban de demain ne sera plus jamais pareil au Liban d’hier, car des hommes et des femmes ont eu le courage de crier tout haut ce que tout le monde a toujours voulu tout bas. Qu’on les comprenne ou qu’on les haïsse n’a pas d’importance, leur cri a été entendu et c’est ce qui compte, « il ne sert à rien de se disputer les cabines de luxe quand on est sur le Titanic ».

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Dans les années soixante, Che Guevara plaçait en exergue de ses écrits militaires et révolutionnaires cet appel à l’espérance et à la lutte de José Marti : « C’est l’heure des brasiers et l’on ne doit regarder que vers leur lumière. » Alors qu’à l’autre bout du monde, le dramaturge et poète est-allemand Berthold Brecht écrivait dans son poème Die Lösung...

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