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Culture - Disparition

L’ultime cavalcade d’Huguette Caland, amazone intrépide de la peinture libanaise

A 88 ans, après une longue maladie qui l’a privée lentement de ses facultés de créatrice totalement dévouée à son art, Huguette Caland s’en est allée en emportant avec elle l’image du Liban d’antan. Une chevauchée fantastique où se greffent, avec classe, les années de bonheur, d’opulence, de joie de vivre, de paix, d’insouciance, de cosmopolitisme et d’espoir…


Huguette Caland, en 2000. archives L'Orient-Le Jour

Huguette Caland est partie hier à l’âge de 88 ans après près d’un demi-siècle de création artistique. En lot de consolation reste aujourd’hui le rayonnement de son art suprême et polymorphe, des cimaises prestigieuses du Liban (la galerie Janine Rubeiz était son point d’ancrage) jusqu’aux musées arabes et européens les plus réputés tels le Tate St Ives en Grande-Bretagne et Kayne Griffin Corcoran à Los Angeles, ayant fleuri sous son pinceau aux volutes imprévisibles et éminemment séductrices.

Fille de Béchara el-Khoury, premier président de la République après le mandat français, Huguette Caland a connu le pouvoir et la vie de sérail grâce à ce père qu’elle servira jusqu’au bout, même dans les années sombres et de maladie, avec un dévouement filial touchant et exemplaire. Sa famille sera un terreau riche pour sa culture et sa formation, les deux d’une singulière richesse et acuité.

Il ne faut pas croire que l’art, intempestif et tyrannique, se soit introduit d’office dans la vie d’une jeune fille certes rangée mais qui croquait la vie quand même bien joyeusement et à belles dents lors de ses années d’études en beaux-arts à l’Université américaine de Beyrouth.

Sans crier gare, le design et la mode lui font un malicieux clin d’œil et elle les suit. Avec une fiévreuse docilité. Dès qu’elle collabore avec Pierre Cardin, c’était déjà non l’ébauche mais les premiers pas assurés de son aventure artistique et de la partition qu’elle jouera. Avec brio et virtuosité. Naîtront de ce sonore préambule pour un parcours semé de succès les caftans et les « abayas » qui feront fureur et tendance. Et dont elle se parera en toute distinction. Caftans qui envahiront non seulement les ateliers et salons chics beyrouthins, mais aussi seront appréciés au pays du flamenco où on se les arrache !

Un succès foudroyant qui dépasse les frontières du pays du Cèdre et que l’artiste délaisse pour plonger dans la restauration haut de gamme. Ce sera la fastueuse époque de « Temporel sur mer ». Les nostalgiques, les gourmets, les dandys et les femmes qui font tourner les têtes, de l’âge d’or de Beyrouth, ne tariront certainement pas de souvenirs entre mer turquoise, clientèle interlope huppée et cuisine gastronomique fine et raffinée des mille et une nuits...Non contente de toutes ses activités, Huguette Caland, après sa rencontre avec le sculpteur roumain George Apostu, se tourne vers le bronze, le papier mâché et la terre cuite pour entreprendre une nouvelle exploration, une expérimentation inédite.Entre-temps s’enclenche le tourbillon de la vie et les années emboîtent le pas aux projets qui foisonnent dans la tête et sous les doigts de l’artiste pour poursuivre la quête et la réalisation de soi. La femme et la carrière font une brillante conciliation de courageuse Orientale émancipée. Avec un statut d’épouse et de mère qu’elle assume parfaitement, elle décide, à quarante ans, de quitter Beyrouth sans toutefois renoncer à ce qu’elle laisse derrière elle. Sa décision est claire et sans appel : comme un ensorcelant chant de sirène, la peinture l’appelle, la hante, l’habite. Elle voudrait s’immerger surtout dans ses canevas, ses dessins, ses croquis et ses toiles qui, depuis son jardin beyrouthin en bord de mer, ne faisaient qu’enfler la vague de ses productions.


Carrousel romanesque

Cela a quelque chose de romanesque que ce carrousel entre New York et Los Angeles, où elle s’installe, et Paris, ville de son cœur, où ses fréquentations ont des noms à faire rêver (André Masson, Pierre Schaeffer, pour ne nommer qu’eux…), pour élargir l’horizon des connaissances, au sens absolu du terme. C’est-à-dire acquérir savoir-faire et parfaire un art qui n’a jamais dit son dernier mot…

Plus d’un demi-siècle de labeur et d’innombrables stations pour se fondre dans le paysage artistique et pictural international. Un chapelet de plus d’une centaine d’expositions (personnelles, collectives, foires, Salons, fashion designs, symposiums, biennales) devance aujourd’hui le nom d’Huguette Caland qui a su non seulement être dans le vent mais souvent le précéder…Comment omettre de parler de ces glorieuses étapes dont l’éclat rejaillit sur le Liban ? Au plus près de nous, l’Institut du monde arabe à Paris en 2012, le Musée d’art de Sharjah (sur les conseils avisés du jeune curateur Omar Kholeif, chasseur de têtes d’affiche de l’Afrique, de l’Orient et de l’Asie), le Hammer Museum de Los Angeles en 2016, la Biennale de Venise en 2017, et très récemment les honneurs n’ont pas cessé d’être déployés comme un tapis rouge devant le talent de la grande dame libanaise, aussi bien en Cornouailles, en Angleterre, qu’à Los Angeles. Et on n’a pas tout dit…Il y eut, surtout, cette première en 1972 pour la notoriété. Comme un conte bleu, le vrai début en cette Beyrouth lumineuse et bouillonnante de culture d’avant-guerre a lieu dans une ancienne demeure libanaise qui s’appelait Dar el-Fan, dans un quartier simple et populeux. C’est là, grâce au flair de limier de Janine Rubeiz, que s’opèrent le déclic et l’envol d’Huguette Caland. Depuis, l’artiste n’est jamais redescendue sur terre et a sillonné les cimes. Pour rappel, l’année dernière, sa toile intitulée Good Luck réalisait un record de vente chez Christie’s. Estimée entre 80 000 et 120 000 dollars, cette toile sur acrylique est partie à 162 500 dollars.


Et des histoires comme celle-là, il y en a plusieurs…

Face à cette amazone de la peinture qui a mené de main de maître sa barque en tant que femme mais aussi en tant qu’artiste indépendante, comment enfermer l’essence de son inspiration ? Difficile de mettre en bouteille cet art si fluide, si volatil, si léger, si grave, si dense et si fuyant comme du mercure. Elle entre de plain-pied dans le panthéon du chevalet et du pinceau aux côtés d’Helen el-Khal, Yvette Achkar, Paul Guiragossian, Chafic Abboud et tant d’autres devenus emblématiques figures de proue…

De l’érotisme sulfureux, entre ludisme et sensualité, pour les illustrations des écrits d’Adonis ou Andrée Chedid, à la mouvance de ses lignes d’habillements amples et élégants conçus avec Pierre Cardin en passant par les abstractions et représentations volubiles sur ses toiles, Huguette Caland a le don de réinventer la vie. Elle qui avait dit un jour à un journaliste, le plus sérieusement du monde : « Je suis née heureuse. » On la croit sur parole, tant son œuvre déborde et atteste de cette jovialité, de cette irrépressible énergie, de cette indomptable fougue pour le jour et la nuit, de cette dynamique sans frein et sans frontières…

Coup de pinceau imparable, emploi subtil des couleurs, précision et fantaisie du tracé pour mêler en toute habileté, en surimpressions et gerbes surprenantes, souvenirs d’enfance (ah ! ce jardin au bonheur « schehadien » en bord de mer !), besoin de s’évader, attente de capter le moment dans sa fugacité, curiosité de cerner les émotions qui vrillent le cœur et font larmoyer, tentative de traduire les images insaisissables qui défient les sens et la raison… C’est tout cela la vie et aucun djinn ne peut enfermer ces bouts de parcours humain dans une lampe merveilleuse. Et pourtant Huguette Caland, en un sublime paradoxe d’artiste, avec poigne et délicatesse, autorité et douceur, a réussi cet incroyable tour de force, comme à travers un écran virtuel et magique, de tout emboîter…


Il n’y aura pas deux Huguette Caland

par Nadine Begdache, directrice de la galerie Janine Rubeiz


Vingt-cinq années (mes plus belles !) au cours desquelles j’ai côtoyé Huguette Caland et collaboré avec elle. Je ne les ai pas senties passer. Travailler avec elle a été, pour moi, la plus belle et la plus heureuse des expériences de galeriste.

Femme libre, Huguette incarnait le bonheur de vivre. Elle exprimait ses sentiments et ses pensées avec son pinceau et ses couleurs. Très dynamique, elle répondait avec rapidité et dans la joie à toutes les demandes. Avec elle, tout se faisait dans la bonne humeur. Elle avait toujours le mot qu’il fallait pour nous détendre et nous faire rire. Rien n’était source d’angoisse ou de tiraillement… « Pas de stress, cela ne vaut pas la peine », disait celle qui respirait le bonheur de vivre et de partager.

Elle peignait avec amour et était heureuse de répondre aux demandes des clients, et de leur faire plaisir. Chaque exposition était une gerbe de bonheur.

Lorsque quelque chose m’énervait, elle me disait « Nadine tawlé belek ». C’était ce que son amie Helen el-Khal lui avait dit le jour où Huguette s’était disputée avec Janine (Rubeiz, NDLR) à Dar el-Fan.

Elle avait un mot aimable pour chaque personne à la galerie, tout le personnel l’adorait. Généreuse de cœur, et généreuse tout court, elle aimait à offrir souvent ses dessins aux membres de l’équipe.

Elle n’aimait pas la violence et acceptait l’idée de la mort tout en aimant la vie. Elle savait exactement qui elle était et ce qu’elle voulait exprimer.

Le vide qu’elle laisse est immense. J’espère que mes souvenirs pourront combler ce vide. Ses œuvres seront là pour nous rappeler son authenticité, son courage, son audace et son amour de la liberté qui la font s’inscrire dans la lignée des grands.

Il n’y a pas, et il n’y aura pas, deux Huguette Caland.



Huguette Caland est partie hier à l’âge de 88 ans après près d’un demi-siècle de création artistique. En lot de consolation reste aujourd’hui le rayonnement de son art suprême et polymorphe, des cimaises prestigieuses du Liban (la galerie Janine Rubeiz était son point d’ancrage) jusqu’aux musées arabes et européens les plus réputés tels le Tate St Ives en Grande-Bretagne et...

commentaires (2)

Ou est elle morte?

Eleni Caridopoulou

18 h 28, le 24 septembre 2019

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Commentaires (2)

  • Ou est elle morte?

    Eleni Caridopoulou

    18 h 28, le 24 septembre 2019

  • QUE SON AME REPOSE EN PAIX.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 56, le 24 septembre 2019

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