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Nos Lecteurs ont la Parole - Hicham KHANAFER

Mon cher pays

Je ressens aujourd’hui le besoin de t’écrire, de me confier à toi et de te dire à quel point je suis heureux pour toi.

Voilà maintenant plusieurs semaines que tu es sorti de l’ombre pour revendiquer ton identité, celle que pendant longtemps on a voulu te cacher. À ta naissance en 1943, le monde entier a eu les yeux rivés sur toi, un État nouveau, libre et indépendant, tu étais si beau mon cher Liban. Tu étais prêt à te prendre en charge et voilà qu’on te parlait déjà de pacte national ! Un pacte, comme si tu en avais besoin, discutable diront certains.

Tu étais tellement fier d’arborer une mosaïque religieuse, sociale, culturelle, identitaire au reflet de ta « neige éternelle » d’où tu tires d’ailleurs ton nom. Loin d’être parfait, tu en étais conscient et tu ne demandais pas grand-chose, simplement de la tranquillité pour mieux te construire, d’avoir la chance de grandir et l’opportunité de te définir.

Très rapidement on t’a obligé à choisir : arabe ou occidental ? Bloc soviétique ou doctrine Eisenhower ? Aligné ou non aligné ? République arabe unie ou États-Unis ? Aller en guerre ou laisser la guerre venir à toi ?

Trop de questions pour un nouveau-né qui n’avait rien demandé, et profitant de ta fragilité, ils t’ont divisé pour mieux régner. Ils t’ont fait croire que ta richesse confessionnelle était ton fléau et ton tombeau et malgré ton cri du cœur, ta peur et tes larmes, ils ne voyaient qu’un seul destin pour toi : devenir le laboratoire de la région.

S’en sont suivies des guerres et des invasions durant lesquelles on t’a dépossédé de ton pouvoir de décision. Divisions, sang et bombardements sont devenus le traumatisme de toute une nation. Ils ont créé un modèle économique visant à exporter ta jeunesse qui ne voyait plus d’avenir, pour remplir leurs poches, eux qui pourtant avaient pour mandat de te reconstruire.

L’idée d’un Liban non confessionnel, c’était d’aller à contre-courant, disaient-ils ! Quant à moi, je regardais ta jeunesse éduquée, ambitieuse et désireuse d’accomplir de grandes choses, persuadé qu’il y avait une alternative à cette image sombre, triste et dépressive.

L’âme de ton cèdre s’est déracinée, ta nature, ils l’ont polluée, ton cœur, ils l’ont touché, et ta mer si belle et si tendre, ils l’ont empoisonnée.

Tu sais, je t’ai connu à travers les yeux de mes parents jusqu’à mes 17 ans, depuis mon beau Congo, on m’expliquait qui tu étais ! Un beau jour on m’a envoyé à toi afin d’en apprendre plus sur qui j’étais. Je me trouvais différent, incompris et intrigué de me faire poser des questions sur ma religion, ma « libanité géographique » et mon opinion politique. Je refusais l’idée que l’on te réduise à cela. Comment ne voyaient-ils pas l’espoir que tu transmettais ?

Perçu comme utopique, j’ai toujours voulu en apprendre plus sur toi. Je me suis éloigné de tes racines et de ta population pour mieux te connaître. Arrivé au Canada, je pouvais me présenter comme libanais avec l’image que je voulais de toi. Je te voulais libre, sécuritaire, égalitaire et loin de tes divisions identitaires. Je t’ai décrit comme je t’imaginais en étant très dur avec le masque qu’on t’a obligé à porter. Au rythme de l’hiver montréalais je me suis tatoué ton cèdre à travers la phrase de Khalil Gibran « Vous avez votre Liban et j’ai le mien ». C’était pour moi un signe d’espoir pour un Libanais qu’on appelait l’Africain.

Je m’en veux d’avoir abandonné par moments, d’avoir oublié que j’y avais cru. Pris de passion pour la géopolitique, j’essayais d’analyser d’un regard purement critique, c’était bien plus facile de se distancer que de trouver des solutions.

Pendant ce temps, ces chefs féodaux ont poursuivi leur ascension aux dépens de ta population, pensant que tu n’étais pas capable d’avoir des revendications. Ils ont entraîné une fuite de capitaux, une corruption endémique, un clientélisme effrayant prétendant que l’insécurité régionale était l’unique source de ton manque à gagner.

Un 17 octobre 2019 tu as refait surface, ce jour-là tu as tremblé, crié et hurlé avec une colère foudroyante. D’une puissance déstabilisante, tu as réveillé des millions de concitoyennes et pour la première fois tu nous as imposé d’être libanais, tu nous as demandé de revendiquer nos droits et de faire de toi un État digne.

J’étais saisi par l’ampleur de ta colère, du nord au sud ils/elles se sont tenu la main aux couleurs de ton drapeau. Sur l’étendue de ton territoire, ils/elles ont décidé de mettre fin à cette souffrance que tu vivais.

En quelques jours, ta société civile s’est organisée, mobilisée et a conduit un mouvement que l’on pensait irréel pour le pays du Cèdre. Tu as revendiqué un accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation, à la santé et au respect de ta souveraineté avec une si belle unité. J’ai pleuré, j’ai rêvé à nouveau, j’ai refait le plein d’énergie et j’ai repris contact avec des personnes impliquées de ma communauté. Tu sais ? J’étais jaloux quand je voyais d’autres pays se soulever et je me disais toujours « J’espère qu’un jour ce sera nous ».

Mon cher Liban, pour la première fois de ma vie j’ai manifesté, pour la première fois de ma vie je suis descendu dans la rue en y croyant au plus profond de moi, j’ai oublié tous mes soucis et je ne pensais qu’à toi. Pour la première fois, on parle d’un Liban non confessionnel, d’un Liban où l’appartenance religieuse de ses citoyens n’alimente pas la segmentation des partis politiques, d’un Liban où la justice est indépendante, d’un Liban où l’on vit avec dignité, d’un Liban pour les Libanais.

Mon beau Liban, nous n’avons pas les réponses à toutes tes questions, les solutions à tous tes problèmes, ni la prétention de bien te connaître. Mais crois-moi, nous avons compris ta colère et nous ne permettrons plus qu’on te colle l’image de ce que tu n’es pas. Nous serons les gardes de ta souveraineté et les garants de ton avenir.

Mon grand Liban, à travers ta révolte de ces dernières semaines tu as éveillé nos consciences et exigé du changement. Ils t’ont dépossédé de ton âme et aujourd’hui tu la réclames.

Je ne te décevrai pas, je te le promets !

À toi mon pays, je te remercie de m’avoir offert le plus beau cadeau d’anniversaire !

D’avoir fait de moi un Libanais si fier.

Ton fils

Hicham KHANAFER

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de « L’Orient-Le Jour ».

Je ressens aujourd’hui le besoin de t’écrire, de me confier à toi et de te dire à quel point je suis heureux pour toi. Voilà maintenant plusieurs semaines que tu es sorti de l’ombre pour revendiquer ton identité, celle que pendant longtemps on a voulu te cacher. À ta naissance en 1943, le monde entier a eu les yeux rivés sur toi, un État nouveau, libre et indépendant, tu étais si...

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