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Culture - Portrait d’artiste

Samer Alameen, un chaos organisé

Ce designer libanais à la carrière désormais internationale veut « donner envie aux gens de s’amuser, avec des produits fonctionnels, drôles et originaux ».

Samer Alameen parmi les manifestants à Beyrouth. Photo DR

Le parcours de Samer Alameen, designer libanais installé à Milan depuis sept ans, est inédit. Et ses pièces font régulièrement la une des grands magazines internationaux de décoration. Cela n’empêche pas l’artiste au tempérament passionné d’être bouleversé par la révolution libanaise du 17 octobre.

Ainsi, porté par le souffle de renouveau qui déferle sur son pays, Samer Alameen décide de prendre l’avion pour rejoindre dès les premiers jours la rue libanaise. « Le sentiment de participer à la révolution de mon pays dépasse de loin tout ce que j’ai pu ressentir à Beyrouth dans ma vie. Tout le monde participe de manière amicale, nous sommes plus heureux que jamais et c’est communicatif. La dimension fédératrice du mouvement est inédite. Jamais je ne me suis senti aussi ancré dans mon pays. Même après le sombre après-midi du mardi 29 octobre, la nuit était belle sur la place des Martyrs. Finalement, nous sommes responsables du bien-être de notre pays, et les manifestants ont donné l’exemple de ce que devrait être la gestion du Liban », affirme le designer, rayonnant et plein d’espoir.



La chaise khayzaran et une nouvelle vie milanaise
Né en 1971 à Beyrouth, Samer Alameen suit un double cursus à la Lebanese American University (LAU) dans la publicité et les beaux-arts. « J’ai travaillé 14 ans dans la publicité, avec de grandes agences internationales : Publicis, Grey Worldwide, McCann Erikson, dans les pays du Golfe, du Levant et d’Afrique du Nord, et je vivais entre Dubaï, Le Caire, Amman et Beyrouth... En 2006, j’ai fondé mon propre bureau de consultant à Beyrouth avec une liste de clients du monde entier dans le textile, la restauration, la bijouterie, la banque… Et puis je me suis lassé, j’avais perdu toute forme de défi, ça devenait facile », constate le créateur.

C’est la transformation du modèle de la chaise traditionnelle khayzaran (héritière du modèle Thonet inventé en France à la fin du XIXe siècle), typique des cafés libanais, qui a marqué un tournant dans la carrière du designer. « J’ai voulu transformer le modèle de chaise khayzaran, dont on ne trouve plus que des modèles en plastique, et le rendre plus solide, plus massif, plus lourd, plus onéreux. J’ai choisi l’acier inoxydable », précise le producteur industriel, dont la première collection « Walking Objects » attire d’emblée l’attention des médias spécialisés, comme Elle Déco et AD.

Dans la foulée, Samer Alameen s’installe à Milan pour suivre un master en design industriel à la SPD (Scuola Politecnica di Design). Un an plus tard, il ouvre son studio et lance sa marque de produits.

Dès avril 2014, il participe à la plus grande plateforme de design mondial, le Salone del Mobile de Milan, où il expose, depuis, chaque année et où il est régulièrement cité parmi les dix designers les plus originaux et créatifs par Art Tribune, le New York Times... En 2015, il se consacre à une collection de bijoux pour hommes « Bilarabi », en collaboration avec Nadine Kanso, tout en présentant différents mobiliers intitulés « The Forgotten Patterns of the Alhambra Palace », qui connaissent un immense succès.

« Je suis revenu à la chaise khayzaran en imaginant une collection fluorescente. À ma connaissance, c’est le premier produit mondial en acier fluorescent. J’ai dû travailler avec de nombreux artisans pour trouver les couleurs adéquates. L’exposition, intitulée “All You Can Seat”, a lieu en octobre 2016, dans un grande galerie milanaise à Dilmos (Piazza San Marco) ; elle consiste en un dîner avec 24 personnes assises, donc 24 chaises, entièrement vendues en deux heures », souligne Samer en riant.


(Lire aussi : Il était une fois un « pays rêvé »)


Ceci n’est pas une exposition
Après « Light-And-Seek Lamps » en 2016, le designer féru de diversité passe des luminaires aux boîtes en verre, qu’il expose en 2017 pour la semaine du design à Milan.

En 2018, son idée de transformer des jouets d’enfants en objets du quotidien pour JCP Universe suscite un réel engouement, autour de deux œuvres majeures. Eret est une table console qui rappelle les jeux Meccano de l’enfance, elle est construite à l’aide de barres en acier perforées, fixées par des boulons. Orgone (nom imaginé à partir des mots « orgasme » et « organisme », qui désigne l’énergie vitale dans la psychanalyse des années 30) est une lampe qui a la forme et les teintes féeriques et irisées d’une bulle de savon, sur une base de laiton. « Après avoir fait trois couvertures de magazine avec des dizaines de pages sur ce projet en 2018, j’ai décidé d’ouvrir mon appartement aux expositions, sauf que j’ai en horreur le côté “ne pas toucher”, “ne pas s’asseoir” des lieux traditionnels. C’est pourquoi j’ai choisi d’intituler mon projet “Ceci n’est pas une exposition” : les gens peuvent s’attabler et prendre leur déjeuner, regarder la télé depuis les canapés… Mon mobilier est créé pour être utilisé. »

Depuis 2019, Samer Alameen est directeur créatif de la plateforme Design of Italy. « Je suis responsable de leur communication, de la sélection des artistes et je travaille aussi comme consultant. Récemment, j’ai participé au projet “Minjara”, dont le concept était vraiment intéressant, à savoir créer un partenariat entre des artisans de Tripoli et des designers libanais. La collection “Nostalgia”, qui présente un bar mobile, fait écho au chariot du vendeur de kaak. Quant à “D’amour”, il transforme mon souvenir des bananeraies du Sud-Liban en paravent. » L’ancien publicitaire est loin de sombrer dans la mélancolie pour autant, et il prépare le prochain Salone del Mobili en cultivant un certain mystère. « Cette fois, je ne vais pas présenter de produit, ce sera différent, je n’en dis pas plus. » Une affaire à suivre.


(Lire aussi : Nadine Labaki : Les jeunes de la révolution rivalisent d’intelligence et de maturité)



Face-à-face avec Samer Alameen

Quel est votre designer préféré ?

Philippe Starck, et ce n’est pas spécialement pour son travail mais pour sa diversité créatrice. Il propose du mobilier urbain, des bateaux, de l’électroménager, de la bureautique... ce qui est assez rare dans notre milieu.

Quelle est l’œuvre qui vous révèle le plus ?

Toutes. Elles ont un style assez cohérent. Les gens ont arrêté de s’amuser, ils ne savent plus comment faire. J’ai envie de leur redonner des émotions, des souvenirs, des sourires… Ma création préférée est peut-être la bibliothèque inspirée par le jeu de Meccano.

Quelle est l’œuvre qui plaît le plus ?

La chaise khayzaran, d’ailleurs je prévois d’en fabriquer en aluminium, ce sera plus accessible tout en produisant le même effet.

Est-ce que le Liban vous inspire dans vos créations ?

Je ne suis pas un grand fan du thème oriental, très présent dans la création libanaise. Je suis beaucoup trop moderne, mais pour Minjara par exemple, j’ai joué le jeu de la carte traditionnelle. En même temps, je suis comme Beyrouth, un chaos organisé, je me reconnais dans cette ville que j’ai dû quitter car il n’y a pas de place pour mon travail.

Quelle est la matière que vous préférez pour créer ?

J’aime les matières naturelles : l’acier, le marbre, le bois.

Quelles sont vos couleurs préférées ?

J’aime tout le spectre des tonalités métalliques, et aussi le vert, le turquoise, le pourpre, le jaune… J’ai des pièces très colorées, et avec la mode des maisons en beige et grège, on peut se permettre d’oser du mobilier coloré.

Quelle est la place du design au Liban ?

Malheureusement, il est trop peu présent. House of Today est une plateforme qui permet de découvrir les dernières créations des jeunes talents, mais elle ne se produit que tous les deux ans. Les galeries de design ont fermé les unes après les autres, comme Joy Mardini ou Carwan. On trouve quelques pièces design intéressantes à Villa Clara, car la propriétaire est férue de création contemporaine. Mais ce n’est pas assez.


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