C’est à la mise à mort de tout un pays que l’on assiste ces jours-ci, pendant que le pouvoir politique s’amuse encore à distiller criminellement les vieilles recettes qui ont largement contribué, de l’aveu même de certains responsables, à mener le Liban là où il se trouve.
Le système bancaire est craquelé, le commerce se meurt, la livre prend le chemin des profondeurs, les salaires fondent, l’économie s’affole, le chaos pointe et nous voyons un chef de parti – en l’occurrence Gebran Bassil –, lorsqu’il n’exige pas de participer en personne à tout gouvernement en gestation, prétendre vouloir nommer lui-même les ministres chrétiens de la future équipe, sous prétexte qu’il dirige le plus grand bloc chrétien à la Chambre. Ce prétexte a beau être devenu obsolète à cause de ce que le pays vit depuis le 17 octobre, notre homme ne s’en est manifestement pas aperçu. Il trouve d’ailleurs le moment bien choisi pour aller à Budapest, chez cet autre grand humaniste chrétien du XXIe siècle qu’est le Premier ministre hongrois Viktor Orban, assister à une conférence sur la « persécution des chrétiens ».
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Dans un sens, l’événement en question ne pouvait pas mieux tomber, vu qu’au même moment ou presque à Beyrouth, les habitants du quartier Monnot se faisaient copieusement « persécuter ». Le hic dans l’affaire c’est que cette fois-ci, les « persécuteurs » étaient des hordes relevant des alliés de notre ministre.
Une persécution en vaut une autre. Dès le lendemain de ces incidents, les régions chiites, endeuillées par un tragique accident de la route, tournent leur colère contre un ennemi virtuel mêlant dans l’imaginaire populaire les sunnites – l’accident ayant eu lieu dans une région de cette coloration-là – et tous les participants au mouvement de contestation. « Vous êtes tous des sionistes », s’écrie un homme à la télévision, exprimant ainsi son propre sentiment de persécution, pendant que des centaines de personnes hurlent furieusement « chiites, chiites », comme pour bien fixer la frontière identitaire et signifier aux chiites de la Révolution, à Tyr, à Nabatiyé et ailleurs, leur condition de renégats… Puis, après quelques razzias et virées furibardes à la Hell’s Angels ici et là, vient l’heure du déni ubuesque et insolent : « Certaines parties s’efforcent de susciter méthodiquement des tensions confessionnelles sur le terrain », déplorent, sans rire, les membres du bloc parlementaire du Hezbollah dans un communiqué publié hier.
Pendant ce temps, les tractations en vue de la formation du prochain gouvernement s’enlisent. Tout à fait comme cela s’était produit avec le précédent cabinet… Et les autres. Dans pratiquement toutes ses apparitions télévisées depuis le début du mouvement de contestation, le président de la République s’est appliqué à prendre ses distances à l’égard du consensualisme communautaire qu’il a rendu responsable des échecs rencontrés par les gouvernements successifs. Et il a largement raison sur ce point. Alors pourquoi son camp s’évertue-t-il à resservir le même plat au peuple libanais ? Pourquoi s’obstine-t-on, alors que le temps manque et que le pays tombe, à vouloir donner le mal comme remède ? Le Liban serait-il condamné à être toujours emporté dans cette dérive sectaire du système ?
Au point où en est la situation, il y a aujourd’hui deux options politiques et seulement deux. Le 8 Mars et ses alliés aounistes sont majoritaires à la Chambre. S’ils considèrent qu’ils ont raison contre le mouvement de contestation, que la révolte en cours est plus nuisible que bénéfique au pays, alors qu’ils osent un cabinet 8 Mars. Avec un Premier ministre 8 Mars. Si, au contraire, ils pensent ne pas avoir suffisamment de légitimité pour imposer un cabinet monochrome et reconnaissent être dans l’incapacité de résoudre la crise économique et financière (ce qui serait plus réaliste), alors qu’ils dégagent !
Le premier qui dira que cela est impossible, que le Liban est un « pays de consensus » et que Gebran Bassil et Samir Geagea doivent « posséder » les ministres chrétiens, Hassan Nasrallah et Nabih Berry les chiites, Saad Hariri les sunnites et Walid Joumblatt les druzes, il faudra cette fois-ci que la Révolution le fasse taire.
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commentaires (18)
Kellon Ya3né Kellon ça veut dire: nous avons compris, nous ne voulons plus de cette partie de partis, de ce féodalisme déguisé en démocratie, de ces voleurs qui nous donnent des os pour acheter nos votes en gardant la viande. D E H O R S les bandits les pillards de la nation. Je veux payer mes impôts en sachant qu'il servent à construire des centrales électriques, pas des empires privés.
El moughtareb
18 h 17, le 29 novembre 2019