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Liban - Reportage

À Beyrouth, le cri de désespoir des réfugiés palestiniens

Le Comité de la jeunesse palestinienne pour l’asile humanitaire, à l’initiative du sit-in hier dans le centre-ville de Beyrouth, a désavoué les dirigeants et partis politiques palestiniens.

Les réfugiés palestiniens dénoncent l’assistance au compte-gouttes de l’Unrwa. Photo Anne-Marie el-Hage

Des drapeaux palestiniens, mais aussi canadiens, australiens, européens. Voilà ce que brandissaient, hier, des milliers de manifestants rassemblés place des Martyrs et venus en bus depuis les camps palestiniens du Liban, Aïn el-Héloué, Nahr el-Bared, Beddaoui, Bourj el-Brajneh, Chatila, Dbayé… Mais aussi du camp de Yarmouk en Syrie. Depuis le cœur de Beyrouth, ces milliers de réfugiés palestiniens ont lancé un appel à la communauté internationale : « Accordez-nous l’asile humanitaire collectif ! » Un appel assorti de lettres aux ambassades d’Australie, du Canada, et à la Commission européenne au Liban notamment, où sont énumérées les violations de leurs droits et les discriminations dont ils sont victimes. Hier, dans le centre-ville de la capitale, ces manifestants, hommes, femmes et enfants, ont réclamé l’attention des chancelleries des pays d’émigration et exprimé leur refus de rester réfugiés à vie. Ce mouvement est le troisième en moins de deux mois de candidats malheureux à l’émigration, parmi lesquels des Libanais de Tripoli, la semaine dernière, en face de l’ambassade du Canada.


Otages du droit au retour
À l’appel du Comité de la jeunesse palestinienne pour l’asile humanitaire qui se dit apolitique et de ses deux sections, l’une représentant les réfugiés palestiniens du Liban et l’autre ceux de Syrie, les manifestants n’ont pas seulement dénoncé leur profonde misère matérielle et psychologique car leurs droits les plus basiques sont bafoués depuis 72 ans. Ils ont aussi, et pour la première fois, publiquement désavoué l’ensemble des organismes, partis politiques et dirigeants palestiniens, dont ils se considèrent aujourd’hui les otages sous prétexte du droit au retour. Des dirigeants qu’ils accusent de s’enrichir à leurs dépens et de les maintenir dans des conditions de vie dégradantes, dans des prisons appelées camps, pour continuer à en tirer profit. Ils n’ont pas manqué d’égratigner au passage l’Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient), qui ne couvre que 10 % des soins de santé et ne parvient pas à assurer à leurs enfants une éducation digne de ce nom. Ils ont enfin réclamé que leurs dossiers soient transférés au HCR (Agence des Nations unies pour les réfugiés).


Le refus de rester réfugié à vie
Rassemblés en cercle place des Martyrs, hommes d’un côté, femmes de l’autre, les manifestants entonnent des chants patriotiques palestiniens et esquissent quelques pas de dabké. Sur les pancartes et calicots qu’ils arborent bien haut, des slogans dessinés à la main. « Nous réclamons l’asile humanitaire », dit l’un d’eux. « Je suis un réfugié palestinien depuis 1948 au Liban et je ne bénéficie toujours d’aucun droit humain ni même celui d’être propriétaire de ma maison », dit un autre. « Transférez nos dossiers de l’Unrwa au HCR », peut-on encore lire, ou « Hébergez-nous dans vos pays en toute sécurité afin que nos enfants ne subissent pas le sort du petit Aylan », en référence au petit Syrien dont le corps avait été rejeté sur une plage de Turquie en septembre 2015.

Parmi les nombreuses revendications également, « le droit à une existence digne, qui est le droit de tout être humain », « le droit à la sécurité », « le refus de rester réfugié à vie ». Saïd Salim, un père de famille qui a trouvé refuge dans le camp de Aïn el-Héloué après avoir fui la Syrie, énumère à L’Orient-Le Jour ses « revendications qui sont celles de tous ». « Nous réclamons l’asile humanitaire, car nous voulons vivre dans la dignité, assurer l’avenir de nos enfants et soigner nos malades », dit-il. Turki Naufal, lui aussi réfugié palestinien de Yarmouk, renchérit. « Palestiniens du Liban ou de Syrie, nous sommes tous pris à la gorge. Non seulement nous sommes apatrides, mais nous n’avons pas le droit de travailler et ne bénéficions ni de droits ni de liberté. Même diplômés, nos enfants n’ont aucune perspective d’avenir », dénonce-t-il.

Le camp palestinien de Yarmouk n’a toujours pas été reconstruit depuis sa destruction il y a sept ans. Ses anciens habitants, dont une grande partie a trouvé refuge au Liban, se disent dans l’impasse car ils craignent d’être enrôlés de force dans l’armée syrienne s’ils venaient à rentrer chez eux.

Parmi les manifestants, de nombreuses personnes à handicap ou présentant des maladies chroniques. Des parents d’enfants malades affichent les factures non payées par l’Unrwa, les soins non administrés. Le père d’un enfant cardiaque crie son désespoir. « Mon fils a besoin d’une transplantation cardiaque. Ici, il n’a aucune chance de survie. » Une mère montre l’ordonnance de son fils qui souffre d’épilepsie. « Pour le traiter, nous devons rassembler plus de trente millions de LL. L’Unrwa n’en a couvert qu’un million », révèle-t-elle impuissante.



(Lire aussi : Les réfugiés palestiniens, cet épouvantail qu’« on » agite...)



Des diplômés réduits à être porteurs ou carreleurs
Un représentant du Comité de la jeunesse palestinienne pour l’asile humanitaire, de Syrie, Mou’aawia Abou Hmayda, s’adresse aux manifestants. « Nous sommes nés réfugiés. Nous sommes aujourd’hui au fond du gouffre et devons réagir. Car nous ne voulons plus vivre ainsi. Nous refusons que nos enfants diplômés en médecine, en génie ou en droit n’aient d’autre choix que d’être porteurs, carreleurs ou vendeurs de légumes », martèle-t-il. « Nous voulons voyager, partir, émigrer dans des pays qui respectent les droits humains », crie-t-il, repris par la foule en colère.

Le comité à l’origine du mouvement de protestation est né il y a trois ans au Liban qui n’abrite plus, selon le dernier recensement, que quelque 170 000 réfugiés palestiniens. À sa création, le comité comptait une petite centaine de membres. « Mais aujourd’hui, il peut compter sur 43 000 adhérents palestiniens, du Liban et de Syrie, tous bénévoles », assure Yasser Darwiche, l’un de ses responsables, qui ajoute que « la grande majorité du peuple palestinien est en faveur de l’asile humanitaire collectif ». Et de préciser que « conformément à la demande des Forces de sécurité intérieure, la participation au sit-in n’a pas été massive, mais représentative ».

C’est alors qu’intervient Wissam Rida, coordinateur du mouvement au camp de Nahr el-Bared, qui accuse publiquement les factions politiques palestiniennes, et plus particulièrement l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), d’avoir « fait pression sur la population du camp pour l’empêcher de participer au sit-in » et d’avoir même « contraint le comité à fermer ses bureaux ». « Que les hommes politiques nous laissent tranquilles ! Qu’ils aient pitié de nous car nous n’en pouvons plus ! Nous en avons assez d’être les otages du droit au retour, alors que nous sommes privés de tout confort et que nous sommes confinés dans de grandes prisons », accuse-t-il, évoquant le chômage élevé (indépendamment de l’initiative du ministre du Travail), l’absence d’infrastructures et le taux élevé de cancer dans les camps.

Le chômage, Nadia Yassine, réfugiée au Liban, le vit au quotidien depuis qu’elle a obtenu un master de l’Université libanaise en sciences sociales. « Je n’ai jamais réussi à me faire embaucher parce que je suis palestinienne, même en tant qu’enseignante », déplore-t-elle.


Émigrer clandestinement, une solution envisagée
Parmi les manifestants, ceux qui ont eu recours à l’émigration clandestine pour fuir une situation intenable ne se comptent plus. Et ce face au refus des ambassades occidentales de leur accorder des visas. « Mon fils est porté disparu. Il a voulu rejoindre l’Italie à partir de la Libye. J’ai appris que son embarcation a coulé et qu’il a été sauvé. Mais depuis, plus rien. Aidez-moi à le retrouver », supplie une femme de Syrie. Un homme raconte son périple en Europe via la Turquie. « Après deux ans en Allemagne, où j’ai tenté d’obtenir en vain un permis de séjour, j’ai été déporté. Et au Liban, je n’ai plus aucune perspective », regrette-t-il. Même les jeunes, qui ont poussé leurs études universitaires, se retrouvent dans l’impasse. Tel ce jeune étudiant qui n’a jamais reçu de réponse du Canada, alors qu’il avait présenté une demande de visa pour y poursuivre des études supérieures. « Je suis qualifié, assure-t-il. Non seulement j’ai un bon diplôme, mais j’ai aussi acquis une expérience professionnelle en Arabie saoudite. Pourquoi suis-je acculé à demander l’asile humanitaire collectif ? »

L’heure du départ retentit. L’hymne national libanais donne le coup d’envoi. Les manifestants se dispersent pour retrouver leur bus sous l’œil attentif des forces de l’ordre. Malgré leur profond désespoir, ces réfugiés palestiniens tiennent à remercier le pays du Cèdre. « Nous voulons remercier le Liban pour son hospitalité durant 72 ans », ont-ils écrit sur une pancarte, qu’ils continuent de brandir bien haut.



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commentaires (9)

Il y a le concept d'état comme le Liban et la Syrie mais la population c'est partagé parmi ces pays (relativement récentes) et la démographie du peuple ne se reflecte que seulement un petit peu dans le concept de ces états. Par exemples si j'ai bien compris les druzes sont des familles partagés en Israel Syrie et le Liban, et les palestiniens aussi de Jordanie, Syrie, Liban etc. Le concept d'état ne correspond au moyen-orient pas vraiement avec l'identité du peules (ou des peuples).

Stes David

10 h 44, le 13 septembre 2019

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Commentaires (9)

  • Il y a le concept d'état comme le Liban et la Syrie mais la population c'est partagé parmi ces pays (relativement récentes) et la démographie du peuple ne se reflecte que seulement un petit peu dans le concept de ces états. Par exemples si j'ai bien compris les druzes sont des familles partagés en Israel Syrie et le Liban, et les palestiniens aussi de Jordanie, Syrie, Liban etc. Le concept d'état ne correspond au moyen-orient pas vraiement avec l'identité du peules (ou des peuples).

    Stes David

    10 h 44, le 13 septembre 2019

  • Tous les refugies de par le monde ont ete relocalise dans des Pays autre que le leur, sauf les Palestiniens qui ont ete forces a rester dans des camps a cause du soit disant droit du retour. LÚNRWA n'a fait qu'énteriner ce fait. Il est grand temps de laisser les palestiniens faire leur choix.

    IMB a SPO

    15 h 33, le 12 septembre 2019

  • Et pourquoi ne pas accepter les 10 milliards de Trump, refaire notre infrastructure et finalement accorder à ces gens le droit qu'ils auraient due avoir depuis 72 ans ? en quoi cela empêcherais plus tard un éventuel retours ? l'origine restera toujours dans le sang. ainsi il retournerons dans leur premiers pays plus riches, plus heureux, mieux organiser plutôt qu'en mendiant avec des vêtements en lambeaux

    Aboumatta

    15 h 16, le 12 septembre 2019

  • Le Liban vous avez tendu la main il y a bien des annees et vous l'avez mordu. Plus jamais vous entendez, plus jamais de geste humanitaire de n'importe quelle ordre. À tous les ingrats le même sort leur sera réservé. Les Libanais sont très humains et très généreux mais ils ne sont pas de pigeons.

    Sissi zayyat

    13 h 14, le 12 septembre 2019

  • Heureusement que la mauvaise foi n'est pas la pomme empoisonnée de la fable , sinon elle aurait étouffé les langues de vipère qui voit des responsabilités de ce drame au mauvais endroit . Tout ça pour éviter d'accuser le cadeau empoisonné légué au Liban en 1948 , et géré par les dirigeants de l'époque , par un état usurpateur qui ne finit pas d'usurper la Palestine. S'il ne s'agit que de cracher son venin par ignorance ou niaiserie chronique, mais faites donc , mais il serait plus difficile ou honnête de proposer des solutions au drame de ces pauvres palestiniens abandonnés en priorité par leurs propres frères. BIEN SÛR QU'ILS DEVRAIENT RENTRER CHEZ EUX , C'EST PAS UNE RESPONSABILITÉ NATIONALE, MAIS INTERNATIONALE , VOILÀ POURQUOI IL EST FAIT APPEL À L'OCCIDENT PRÉDATEUR.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 34, le 12 septembre 2019

  • """ Nous en avons assez d’être les otages du droit au retour """ Tss Tss Tss , TRAHISON EVIDENTE ! ces pauvres bougres ont enfin ose crier LA VERITE & attaquer ouvertement ce fameux/fumeux slogan du droit au retour. Et maintenant, voyons un peu voir ce que les chantres de ce slogan vont faire, quelles seraient leur reactions face a cette TRAHISON des seuls personnes reellemment concernees !

    Gaby SIOUFI

    10 h 02, le 12 septembre 2019

  • Les réfugiés palestiniens et syriens sont malheureux chez nous au Liban ? Je leur conseille vivement de s'adresser directement au chevalier des causes justes, le chef du Hezbollah, grand défenseur de la cause palestinienne, et fidèle copain du Héros de Damas, en ce qui concerne les réfugiés syriens ! On connaît sa générosite de coeur immense envers les opprimés: Palestiniens, Syriens... et aussi son dévouement sans limites pour ses partisans libanais, que nous voyons vivre dans l'opulence et le bonheur. On est certains qu'il saura s'imposer avec force en face de tous les comploteurs occidentalo-israélo-wahabites et les vaincra !!! Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 42, le 12 septembre 2019

  • DESARMEZ-VOUS. LIVREZ VOS ARMES A L,ARMEE LIBANAISE AVANT DE RECLAMER DES DROITS. PUIS LA MAJORITE ECRASANTE DE VOUS TRAVAILLE UN PEU PARTOUT ET DANS TOUT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 34, le 12 septembre 2019

  • La seule solution digne et juste c'est de rentrer en Palestine. Tous les palestiniens des camps,doivent s'adresser à leurs chefs et à leurs organisations demandant quelle stratégie a été adoptée pour pouvoir rentrer dans leur pays? Que font les jeunes pour s'organiser? a quoi servent les organisations comme le Fatah, le FPLP, le FDPLP etc...Qu'ont elles fait depuis cinquante ans? Le Liban ne peut pas être un pays de rechange. S'installer au Liban c'est oublier la Palestine et le droit au retour. L'équation est simple: faites ce qu'il faut pour pouvoir rentrer chez vous? de gré ou de force. C'est à vous , palestiniens de trouver la solution...et à vos chefs de montrer le chemin.

    HIJAZI ABDULRAHIM

    00 h 53, le 12 septembre 2019

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