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Culture - En librairie

ONU et ironie au Sud-Liban

Dans « L’École de rame », Nicolas Decoud livre un récit sarcastique où il envoie valser avec humour les grands idéaux portés par la mission de la Finul malmenés par les réalités du terrain.

Ramer, c’est galérer, avoir du mal à faire quelque chose. En langage militaire, l’école de rame désigne aussi les règles à respecter lors des déplacements en convoi. Dans le premier roman de Nicolas Decoud, L’École de rame, il est difficile de savoir qui rame le plus : le narrateur, un jeune lieutenant de l’armée française envoyé au Liban pour l’ONU, ou bien la Force intérimaire des Nations unies au Liban qu’il a intégrée.

Mise en place en 1978 par le Conseil de sécurité pour confirmer le retrait des troupes israéliennes du sud du Liban, la Finul a été chargée après la guerre de l’été 2006, opposant Israël au Hezbollah, de contrôler la cessation des hostilités, d’appuyer l’armée libanaise dans le Sud et de fournir une assistance humanitaire pour les populations civiles.Après la théorie, la pratique : le lieutenant Bouteille, narrateur et protagoniste principal de l’histoire, déchante rapidement. L’écart est grand entre les idéaux de l’ONU et la réalité. On l’aura compris, celui qui se cache derrière le pseudo Nicolas Decoud a lui-même travaillé pour l’armée française au Proche-Orient.

Il expose ses propres contradictions avec autodérision. D’un côté, son envie de croire aux grands idéaux de l’ONU : l’universalité, le maintien de la paix, l’entente entre les nations. De l’autre côté, son vécu au camp onusien de Deir Kifa : l’incompétence et la bêtise généralisées, l’inutilité des missions menées, la mesquinerie dans les relations professionnelles, le sexisme ambiant, la frustration sexuelle provoquée par les mois d’isolement au camp.

Pour ce récit sarcastique et plein d’humour, Nicolas Decoud a choisi d’écrire à la première personne, mais sous pseudonyme. Ce choix lui garantit une grande liberté de ton : l’ironie du narrateur n’épargne personne. Chacun en prend pour son grade, de l’équipe de Soldats Magazine, affectueusement surnommés Troufions Magazine et venus pour un reportage, jusqu’au général français Henri-Théodore de la Ruche de Saint-André, en visite sur le camp. Drame diplomatique avec le général : après un repas officiel, « le discernement troublé par l’abondance de vin et de nourriture, le général bafouille son discours : […] L’implication du Hezbollah et les atermoiements français font planer des risques sur la sécurité du continent. […] Mes amis, priez le Seigneur ! »

Difficile de savoir ce qui relève de la fiction et ce qui relève du vécu de l’écrivain : Nicolas Decoud s’appuie sur son expérience personnelle pour dresser son acerbe satire. Après une formation en école de commerce, l’auteur est passé par l’armée de terre et a participé à plusieurs missions à l’étranger, dont certaines au Proche-Orient. Le ton oral et familier renforce encore l’impression de sincérité.

L’antihéros Bouteille progresse, ou régresse, de déconvenue en déconvenue sur 18 chapitres et 400 pages. Les longueurs sont compensées par l’humour et la légèreté des anecdotes, toujours plus grotesques. Comme un recueil de chroniques, le roman détaille ses péripéties à l’intérieur comme à l’extérieur du camp de la Finul : « Le soulagement est de courte durée, car on se retrouve dans un quartier louche, parmi les barbus, les ruelles sombres et les immeubles décrépis. Je regarde la carte. Nous sommes au sud de Beyrouth, en plein fief Hezbollah. »

Derrière la fantaisie du récit, Nicolas Decoud décrit la difficulté de l’ONU à trouver une place et une utilité au Sud-Liban. La Finul y affronte la méfiance et le rejet de la plupart des populations locales. Dans L’École de rame, elle compose maladroitement et infructueusement avec les tensions communautaires.

Par exemple, lorsque le chef de corps décide d’emmener ses hommes en visite au musée du Hezbollah afin de renforcer la cohésion et l’esprit de corps. Ou encore lorsqu’un des militants du Hezbollah qui séquestrent le lieutenant lui demande des conseils pour aider le groupe de hip-hop de son cousin à percer à Beyrouth. Au milieu des conflits, le seul gagnant semble être l’absurdité.


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