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Culture - Rencontre

« Que se passe-t-il quand on n’a pas le courage de prendre les décisions difficiles ? »

Depuis Boston, où elle réside depuis plusieurs années, Sandrine Yazbeck évoque son premier roman, « Les Imparfaits », publié cette année chez Albin Michel. Au-delà de son cheminement créatif pour concevoir le récit, elle raconte la sourde lutte qu’elle a menée contre elle-même avant de se lancer dans l’écriture.

Sandrine Yazbeck. Photo Astrid Di Crollalanza

Alors que le lecteur entame la lecture des premiers chapitres des Imparfaits (Albin Michel), les interrogations affluent et, au fil des pages, la sidération l’envahit : ne pouvant se reposer sur un narrateur qui lui a aplani le terrain, il épouse la quête éperdue des personnages, pour tenter de percevoir quelques aspects de leur vérité. Sandrine Yazbeck l’a pourtant averti des difficultés auxquelles il sera confronté, en citant George Orwell en préambule. « Nous sommes tous capables de croire à des choses que nous savons fausses et, lorsqu’on nous démontre que l’on a tort, de réarranger les faits impudemment pour prouver que l’on a raison. »

Pourtant, le propos semblait plutôt simple et banal : Gamal, un ancien reporter de guerre, est installé à Londres et n’a plus de nouvelles de sa femme depuis cinq ans. Un jour, il découvre que son meilleur ami Howard se rend en secret à Positano, dont Clara est originaire, et tout se met à vaciller dans les univers intérieurs des protagonistes. Loin du vaudeville éculé du triangle amoureux, la mécanique romanesque bouleverse les fragiles fondements des êtres, et se solde par un succès avec l’entrée de Sandrine Yazbeck dans le paysage littéraire français. Née en 1976, l’auteure est franco-libanaise et a grandi en Normandie, avant de faire des études de droit et de travailler comme avocate pour un cabinet international à Paris, puis à Londres. « Je sentais que je ne voulais plus être avocate, j’avais besoin d’être plus créative, j’ai finalement pris un break de 6 mois, et j’ai voyagé, j’ai fait l’ascension du Kilimandjaro, et peu à peu l’idée d’écrire s’est imposée à moi, pour renouer avec ce que j’avais tant aimé pendant mon adolescence ; j’avais 30 ans. J’ai réalisé à quel point j’aimais ça, et j’ai eu peur : l’idée que j’avais d’une carrière était inscrite dans le monde corporate, dans une grosse société, il fallait que j’aie un poste avec toujours plus de responsabilités... Mais l’idée d’arrêter d’écrire était aussi terrifiante, alors j’ai commencé mon manuscrit. » L’écriture des Imparfaits s’est étalée sur 10 ans. « J’ai énormément douté, pas de mes personnages, mais de la légitimité de ma démarche, me demandant si mon histoire intéresserait quelqu’un d’autre que moi, puis j’ai déconstruit cette prison visible où je m’étais enfermée toute seule, et j’ai décidé de choisir l’écriture, quelle que soit la réception de mes écrits. »


Entre Londres, Téhéran et Positano
Si la source du texte est fictionnelle, la problématique existentielle posée fait écho au cheminement personnel de l’auteur. « Mon livre pose une question essentielle : que se passe-t-il quand on n’a pas le courage de prendre les décisions difficiles ? Je voulais aussi parler de la dépendance affective, ici vécue par Clara, qui s’est repliée sur un idéal qu’elle a construit, mais qui n’est pas fondé sur la réalité. Le journalisme de guerre, incarné par Gamal, est un autre axe de l’ouvrage. » Le roman se déroule dans différents cadres spatiotemporels, entre Londres, Téhéran et Positano. « Le village de Sicile est un clin d’œil à la maison où j’ai passé mes vacances dans mon enfance. L’été, toute ma famille paternelle, originaire du Koura, se retrouvait à Positano dans la villa de mon oncle. »

La cohérence diégétique du roman repose sur un tissu de malentendus et de non-dits, dont l’enchevêtrement se dénoue au fil des phrases, sur de multiples plans. « Gamal et Clara ont tous deux fui leurs identités, égyptienne et italienne, ils ont refusé de se retourner vers leur passé, et c’est ce qui les a empêchés de vivre aussi longtemps. Les mensonges envers eux-mêmes sont les plus dévastateurs. Si Howard avait admis que sa rivalité avec Gamal reposait sur une tentative désespérée d’exister aux yeux de son père, ses décisions auraient été différentes par exemple. » Les chapitres alternent les points de vue des différents protagonistes, et les faits se répondent, se contredisent, se nuancent, avec une habile dextérité compositionnelle. « Certaines ellipses sont volontaires, et je voulais que chaque personnage soit aussi convaincant qu’un autre, pour interroger profondément le lecteur et le renvoyer à lui-même. »

Si Clara, puis Gamal, parviennent à réaliser, dans une certaine mesure, qu’ils se sont mentis à eux-mêmes, Howard ne traversera pas le miroir, et s’accrochera à son univers londonien, où son statut d’hériter culturel et financier de la grande bourgeoisie anglaise le protège de toute remise en question. « Howard habite toujours sa maison d’enfance, et sa plus grande subversion a été de détruire la cave à vin de son père pour en faire une cave à thé », ajoute l’auteure.

Dans ce roman choral, la phrase délicate et rythmée de Sandrine Yazbeck atteste d’un ciselage syntaxique minutieux, et nombreux sont les retours de lecteurs qui mettent en avant ses talents de conteuse. « La nuit enveloppait le parc rassurant et immobile, figé par l’air glacé. Tout était net et parfait, exsudant un bonheur tangible de conte de Noël, on aurait pu nouer un ruban de soie rouge et empaqueter tout le quartier. »

Si le succès de son premier roman la comble de joie, l’auteure admet que l’éloignement géographique est parfois pesant, mais elle est déjà en train de rédiger un second livre. Celle qui affectionne particulièrement les textes de Romain Gary, Milan Kundera ou François Mauriac, prévoit également de se rendre au Liban pour le Salon du livre en novembre 2019.

Alors que le lecteur entame la lecture des premiers chapitres des Imparfaits (Albin Michel), les interrogations affluent et, au fil des pages, la sidération l’envahit : ne pouvant se reposer sur un narrateur qui lui a aplani le terrain, il épouse la quête éperdue des personnages, pour tenter de percevoir quelques aspects de leur vérité. Sandrine Yazbeck l’a pourtant averti des...

commentaires (2)

TRES SIMPLE ! ON PREND LES DECISIONS FACILES TOUT EN SE CONVAINQUANT SOI-MEME QU,ON A BIEN FAIT.

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 53, le 27 mai 2019

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Commentaires (2)

  • TRES SIMPLE ! ON PREND LES DECISIONS FACILES TOUT EN SE CONVAINQUANT SOI-MEME QU,ON A BIEN FAIT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 53, le 27 mai 2019

  • C'est simple, "la vie se charge souvent de prendre à votre place les décisions que vous ne savez prendre ".

    Tina Chamoun

    11 h 52, le 27 mai 2019

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