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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

Protégés et retour des protectorats

J’entends des personnes, et souvent même des spécialistes, qui procèdent à des analyses de haute politique et qui vous disent que tel régime politique « protège » les chrétiens contre des mouvements extrémistes, que telle alliance avec un parti ayant une extension régionale « protège » contre les risques d’instabilité et d’agression.

Comment cette mentalité de protection s’est-elle étendue, et presque généralisée, ramenant tous les acquis de la démocratie à l’ère des féodalités, des seigneuries et des tribus ?

Plus grave : cette mentalité se trouve répandue et exploitée par des régimes tyranniques au Proche-Orient, et ailleurs, qui pratiquent le chantage diplomatique et le chantage auprès d’une population apeurée et proclament : C’est le régime en place ou la pagaille! Cette mentalité de protection et de protectorat d’autrefois provient des perversions du droit, un droit exclusivement instrumentalisé et manipulé aux dépens de ses fondements valoriels de justice.

L’État de droit, dont on parle si souvent au point que la notion se trouve réduite à un slogan, n’est plus perçu comme le moyen suprême de protection à l’encontre de la force du pouvoir et la force des divers réseaux d’influence. Les lenteurs de la magistrature, son corporatisme, ses complicités tacites ou flagrantes avec des réseaux d’influence, à travers des ouvertures politiques de dossiers contre des rivaux politiques ou des leaders industriels, sous couvert de transparence et de défense de l’argent public, contribuent à faire perdre au droit sa qualité première : la garantie des libertés et des droits.

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La déliquescence d’un droit malade comporte des risques majeurs. Risques sur l’effectivité du droit, certes, mais surtout sur l’avenir même de l’État. Des groupes transétatiques terroristes, soutenus par des États voyous, prolifèrent. Des États voyoux soutiennent ces groupes et leur fournissent les moyens pour s’étendre dans une perspective d’hégémonie régionale. Ils laminent ainsi des États démocratiques. Les grands observatoires de l’évolution démocratique dans le monde qui observent et analysent les indicateurs de la démocratie occultent les raisons profondes de la décadence. Des légalistes, à fleur de peau et du texte, oublient la fonction du droit et de l’État en tant que moyen suprême de garantie.

La lutte contre le terrorisme occulte la principale origine du terrorisme qui réside dans l’extension d’une diplomatie du chantage : le régime tyrannique en place ou la pagaille ! Cette diplomatie débouche sur le soutien d’États voyous qui alimentent des organisations transétatiques dans un but d’hégémonie.

C’est le retour de l’ère des protectorats au détriment de l’État de droit et, plus grave, de tout État en faveur de seigneuries protectrices, alors que la construction de l’État est le fruit de plus de quatre siècles de civilisation à l’encontre des féodalités et seigneuries. La notion de loi a en effet émergé dans l’histoire en vue de protéger les gens contre les « protecteurs ». Quis custodiet ipsos custodes ?

(Juvénal, Satire VI, 347-348) : « Qui nous protégera de nos protecteurs ? »

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Dans une mentalité manipulée et populiste, des « protégés », au Liban et ailleurs, mus par le complexe de dhimmitude, parlent de régime fort, souhaitent et justifient le non-droit. C’est dire que ce n’est plus la suprématie de la Constitution qui fait la force d’un régime ! Le cancer atteint le cœur même de la démocratie, de l’État et du droit. Le remède ? Une diplomatie moins apeurée, un autre enseignement du droit, des médias qui informent vraiment, et une réévaluation de l’éducation à la démocratie et aux droits de l’homme.

Ancien membre du Conseil constitutionnel

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

J’entends des personnes, et souvent même des spécialistes, qui procèdent à des analyses de haute politique et qui vous disent que tel régime politique « protège » les chrétiens contre des mouvements extrémistes, que telle alliance avec un parti ayant une extension régionale « protège » contre les risques d’instabilité et d’agression. Comment cette...

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