Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - par Ronald BARAKAT

Quel Grand Liban ?

« Dans un discours télévisé adressé à la nation, le chef de l’État annonce le lancement de la commémoration du centenaire de l’État du Grand Liban proclamé le 1er septembre 1920. »

Un an de célébrations, c’est un peu long et prématuré parce que l’État du Grand Liban a encore des croûtes à manger pour atteindre sa majorité.

Au lieu de célébrer un « mythe » pour le plaisir de célébrer ou pour faire diversion, œuvrez plutôt à en faire une réalité. Célébrez moins et travaillez plus pour célébrer quelque chose qui soit digne d’être célébré ! C’est fou ce que vous aimez célébrer! Célébrer une entité créée par une puissance mandataire ? Et encore, si on avait su préserver ce cadeau qu’on a brisé mille fois et en mille morceaux.

Si la célébration de l’indépendance, réalisée par nos propres mains, se fait depuis un certain temps sans grande conviction et même avec un zeste de honte, comment célébrer un État du Grand Liban lorsque, avant d’en arriver au « Grand Liban », l’État, en tant que tel, peine à se constituer ? Célébrer un État à l’ombre du mini-État ? Un État de non-droit ? De mauvaise gouvernance ? Rongé par la corruption ? Qui viole sa Constitution ? Qui restreint la liberté d’expression ? Qui censure des spectacles ? Qui réprime artistes, journalistes, internautes et blogueurs ? Qui procède à des arrestations arbitraires sur base de fausses accusations, comme dans l’affaire Ziad Itani ? Qui ne lui obtient pas réparation ? Qui ne protège pas contre les actes de torture, mais qui s’en rend complice ? Qui laisse disparaître ses citoyens, comme Joseph Sader ? Ses détenus dans les geôles syriennes ? Qui ne donne pas suite aux arrêts de sa propre justice, comme dans l’affaire Bachir ? Un État d’injustice ? Quel État ? Et quel Grand Liban ? Exerce-t-il sa souveraineté sur ses 10 452 km2 pour être vraiment grand et célébrer sa grandeur ? Est-il souverain, tout court ? Vous affirmez que « nul n’a le droit de violer le territoire libanais comme bon lui semble ». Mais le violer de l’intérieur est permis ? Violer sa Constitution est permis ? Confisquer des pans de territoire, en faire des chasses gardées est permis ? Creuser un « sous-Liban » pour y entreposer des missiles est permis ? Creuser des tunnels, transgresser la ligne bleue et titiller le diable est permis ?

On l’a bien rapetissé, ce Grand Liban, morcelé par des zones de non-droit, des périmètres de sécurité, des enclaves étrangères, des régions autonomes régies par les lois théocratiques et non démocratiques, où l’on interdit la vente et la consommation d’alcool, à titre d’exemple, où le crime d’honneur est toujours à l’honneur, où la vendetta tribale bat son plein, où le confessionnalisme sent à plein nez, où le statut personnel est aux mains des religieux, où la phallocratie sévit jusqu’à la violence conjugale impunie, où le mariage civil est interdit, mais pas le mariage avec des mineures !

Quel Grand Liban ? Recouvert d’ordures à l’échelle de sa grandeur? Aux montagnes éventrées de carrières ? Aux rivières polluées ? À l’air infesté ? Toujours dans l’obscurité ? Et l’obscurantisme de surcroît ? De qui vous moquez-vous ? À part du public acquis à la thèse de la paternité pour tous et du « grand peuple du Liban » !

Quel Grand Liban en la présence de ces « grands » qui assoient leur grandeur armée sur la population et les institutions, tout en se considérant les petits soldats de wilayet al-faqih ?

Quel Grand Liban avec des Libanais qui se réfèrent à des pays plus « grands » que leur pays ? Qui leur prêtent allégeance ? Quel Grand Liban avec des Libanais plus iraniens, plus saoudiens, plus syriens que libanais ?

Quel Grand Liban avec des Libanais plus maronites, plus orthodoxes, plus sunnites, plus chiites, plus druzes que libanais ?

Quel Grand Liban avec des Libanais plus Hezbollah, plus Amal, plus Futur, plus FL, plus CPL, plus PSP que libanais ?

Il ne veut pas ce genre de grandeur, le Liban ! Il veut d’abord des Libanais grands pour se sentir grand ! Il n’est pas né le 1er septembre 1920 pour du petit pain, pour se retrouver si petit le 1er septembre 2019, si tutoré, si timoré, si ballotté, si partagé, si tiraillé entre deux États ! L’un qui se veut grand, l’autre qui se veut plus grand ! L’un qui se veut laïque, l’autre qui se veut islamique !

Et toujours, dans les discours de ses dirigeants, cette langue de bois qui n’est certes pas du bois de cèdre. Toujours ce leitmotiv de la condamnation du confessionnalisme à chaque discours. Mettez donc les mécanismes d’application en place conformément à la Constitution ! Créez cette « instance nationale » ou ce « corps médical » qui va plancher sur cette tumeur pour voir comment l’extraire ou l’éradiquer ! Vous auriez pu au moins annoncer une mesure concrète avec le coup d’envoi des célébrations ! Si vous pouviez, parallèlement à la fiesta, instituer des classes d’éducation à la laïcité et à la citoyenneté !

Une autre ritournelle veut qu’on rappelle, dans la même (dé)veine, la fameuse lutte contre la corruption, ce (dis)cours théorique sans travaux pratiques. Vous auriez pu aussi annoncer la mise en place et l’activation de la Commission nationale anticorruption, le réveil des lois existantes mais dormantes, telles que le droit d’accès à l’information, la ranimation des propositions de lois mourantes, telles que la protection des lanceurs d’alerte et autres… Au moins pour compenser la suppression du ministère de Lutte contre la corruption !

Nous n’irons pas jusqu’à avancer notre propre leitmotiv et réclamer l’application de la clause de l’accord de Taëf sur la dissolution des milices. Ce serait trop demander.

Je ne veux pas jouer les trouble-fête, mais il n’y a pas GRAND-chose à fêter ! Et c’est cette loupe que vous utilisez pour voir le Liban grand qui fait qu’il reste toujours petit.

Mais si vous insistez pour fêter, si vous trouvez qu’il y a de quoi célébrer, sur une année entière, un centenaire grevé de dissensions et de guerres, un centenaire qui a menacé et réduit ses cèdres millénaires, si vous avez de l’argent – puisé dans nos poches épuisées – à gaspiller, au moment où des Libanais crient famine, s’immolent par le feu pour n’avoir pu payer la scolarité de leurs enfants, soit, qui peut vous en empêcher ? Le peuple libanais grand par sa servitude volontaire ?

Bonne fête, quand même, du Grand Liban et du petit bilan !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

« Dans un discours télévisé adressé à la nation, le chef de l’État annonce le lancement de la commémoration du centenaire de l’État du Grand Liban proclamé le 1er septembre 1920. »Un an de célébrations, c’est un peu long et prématuré parce que l’État du Grand Liban a encore des croûtes à manger pour atteindre sa majorité. Au lieu de célébrer un...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut