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Nos Lecteurs ont la Parole - par Vincent BRIDIER

Le van de l’aventure

De loin, on le voit arriver. Bolide lancé sur l’ancienne route de Saïda, nous lui faisons signe de s’arrêter sur le côté. Après un freinage brusque suivi d’un coup de klaxon en guise de salut, nous sommes invités à monter dans cet incroyable engin qu’est le van n° 4. Je tourne une dernière fois la tête vers l’immeuble qui longe la route et aperçois téta, agitant les bras pour me dire au revoir. J’ai à peine le temps de la saluer que je dois déjà m’engouffrer dans le véhicule, car désormais les sentiments n’ont plus leur place, nous sommes les acteurs d’une véritable course contre la montre à travers Beyrouth qui doit se terminer, si Dieu nous épargne, par notre arrivée en vie à Hamra.

À peine ai-je posé un pied dans le van que celui-ci redémarre en trombe, me permettant ainsi de ne pas avoir à choisir ma place puisque je viens directement m’écraser violemment sur l’avant-dernier rang. Je me relève et, en bon Français, cherche la ceinture de sécurité. J’abandonne rapidement et préfère me tenir à côté de Tala qui, pour sa part, ne semble pas du tout affectée par les événements. J’ai alors l’occasion d’inspecter rapidement le van. Les vans font partie de ces véhicules qui semblent avoir traversé les âges : moteurs vrombissants, tôle rouillée, sièges à moitié détruits. Mais ils possèdent une résistance qui dépasse l’entendement. Les fonctions vitales restent préservées depuis des décennies : accélérer, freiner, tourner, klaxonner. Tout fonctionne, tout va bien. C’est avec un mélange d’appréhension et d’optimisme que le voyage commence. La traversée de la ville est ponctuée par les klaxons et le ballet des allées et venues des usagers. La porte coulissante est la plupart du temps ouverte – elle se ferme d’elle-même en cas de freinage appuyé – et c’est ainsi que, cheveux au vent, nous nous dirigeons à folle allure vers notre destination.

Il est difficile de décrire le chaos régnant sur les routes libanaises. En résumé, chacun suit son itinéraire et il appartient aux autres d’être vigilants. Priorité à soi donc. Chaque trajet est une bataille qu’il s’agit de remporter. Le chaos extérieur contraste avec le calme exceptionnel à l’intérieur du van. Je suis le seul à me montrer quelque peu nerveux et pour cause, nous arrivons en haut d’une petite colline tellement vite que j’ai l’impression que nous allons effectuer un saut de plusieurs mètres. Je sens mon heure venue. Je comprends que téta ne me disait pas au revoir mais plutôt adieu, et que je ne mangerai plus jamais de man2ouche.

Mais il n’en est rien. Le chauffeur freine au dernier moment et la catastrophe est évitée. Il accélère de nouveau dans la descente, et c’est à ce moment que j’aperçois devant nous un autre van n° 4. Mon premier réflexe est de penser que la course est terminée puisque nous n’allons pas doubler le van qui se situe devant nous... Non, notre chauffeur décide alors de se rapprocher de son collègue et de faire la course avec lui. Voilà les deux vans n° 4 côte à côte, empruntant un virage à toute vitesse et séparés seulement d’un, voire deux centimètres. Les pneus grincent, nous sommes en plein tournage du dernier James Bond ! Pendant ce temps-là, comme si de rien n’était, Tala est occupée à faire de la monnaie sur 20 000 à un de nos voisins. Même le chauffeur s’y met : « Khalass, ne paye pas ne t’inquiètes pas ! » J’ai à peine le temps de réfléchir à cette scène surréaliste que nous voilà déjà dehors, à Hamra, en vie.

C’est comme si ce trajet retraçait le voyage qui fut le mien. Il y a beaucoup à apprendre au Liban. La chaleur humaine, la bienveillance, la générosité, la résilience face aux difficultés sautent aux yeux et comblent l’âme. Dans la vie comme dans les vans, on ne sait jamais vraiment si l’on arrivera à bon port. Les virages peuvent être serrés, les freinages peuvent être brutaux. On passe alors de conducteur à passager, en attendant de reprendre ses forces. Si l’on est dans un bon van, il y aura toujours quelqu’un pour nous aider !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

De loin, on le voit arriver. Bolide lancé sur l’ancienne route de Saïda, nous lui faisons signe de s’arrêter sur le côté. Après un freinage brusque suivi d’un coup de klaxon en guise de salut, nous sommes invités à monter dans cet incroyable engin qu’est le van n° 4. Je tourne une dernière fois la tête vers l’immeuble qui longe la route et aperçois téta, agitant les bras...

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