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Nos Lecteurs ont la Parole - par Joumana DEBS NAHAS

À quoi bon...

Nous avons, au Liban, encore aujourd’hui, un niveau éducatif globalement élevé, tant au niveau scolaire qu’universitaire. Nos établissements, tant religieux que laïcs, rivalisent de moyens dans la recherche de l’excellence.

Faut-il vraiment s’en réjouir ?

Je me permets d’en douter, quitte à en hérisser plus d’un.

Car enfin à quoi bon… À quoi bon une éducation de pointe dans un environnement aussi morose que l’environnement libanais ?

À quoi bon faire entrevoir à nos enfants des horizons prometteurs qui n’existent qu’ailleurs, et encore, à condition de porter préférablement une seconde nationalité, plus solide que la libanaise ?

Nous nous gonflons d’orgueil et nous bombons le torse en évoquant nos excellentes écoles et universités, et notre niveau d’éducation plus élevé que dans la plupart des pays de la région. Soit.

Mais nous oublions que l’éducation dont jouissent nos enfants ne servira qu’à les frustrer, dans un avenir très proche, quand le marché du travail ne leur offrira que des miettes pour salaire, et qu’ils risquent fort bien de se retrouver surqualifiés pour la plupart des postes qu’on pourrait leur proposer.

Nos enfants apprennent le civisme ; ils apprennent que l’environnement est en grave danger ; ils apprennent que l’avenir sera vert ou ne sera pas.

Ensuite, nous les emmenons en promenade à travers le Liban. Ils comprennent tout seuls l’incivisme érigé en règle de vie ; les routes crevassées ; les misérables bidonvilles collés à la plage paradisiaque. Ils voient bien que nul ne se soucie de l’environnement, à part peut-être le temps d’une virée de nettoyage bien médiatisée. Et ils voient bien que l’avenir du Liban ne sera pas.

Nos enfants travaillent fort et bien, sous notre impulsion, dans la recherche continue d’une excellence promise à des cieux plus accueillants. Et nous nous surprenons à leur souhaiter d’être engagés dans ces ailleurs lointains, d’y trouver et d’y installer leur avenir.

Si le Liban fait fuir ses cerveaux, et cela depuis toujours, on en vient à se demander à quoi bon les former ?

Qu’on ne me méprenne pas. Ceci n’est en aucun cas un plaidoyer pour un relâchement de l’un des seuls domaines qui soient encore sujet de fierté pour les Libanais. Bien au contraire. C’est un ultime appel pour que le Liban soit un peu plus à l’image de l’éducation qu’il assure à ses enfants. J’avoue qu’il m’est arrivé plus d’une fois dans ma vie d’adulte de maudire l’éducation que j’ai reçue, et qui s’est avérée être en désaccord total avec tout ce qui m’entoure. Un fossé, des siècles séparent ce qu’on apprend et ce qu’on vit.

Je veux bien retenir mes enfants ; je veux bien les inciter à ne pas quitter le pays, à ne pas envisager un avenir ailleurs que sous nos cieux. Encore faut-il qu’un avenir les attende ici. Je veux bien leur dire d’être fiers de leur libanité et de s’enorgueillir de n’avoir pour seule nationalité que la libanaise, mais je ne peux m’empêcher de m’en vouloir de ne pas avoir cherché à les protéger en leur faisant cadeau d’une nationalité qui leur fermerait moins de portes.

Je veux bien me battre encore, croire encore en ce Liban que j’aime et que j’abhorre. Encore faut-il que le Liban aime ses enfants et cherche à les retenir.

Je veux bien que l’on éduque nos enfants aux valeurs les plus élevées, mais j’ai honte quand je ne peux leur cacher la corruption qui ronge tous les coins et recoins de l’administration depuis des décennies. J’ai honte de leur avouer que le crime paie bel et bien, alors même que je m’échine à leur apprendre à marcher droit, quoi qu’il leur en coûte.

Partir ou rester… La question que se pose chaque Libanais dès qu’il atteint l’âge de discernement. La question qui laisse indifférents tous les responsables depuis que le Liban existe, et pour cause : aucun d’entre eux n’a jamais été inquiété d’une éventuelle prise de responsabilité.

Le Liban étouffe, le Liban n’en finit pas de se défigurer et de mourir, dans l’indifférence la plus totale. Mon sang a beau bouillir pendant que j’écris ces lignes, les larmes de milliers de parents libanais auront beau couler de tristesse face à leurs enfants acculés à partir ; les rues ont beau être désespérément jonchées de détritus ; les ménages ont beau s’endetter et se surendetter pour endiguer la faillite d’un pays qui n’existe plus que dans notre mémoire endolorie ; rien n’y fait. Rien n’y fera jamais.

Car ceux qui détiennent la clé ne sont pas prêts à faire passer le pays avant leurs agendas propres, et le slogan « Liban d’abord » restera à jamais un slogan creux.

Et nos enfants continueront à aller tous les matins à leurs excellentes écoles… À quoi bon.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Nous avons, au Liban, encore aujourd’hui, un niveau éducatif globalement élevé, tant au niveau scolaire qu’universitaire. Nos établissements, tant religieux que laïcs, rivalisent de moyens dans la recherche de l’excellence.Faut-il vraiment s’en réjouir ? Je me permets d’en douter, quitte à en hérisser plus d’un.Car enfin à quoi bon… À quoi bon une éducation de pointe dans...

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