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Campus - PROTESTATIONS

L’incertain, ou quand l’art s’improvise au gré de la révolte

Les étudiants en beaux-arts de l’Université libanaise du Liban-Nord construisent depuis 10 jours sur la place el-Nour une structure de bois reflétant le mouvement de la contestation.

Depuis plus d’une semaine, plusieurs arbres du terre-plein de la place el-Nour semblent s’être revêtis d’une seconde peau. Une peau boisée, qui plus est en constante mutation : tous les jours, de nouveaux morceaux de bois s’ajoutent à ceux encerclant déjà les troncs et les feuillages. Il faut imaginer, pour bien saisir le paysage, plusieurs centaines de bâtons vissés les uns aux autres s’agglomérant autour des troncs des arbres, formant une sorte de superstructure qui à la fois encadre les arbres et les lie entre eux. « Cette installation représente les gens qui sont descendus sur la place el-Nour, qui au départ étaient 300 et sont devenus aujourd’hui plusieurs milliers », clarifie Sara Sayouf, 26 ans, étudiante en master des beaux-arts de l’Université libanaise.

Avec l’aide de leurs camarades, une dizaine d’étudiants issus de la branche 3 de la faculté des beaux-arts et d’architecture, département des arts plastiques de l’UL du Liban-Nord, construisent cette œuvre engagée et fédératrice, sur ce même terre-plein où sont installées les tentes des universitaires, et où les manifestants organisent des débats et des concerts révolutionnaires depuis le début de la révolte. Leur professeur, Jacko Restikian, titulaire d’un doctorat en études et pratiques (discipline se situant à la jonction entre la pratique et le concept dans l’art), les accompagne dans le questionnement et la réalisation de ce travail hors cursus : « Nous faisons de la politique au sens grec, c’est-à-dire que nous nous plaçons comme citoyens acteurs du mode d’organisation de notre société. La première chose que nous nous sommes demandé c’est : comment les gens se sont approprié l’espace public pour créer une sorte d’agora ? Comment les gens investissent l’espace ici ? »


(Lire aussi : « L’art, aussi, va changer l’image de Tripoli »)


Chaque bâton représente un manifestant

En se demandant comment investir l’espace, les étudiants et leur professeur ont compris qu’il ne fallait pas l’envahir. D’où la volonté qu’on trouve dans cette structure de se fondre dans le paysage, de ne pas l’obstruer, et d’exister en épousant ses formes physiques chaotiques et même sa direction temporelle inconnue. « Nous avons voulu faire une accumulation de formes géométriques qui ressemblent aux tentes, aux gens, aux corps humains », explique Jacko Restikian.

Une véritable tendance organique, à la fois de par sa constante mouvance au sein d’un espace géographique donné et par son adaptabilité se faisant au gré des aléas extérieurs, tendance sur laquelle insiste Chaza Elcharif, étudiante en 3e année : « La révolution a commencé par une seule impulsion et s’est développée à travers de nombreux visages. Au départ on a acheté 100 bâtons, on les a vissés entre eux de manière complètement impromptue, au même titre qu’au départ la révolution s’est constituée de manière tout à fait impromptue. » Quant à Aïcha Saya, étudiante en 2e année, elle estime que « ce travail représente le chaos, l’aspect spontané et imprévisible de la révolution. Quand la révolution aboutira et que nous obtiendrons nos droits, nous enlèverons tout, comme nous aurons “enlevé” nos politiciens ». Bref, c’est un travail qui n’aura de cesse tant qu’il y aura une « agglomération des gens », résume Hajar Smadia, étudiante en 3e année.

La structure formée par l’œuvre s’inscrit donc dans cette idée que le Liban a affaire à une contestation à caractère improvisé qui, à partir d’une multitude de mouvements convergents, constitue de nombreuses passerelles divergentes mais toujours contenues au sein d’une seule unité, qui n’est autre que la mosaïque du peuple libanais réuni sans trêve dans la rue. Et rien que pour cette idée, si subtilement reprise à travers une démarche artistique élégante, les étudiants en beaux-arts de l’Université libanaise peuvent être certains d’avoir accompli quelque chose de particulièrement résonnant, parce que tellement signifiant au cours de cette période où tout est absolument incertain.


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