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Culture - Exposition

Le musée Nabu sur les traces des grands peintres libanais

Plus de 300 dessins, tableaux et sculptures issus du travail de pas moins de 35 artistes libanais sont exposés au musée sis à el-Heri et réunis sous le titre « Traces of Drawings ». Une occasion de s’immerger dans l’art moderne libanais, depuis ses débuts vers la fin du XIXe siècle, jusqu’au lendemain de la guerre civile.


L’exposition « Traces of Drawings » au musée Nabu montre plus de 300 dessins, tableaux et sculptures issus du travail de pas moins de 35 artistes libanais. Avec l’aimable autorisation du musée Nabu.

Quand un pays regorge de merveilles et de trésors, il est certainement bien dommage que seul un petit échantillon de sa population en jouisse. À part cette élite – souvent beyrouthine – née dans la « bonne » caste, qui peut véritablement se targuer de connaître les joyaux de la peinture libanaise ? Et pourtant, il suffirait d’en parler (et pas seulement dans les écoles et les universités) pour créer le désir ; car c’est du désir que naîtra la valeur.

« Le musée Nabu a été conçu pour renseigner le public libanais à propos de l’art produit par les Libanais », rappelle Yasmine Taan, curatrice de cette première exposition temporaire. Cet été, le musée poursuit sa mission en offrant la possibilité de découvrir, entre autres, les minutieuses études anatomiques du grand Daoud Corm (1852-1930) ; les croquis et les acryliques de Omar Onsi (1901-1969) quand il s’essayait à la reproduction du cactus ; les symbolistes et mystiques dessins de Khalil Gibran (1883-1931) ; les explosions floresques de Bibi Zogbe (1890-1973) ; les plans des sculptures monolithiques de Michel Basbous (1921-1981) ; les somptueuses évanescences d’Yvette Achkar (1928-) ; les hommes-machines futuristes de Paul Guiragossian (1926-1993) ; les études de nu et du café turc de Moustapha Farroukh (1901-1957) ; le travail du noir et blanc quasi naïf d’Etel Adnan (1925-) ; ou encore les somptueuses études sur le désert de Aref el-Rayess (1928-2005). Sans parler des croquis et des œuvres de Habib Srour (1860-1938), César Gemayel (1898-1958), Jean Khalifé (1923-1978), Saliba Douaihy (1915-1994), Seta Manoukian (1945-)... De quoi s’occuper les yeux et se cultiver quelques heures durant. « Cette exposition fait un beau tour de la modernité dans l’art au Liban. Évidemment, tout le monde n’a pas pu être représenté, mais cette exposition donne une bonne vision de l’évolution des arts plastiques et de la peinture dans le pays », souligne, pour sa part, Pascal Odile, expert en art au musée Nabu et scénographe de cette exposition. « Il a fallu travailler à la fluidité, à la cohérence interne et imaginer une scénographie pertinente pour présenter tous ces travaux qui n’ont pas forcément un point commun », ajoute-t-il. Si l’on peut reprocher à l’exposition la reprise occasionnelle d’objets archéologiques issus de l’exposition permanente (beaux objets, certes, mais qui n’ont rien à voir avec le dessin), le résultat global est particulièrement esthétique, précis dans son ensemble et reste efficacement didactique. Notamment grâce à la disposition chronologique des objets présentés, qui permet de constater l’évolution de la pratique du dessin, dont la fonction au début de la modernité (c’est-à-dire vers la fin du XIXe siècle) était de s’exercer à l’imitation de la réalité, puis qui a évolué vers l’abstraction et l’expressivité pure.

« On constate aussi une profonde évolution du corps humain au fur et à mesure qu’on progresse dans le siècle. C’est vraiment intéressant de voir les corps nus de Daoud Corm, et plus loin sur le mur d’en face, les sketches de l’homme-machine de Paul Guiragossian. Ou encore comment des artistes comme Laure Ghorayeb et Etel Adnan se servent du dessin pour raconter des histoires ou des poèmes », ajoute Yasmine Taan. Et de poursuivre : « Au premier étage, on peut constater que la partie gauche est constituée des professeurs des artistes de droite. À l’exception de Marie Haddad peut-être. Mais Habib Srour, Daoud Corm et Moustapha Farroukh sont les pionniers qui ont inspiré la génération suivante, dont on peut voir les œuvres sur la partie droite. »

Quant à l’étage supérieur, il expose un véritable renouvellement de la pratique du dessin au tournant des années 1960. « À cette époque, les artistes ne copient plus la réalité, ils s’expriment de manière complètement nouvelle : sous l’impulsion de l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA), de l’école américaine et de l’Académie française, l’abstraction fait son apparition dans le dessin libanais », explique la curatrice, soulignant au passage que plus d’un an de travail et de préparation a été nécessaire pour monter « Traces of Drawings ». « Une des principales difficultés a été de convaincre les collectionneurs, les familles des artistes, les galeries, que les dessins, les croquis, les esquisses sont presque plus importants que l’œuvre d’art finale », indique-t-elle.


Le dessin, une percée dans l’esprit de l’artiste

« Nous avons voulu montrer une exposition qui soit différente des autres : notre but n’était pas juste d’exposer des peintures, nous voulions montrer ce qui se passe derrière la scène, dans les coulisses des œuvres », dévoile la curatrice, professeure à la LAU (Lebanese American University) et titulaire d’un doctorat en histoire de l’art et communication de McGill (Canada) et de l’institut Pratt (New York). « À la base de l’exposition, nous nous sommes posé la question suivante : comment les artistes développent-ils leur idée, leur pensée, avant de produire une œuvre finale ? C’est là qu’interviennent les esquisses, les croquis, le travail préparatoire à l’origine du concept d’une production. À terme, étant donné que tous les dessins ne mènent pas à l’œuvre finale et qu’il y a aussi des artistes dont le croquis est en lui-même l’œuvre finale, l’objectif est de susciter chez le visiteur des questions telles que : qu’est-ce qu’un dessin ? Est-il relié à l’œuvre ? Comment l’est-il ? Pourquoi n’avez-vous pas mis un dessin pour cet artiste ? Pourquoi ne montrer que la peinture ? »

En effet, ce genre de question vient assez spontanément à l’esprit quand, en se promenant sur les deux étages du musée, on se trouve tantôt devant un dessin et son œuvre finale (et il est alors passionnant de voir l’évolution d’une œuvre par rapport à une de ses versions antérieures, curiosité qui tourne parfois à l’enchantement, par exemple face au superbe tableau Train I de Mohammad el-Rawas), tantôt devant des dessins orphelins, ou tantôt devant une œuvre finale qui n’a pas son double en croquis – à noter que ce dernier cas de figure arrive tout de même malheureusement assez fréquemment.

Enfin, quand on sait l’importance mineure qu’on leur accorde parfois, on comprendra la difficulté de réunir des dessins et des croquis, brouillons souvent détruits par les artistes eux-mêmes. Il faut dire que le lien entre certaines œuvres finales et les dessins a été souvent fait de manière arbitraire par le musée Nabu, qui est allé chiner chez les collectionneurs et les familles des artistes jusqu’à Londres, Paris ou New York. Pour réunir ce patrimoine, le musée a aussi collaboré avec des galeries et des fondations libanaises, telles que les collections Saradar, François Sargologo et Saleh Barakat, les galeries Agial et Janine Rubeiz, ou encore la fondation Guiragossian... Avec même des exclusivités, comme certains dessins de Daoud Corm ou de Marie Haddad, qui n’auraient été jamais montrés publiquement. Bref, il serait assurément dommage de passer à côté d’une telle concentration de beauté constituant un véritable patrimoine national, produit d’une génération d’artistes libanais incontestablement prolifiques et talentueux. Consacrer ne serait-ce que quelques heures à l’exploration de leurs œuvres est une autre manière de se regarder dans un miroir, comme Laure Ghorayeb a pu le suggérer dans un de ses dessins-poèmes, visible au second étage du Nabu : Sauve ton hier des mémoires.

Et l’on se souviendra alors de cette célèbre phrase de Winston Churchill qui, lorsqu’on lui demanda de couper le budget des arts et de la culture en pleine Seconde Guerre mondiale, eut cet éclair de génie et répondit : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? »

*Musée Nabu, du 16 juin au 12 septembre 2019


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