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Nos Lecteurs ont la Parole - Louis INGEA

Songe d’une nuit d’été

Je sais par avance, bien chers lecteurs, que mon présent papier n’est qu’une fantaisie délirante. Il n’empêche que je ne refrénerai pas mon envie de raconter, ne serait-ce que pour provoquer dans vos rangs un pâle sourire, la vision qui m’est tombée dessus par une nuit sans sommeil.

Et, pour utiliser une formule depuis longtemps adoptée par de « saintes écritures », je dirais que « j’ai vu en songe » se dérouler dans un demi-sommeil un scénario ahurissant en rapport avec la situation désastreuse dans laquelle le Liban se retrouve coincé.

J’ai donc vu apparaître sans annonce préalable le personnage de notre président s’adressant en direct à ses concitoyens à partir d’une chaîne de télévision locale. Pour communiquer sur un ton dramatique un message solennel à la classe politique du peuple libanais. Députés, ministres, anciens responsables retraités, chefs de parti et de milice, directeurs de banque, hauts gradés militaires, membres du corps judiciaire et chefs de service de tous les offices de l’État sont appelés à répondre positivement à la déclaration qui devait suivre :

« C’est en accord avec le président du Conseil des ministres que je m’adresse à vous, dit-il, à cause de la crise que traverse le pays et qui vient d’atteindre son point de non-retour. Le temps nous bouscule et nous n’avons plus d’autre choix. Sachez que nous détenons des renseignements très graves concernant la majorité d’entre vous. Des dossiers d’accusation avec chiffres précis à l’appui, relatifs à divers détournements de fonds nous ont été remis directement par le secrétariat général de l’ONU avec la caution des grandes puissances de la planète. Nous nous trouvons par conséquent face à une décision extrêmement douloureuse mais absolument nécessaire à prendre, si nous tenons à la souveraineté de notre pays. Nous n’avons même plus le temps matériel pour réaliser les réformes qui auraient permis un répit financier. L’urgence nous oblige à recourir à la solution extrême à laquelle vous êtes tous tenus de souscrire. Ceux qui savent avoir gardé les mains propres en matière de corruption n’ont rien à craindre. Ils ne sont, hélas ! qu’une minorité. Pour les autres, il ne nous reste qu’une seule proposition à faire, celle de leur demander de saisir “au vol” l’unique option raisonnable qui vient à l’esprit. Ainsi, c’est entre un blocage définitif de vos dépôts bancaires aux quatre coins du globe, assorti de la confiscation de vos biens immobiliers et de ceux de vos prête-noms, d’une part, et la jouissance en toute liberté du tiers des sommes détournées à votre profit personnel, d’autre part, que vous devez choisir. Vous avez un délai de quelques heures pour faire transférer à notre Trésor public les deux tiers restants des fonds que vous avez indûment acquis. Nous savons en toute équité que ce qui vous est épargné demeure largement suffisant pour assurer à vous-mêmes et à votre progéniture, le restant de vos jours, une sécurité matérielle plus que confortable. Si vous vous exécutez conformément au délai imparti, je vous garantis, au nom du peuple libanais, l’immunité définitive et la suspension de toute sanction. »

Un sentiment de consternation suspend le songe l’espace de quelques instants. Petit à petit, l’écran de télévision se réveille et j’y aperçois, se bousculant, des chiffres qui s’additionnent à la manière de ce qui se passe d’habitude au cours d’un téléthon de bienfaisance.

Le feuilleton touche à sa fin. Dans mon cerveau affolé résonne une voix, sortie de je ne sais où, affirmant qu’une somme énorme couvrant la plus grande partie de notre dette nationale se trouve déjà réunie. Du coup, des crépitements de feux de Bengale, pour une fois justifiés, explosent autour de moi et j’entends se répandre des chants folkloriques retransmis par la chaîne télévisée à toutes les localités du pays pour célébrer le « miracle » qui venait de se produire.

Je me rends compte alors que le concept de « deal », qui a régi jusqu’à aujourd’hui notre système politique et mené le pays à la faillite, s’avère, dans ce cas précis, incontestablement profitable. Sans oublier, par ailleurs, l’expérience similaire qui s’est déroulée il n’y a pas bien longtemps dans l’un des grands pays arabes de notre région.

Et j’ai ouvert les yeux sur un petit matin rose comme je n’en avais plus vécu depuis un demi-siècle.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Je sais par avance, bien chers lecteurs, que mon présent papier n’est qu’une fantaisie délirante. Il n’empêche que je ne refrénerai pas mon envie de raconter, ne serait-ce que pour provoquer dans vos rangs un pâle sourire, la vision qui m’est tombée dessus par une nuit sans sommeil.Et, pour utiliser une formule depuis longtemps adoptée par de « saintes écritures », je...

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