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Santé - GPS parental à l’ère technologique

II - Les dérives des réseaux sociaux

Deuxième volet d’une série de trois articles sur les effets néfastes des nouvelles technologies et leur impact sur les enfants et adolescents.

Le faux profil est une arme dont se servent les prédateurs pour dénicher leurs proies. Photo tirée d’une affiche de Kafa pour sensibiliser à l’abus sexuel via les réseaux sociaux

Janvier 2015. Poste de police de Gemmayzé. Motif : harcèlement via les réseaux sociaux. Plainte : C. 15 ans vs M. 15 ans.

« Vous ne vous rendez pas compte du mélange explosif qu’a entre les mains toute cette génération ! Une arme en puissance au bout des doigts, mixée à de l’immaturité ! C’est un cocktail Molotov qui peut leur exploser à la figure à n’importe quel moment ! »

Le cri de cœur de cet officier de police qui commence, malgré lui, à avoir une bonne dose d’expérience de ce type de plaintes, résume à lui seul l’ampleur de la situation. Harcèlement scolaire, chantages, intimidations, manipulation par des adultes inconnus ou par des pairs, isolement et rejet de groupes ne datent pas d’aujourd’hui. L’ampleur que ces actes prennent à l’ère des nouvelles technologies (NT) et spécifiquement des réseaux sociaux est toutefois titanesque, ceux-ci constituant une arme paradoxale et à double tranchant. À plus d’un niveau.

Les réseaux sociaux sont utilisés par les agresseurs pour perpétuer leurs méfaits ou crimes ; par les victimes pour donner sens et/ou visibilité à leur détresse et leur désarroi ; et enfin par les protecteurs de l’enfance pour diffuser et sensibiliser les jeunes et moins jeunes à leurs risques et dérives. Et leurs dangers sont multiples. Nous en retenons notamment :

– La pédopornographie. Ce phénomène s’est mondialisé et bat tous ses records. Les viols d’enfants sont filmés et postés sur les sites concernés.

– Le « Happy Slapping » ou vidéolynchage ou vidéoagression. Devenue à la mode, cette pratique consiste à diffuser sur les réseaux sociaux la vidéo d’une agression filmée avec un téléphone portable. Son objectif ? Humilier une deuxième fois la victime. Est-il utile de souligner la perversité du terme « Happy » (littéralement joyeux) ?

– Le « Cyberbullying » ou cyberintimidation. Les enfants et ados brimés et harcelés dans la cour de récré continuent à l’être sur les réseaux sociaux et devant un « public » qui ne fait que s’élargir.

– L’augmentation du nombre de suicide des victimes par harcèlement. L’anonymat et la distance que permettent les NT désinhibent encore plus les agresseurs et décuplent la violence des agressions. Une violence qui peut atteindre des niveaux effroyables allant jusqu’à l’incitation au suicide.

– Le « Fake Profile » ou le faux profil. Il s’agit d’une arme redoutable qui fait le bonheur des prédateurs, allant du simple ado harceleur au pédophile, qui n’ont même plus besoin de se déplacer et de s’exposer pour dénicher leurs proies.

– La diffusion de photos privées. Les psys rencontrent de nombreuses adolescentes de moins de 15 ans dont les photos nues ou en sous-vêtements sont diffusées sur les groupes WhatsApp des ados. En manque de confiance ou de reconnaissance, elles se retrouvent malgré elles amadouées, influencées, embobinées par un garçon qui leur plaît et qu’elles ne veulent pas décevoir.

Nous l’avions précisé dans le premier volet de cette série, il ne s’agit pas de diaboliser les NT. Mais il est impératif que les enfants soient préparés, dès le plus jeune âge, aux côtés pervers et destructeurs des rencontres à travers les jeux collectifs en ligne avec des inconnus et particulièrement via les réseaux sociaux.


Encadrement et préparation en amont

Le problème, c’est que les ados apprennent surtout par expérience. De plus, il est quasiment impossible de ne pas leur donner accès aux réseaux sociaux. Ils se débrouilleront toujours, d’une façon ou d’une autre, pour créer un compte. Par conséquent, la seule ceinture de sécurité possible est de maintenir une communication saine avec eux. Comment ?

En construisant dès leur tendre enfance un lien ouvert, une écoute sécurisante et bienveillante, une communication qui ne se limite pas aux conseils quotidiens (devoirs scolaires, hygiène, etc.). Il s’agit plutôt de soulever avec eux les questions qui leur paraissent existentielles, de découvrir leur vision de la vie et leurs points de vue sur différents sujets ou événements.

Cela peut commencer dès l’âge de 4 ans. Pour plus d’efficacité, il est préférable de ne pas leur imposer votre avis personnel, mais juste de le partager avec eux. Intéressez-vous également au contenu de leurs jeux vidéo préférés, à ce qu’ils en pensent, à ce qui les attire dans ces jeux et aux raisons pour lesquelles ils les attirent. Au lieu de leur dire « comment ils doivent penser », posez-leur plutôt des questions qui les feront réfléchir – et pousser plus loin leur réflexion – sur tous ces sujets. Cette méthode les aidera à développer leur sens critique. Il est important d’appliquer cette méthode de communication de manière répétée et à toutes les phases de leur développement car, en grandissant, leur raisonnement évolue.

Ce n’est qu’ainsi qu’ils pourront, une fois qu’ils atteignent l’adolescence, avoir confiance en eux pour éviter les pièges d’internet. Mais aussi en vous, pour avoir envie de vous confier leurs problèmes relationnels au lieu de chercher secours auprès d’inconnus sur des forums de discussions et sur les réseaux sociaux.

Autant l’on peut concevoir l’utilité des réseaux sociaux dans certaines situations de la vie personnelle et professionnelle adulte, autant il est difficile de leur trouver des avantages dans la vie des enfants et des adolescents. Certes, dans certains cas d’isolement extrême, de phobie sociale ou scolaire, d’autisme Asperger, les réseaux sociaux permettent à ces adolescents de sortir de leur solitude, d’apprendre à tisser des liens avec leurs pairs. Là réside, semble-t-il, l’aspect positif de ces outils. Mais jamais sans encadrement.

Face aux conseils des professionnels de la santé mentale, la plupart des parents s’alarment : « Mais c’est impossible de leur retirer l’accès ! Tous les autres ont des smartphones et des comptes sur les médias sociaux ! Ils seront isolés ! » Comment répondre à cette quasi-panique des parents ? Imaginez que vous êtes emporté(e)s en groupe par le courant d’une rivière qui, en apparence, ne semble pas troublé. Seulement voilà, vous êtes la seule personne à savoir qu’une falaise vous attend au bout de la rivière. Que feriez-vous ?

Il est peut-être trop tard de protéger cette génération d’adolescents des dangers des réseaux sociaux, mais rien ne nous empêche d’apprendre et de rectifier le tir pour protéger la suivante, d’autant plus que des comités d’éthique et de protection de l’enfance planchent en ce moment pour légiférer l’utilisation des NT sur un plan international.

En bref, vous viendrait-il à l’idée de permettre à vos enfants et ados de consommer de la drogue ou de l’alcool, ou même de conduire ? Après avoir pris connaissance de cette liste non exhaustive des risques encourus sur les réseaux sociaux, quelle attitude adopterez-vous ? Nous en conviendrons. La tâche n’est pas simple. Ni pour les parents ni pour les professionnels. Une option serait que les parents d’un groupe d’amis se réunissent pour parvenir à une décision commune concernant les règles collectives à mettre en place. Il est difficile de dire ce qu’il faut faire, mais nous pouvons tout au moins en parler. Entre parents dans un premier temps, avec les enfants/ados dans un second temps et avec l’aide d’un professionnel si nécessaire.

* Maha Rabbath est psychologue clinicienne, psychothérapeute analytique et hapto-psychothérapeute, et membre du Centre international de recherche et de développement de l’haptonomie (CIRDH).


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