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Liban - État des lieux

Loi antitabac au Liban : vers un amendement pour une meilleure application ?

Quelques mois après son entrée en vigueur en 2012, la loi a été largement enfreinte dans les lieux publics. Certaines parties proposent de restituer des zones fumeurs et non-fumeurs. La société civile s’y oppose.


La cause de la non application de la loi 174 de lutte contre le tabac : « Un manque de volonté politique » selon de nombreux militants suivant le dossier de près. Archives AFP

« Le Liban est indéniablement le pays des toutes les contradictions. On vote des lois qu’on refuse d’appliquer. Seules celles qui servent les intérêts des uns et des autres le sont. La loi de lutte contre le tabac en est le parfait exemple ! Il suffit de faire un tour dans les restaurants et cafés qui proposent la chicha. Là-bas, les non-fumeurs n’ont pas leur place. On nous regarde comme si nous venions d’une autre planète. Et si nous osons protester, on nous fait comprendre que dans ces endroits, ce sont les fumeurs qui sont dans leur droit ! »

Georges ne cache pas sa colère, encore moins son indignation concernant le chaos qui règne à ce niveau. L’application de la loi 174 de lutte contre le tabac fait encore défaut, près de sept ans après son entrée en vigueur le 3 septembre 2012. Cette loi fut finalement vraiment appliquée quatre mois, jusqu’aux fêtes de Noël et du Nouvel An.

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Marwan Charbel, avait lors d’une interview télévisée, implicitement fait comprendre que les forces de l’ordre ne seraient pas intransigeantes sur son application pendant la période des fêtes. Depuis, les choses ne sont plus jamais rentrées dans l’ordre, malgré les campagnes soutenues de la société civile. La raison ? « Un manque de volonté politique », estiment de nombreux militants suivant le dossier de près, qui soulignent que le ministre du Tourisme, Avédis Guidanian, craint qu’une telle mesure ne nuise au secteur du tourisme. L’Orient-Le Jour a essayé à plusieurs reprises d’entrer en contact avec M. Guidanian. En vain. Il est à noter que l’application de la loi 174 relève de quatre ministères : la Santé, l’Économie, le Tourisme et l’Intérieur. « L’application de la loi nécessite un suivi ferme sur le terrain, qui doit être essentiellement effectué par le ministère du Tourisme, en collaboration avec les Forces de sécurité intérieure, insiste le vice-Premier ministre Ghassan Hasbani. Malheureusement, le tabagisme n’est pas pris au sérieux, alors que la facture de santé liée à ce fléau est assez élevée. »

Une unité spécialisée

Fadi est chef de rang dans un des restaurants huppés de la capitale. Asthmatique, il doit subir au quotidien la fumée d’une centaine de cigarettes et… de cigares. « Au début, la loi était bien suivie ici, et ce d’autant plus après que nous avons eu droit à une amende d’un million de livres (autour de 666 dollars), raconte-t-il. Malheureusement, nous n’avons pas tardé à l’enfreindre, suivant la tendance dans tout le pays. Au grand dam des non-fumeurs qui se plaignent parce qu’ils ne peuvent plus savourer les plats qu’on leur propose, mais aussi des employés, parce que nous suffoquons. Le problème, c’est que les clients fumeurs ne ressentent aucune gêne. Ils ne sont même pas conscients qu’ils nous empoisonnent la vie. Souvent, ils attendent que nous les servions pour nous envoyer la fumée de leurs cigares en pleine figure. »

Fadi confie que le soir, de retour à la maison, il sent que la fumée du tabac lui colle à la peau. Même après avoir pris une douche, je continue à la sentir dans le nez et la gorge. « Je dois prendre un traitement pour me soulager, souligne-t-il. Le matin, les locaux aussi sentent fort le tabac. Même si nous aérons les lieux, l’odeur du tabac froid persiste sur les meubles et les murs. »

« La Chambre des députés doit exercer sa mission de contrôle », s’insurge Rania Baroud, coordinatrice de la campagne nationale pour l’application de la loi 174. « Chaque loi va être contestée par un groupe de gens qui profitent du chaos qui règne, poursuit-elle. Prenons l’exemple de l’électricité. Les propriétaires des générateurs vont sûrement être lésés au cas où une stratégie visant à assurer le courant vingt-quatre heures sur vingt-quatre heures serait mise en place. S’ils contestaient une telle stratégie, l’État prendrait-il leurs revendications en considération et ferait-il en sorte que la loi préserve leur droit ? Ce serait inouï. Or, dans le cas de l’application de la loi sur la lutte antitabac, on constate que l’État est soucieux des intérêts des restaurants, pubs et cafés plus qu’il ne l’est de la santé des citoyens ! »

Pour Rania Baroud, une bonne application de la loi devrait se traduire par « la mise en place d’une unité spécialisée au sein des forces de l’ordre, avec des normes unifiées notamment pour ce qui est de la manière de dresser les procès-verbaux ». Elle explique, dans ce cadre, que lors de la courte période d’application de la loi, « de nombreux procès-verbaux étaient dressés au nom de l’employé étranger qui servait le narguilé, et non au nom de l’établissement ». « De ce fait, nous ne pouvions pas les retracer », déplore-t-elle.

Huit mille procès-verbaux en quatre mois

Actuellement, des rumeurs circulent selon lesquelles un amendement de l’article 5 de la loi sera proposé de manière à remettre en place des zones fumeurs et non-fumeurs dans les restaurants. Une éventualité à laquelle s’opposent farouchement les militants antitabac. « Ce n’est pas la première fois qu’on essaie de l’amender » , rappelle Rima Nakkash, coordinatrice du groupe de recherche sur la lutte antitabac à l’Université américaine de Beyrouth. « Une première tentative a eu lieu en 2012, bien avant son entrée en vigueur. Mais cette option est inenvisageable, parce que le Liban doit se conformer aux dispositions de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac qu’il a ratifiée », explique-t-elle.

Pour Rima Nakkash, l’expérience a montré que la loi 174 peut être appliquée « si l’exécutif a la volonté de la faire ». En effet, durant la période où elle l’a été, quelque 8 000 procès-verbaux ont été dressés à l’encontre des contrevenants. « Certains aspects de la loi sont bien appliqués, comme l’interdiction de la publicité sur les produits tabagiques et du sponsoring par les industries de tabac, poursuit-elle. En ce qui concerne les messages d’avertissement, il était prévu de les limiter dans un premier temps aux textes écrits. Maintenant, on devrait passer aux images chocs qui ont prouvé leur efficacité pour dissuader les fumeurs. Mais le décret d’application n’a pas encore été publié. »

Georges Okais, membre de la commission parlementaire chargée de contrôler l’application des lois, affirme à L’OLJ que « rien n’a encore été décidé ». « Nous n’avons aucun préjugé, nous sommes toujours en phase de collecte des idées », assure-t-il, soulignant que la commission a recensé cinquante-deux lois qui ne sont pas appliquées et les a réparties en trois catégories. La première concerne celles qui nécessitent la création d’organismes de contrôle. « Nous avons adressé, via le Parlement, des questions aux ministères concernés. Les réponses commencent à nous parvenir », précise M. Okais. La deuxième catégorie concerne les lois qui nécessitent des décrets d’application spécialisés, comme la loi sur la sécurité sanitaire des aliments. « Pour les élaborer, nous allons nous référer à des experts internationaux », note-t-il. La troisième catégorie enfin concerne les lois qui ont été soit partiellement appliquées soit appliquées de manière qui contrevenait à leur esprit, comme la loi 174 ou la loi sur la sécurité routière. « Nous n’avons pas encore décidé de la démarche à suivre, insiste M. Okais. Ce qui est sûr, c’est que des décisions seront prises de manière à respecter les engagements du Liban vis-à-vis de conventions internationales qu’il a ratifiées et de la santé publique. Nous allons nous baser sur l’expérience vécue de sorte que l’amendement, s’il a lieu, permette une meilleure application de la loi. »



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« Le Liban est indéniablement le pays des toutes les contradictions. On vote des lois qu’on refuse d’appliquer. Seules celles qui servent les intérêts des uns et des autres le sont. La loi de lutte contre le tabac en est le parfait exemple ! Il suffit de faire un tour dans les restaurants et cafés qui proposent la chicha. Là-bas, les non-fumeurs n’ont pas leur place. On nous...

commentaires (3)

Le combat contre le tabac est légitime. Il y a une autre combat nécessaire au Liban; contre la consommation exagérée du café. Le café a bcp de mérite et nous fait du bien mais en surconsommation il rend les buveurs nerveux, anxieux, belliqueux et j'en passe.

Shou fi

20 h 09, le 31 mai 2019

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Commentaires (3)

  • Le combat contre le tabac est légitime. Il y a une autre combat nécessaire au Liban; contre la consommation exagérée du café. Le café a bcp de mérite et nous fait du bien mais en surconsommation il rend les buveurs nerveux, anxieux, belliqueux et j'en passe.

    Shou fi

    20 h 09, le 31 mai 2019

  • LA TOU3AMELAL 3ABDA ELLA BEL3ASSA. SEULE LANGUE COMPRISE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 40, le 31 mai 2019

  • "Ils ne sont même pas conscients qu’ils nous empoisonnent la vie.": Ils n'hésitent pas à s'empoisonner eux-mêmes, alors les autres... Le dernier de leurs soucis... Intéressant, ce dossier!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 03, le 31 mai 2019

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