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Idées - Finances publiques

Quels critères d’évaluation pour la dette libanaise ?

Le ministère des Finances. C. Hd

Alors que la nature et l’ampleur exactes des mesures d’austérité contenues dans le projet de loi de finances sont toujours en discussion en Conseil des ministres, le Premier ministre Saad Hariri tirait récemment la sonnette d’alarme en déclarant, le 10 avril dernier, qu’il fallait impérativement trouver un « consensus sur le budget » pour réduire la dette publique et ne pas « connaître une crise similaire à celle qu’a connue la Grèce ». En 2016, la dette publique de ce pays avait en effet atteint un pic à 180 % du PIB (contre 127 % en 2010), poussant le gouvernement à adopter, sous la pression des créanciers européens, des mesures d’austérité drastiques qui ont notamment entraîné une hausse du chômage et une crise sociale aiguë.


Production ou dépense nationale ?

Pour autant, le ratio dette/PIB ne constitue pas nécessairement le critère le plus significatif pour juger de la soutenabilité de la dette publique – au Japon, par exemple, ce ratio atteignait 236 % il y a deux ans sans déclencher d’alarme particulière – et établir les limites permettant d’éviter au pays de graves crises économiques et sociales. Au Liban, les recettes budgétaires de l’État sont par exemple plus intimement liées à la dépense nationale qu’elles le sont à la production. Or, structurellement, les Libanais dépensent plus qu’ils ne produisent : d’après les derniers comptes nationaux publiés par l’Administration centrale de la statistique (ACS), le PIB estimé était de 80 491 milliards de livres libanaises (LL) pour 2017, alors que la dépense nationale (consommation plus formation brute de capital fixe) s’élevait à 100 446 milliards. La dette publique brute avait atteint au premier juillet de la même année 115 278 milliards LL, soit 143,2 % du PIB mais seulement 114,8 % de la dépense nationale. Actuellement, ces ratios doivent être plus élevés : nous pouvons ainsi estimer à 123 % le ratio dette publique/dépense nationale en 2018. Ce ratio n’est pas en soi catastrophique si ce n’était que 46,3 % des recettes budgétaires (en 2017) ont été consacrées à payer les intérêts de la dette. Ajoutées aux dépenses incompressibles (salaires des fonctionnaires, subvention à l’électricité…), les dépenses du budget se sont élevées à 21 412 milliards de LL, occasionnant un déficit de 5 165 milliards de LL entièrement couvert par un supplément d’endettement. De ce fait, l’État se trouve privé de ressources pour assurer correctement les services publics élémentaires et développer des infrastructures devenues déficientes. En effet, la part du budget consacrée aux investissements a chuté de 24 % en 1994 à seulement 5-6 % à partir de 2015. Cela a eu aussi pour conséquence de ralentir la croissance économique.

Les premiers renseignements disponibles sur le site du ministère des Finances montrent que la situation s’est aggravée en 2018 : les recettes budgétaires des onze premiers mois de l’année ont progressé de 1,1 % par rapport à celles de la même période en 2017, tandis que les dépenses auraient augmenté de 16,9 %. Le service de la dette a atteint environ 51,4 % des recettes budgétaires et 33,7 % des dépenses. Nous sommes donc rentrés dans le cercle vicieux de « l’effet boule de neige » : la dette engendre la dette. Le ratio de 1,23 de la dette sur la dépense nationale signifie que le taux de croissance de l’économie doit être – toutes choses égales par ailleurs – supérieur de 23 % au taux d’intérêt si nous devons disposer de ressources suffisantes pour couvrir les charges croissantes de la dette. Ces dernières pesant environ 7 % de la dette publique en début d’année, peut-on légitimement s’attendre à ce que la dépense nationale et, par suite, les recettes budgétaires progressent durant les années suivantes à un taux de 8,6 %


(1,23 x 7) par an ?

Rompre le cycle de l’emballement de la dette suppose donc de prendre les mesures adéquates pour réduire le déficit budgétaire. Quel objectif doit-on fixer en ce qui concerne le niveau relatif du déficit ? Dans la zone euro, cette limite est fixée à 3 % du PIB. Au Liban, ce seuil est largement dépassé : en 2017, le déficit budgétaire avait atteint 6,4 % du PIB (et même 8,7 % du PIB en tenant compte des opérations du Trésor hors budget) et 5,1 % de la dépense nationale. Mais doit-on adopter le même objectif en ce qui concerne les finances publiques libanaises ? À notre avis, le ratio déficit budgétaire/PIB n’est pas opérationnel en soi. Il est plus rationnel d’examiner quelles sont les sources du déficit : il est malsain d’emprunter pour couvrir les dépenses courantes ou, pire, comme c’est le cas actuellement, pour payer les charges de la dette. Par contre, il est tout à fait légitime de s’endetter pour couvrir les dépenses d’investissement qui vont servir plusieurs générations futures.


Comparer au patrimoine

Un corollaire de ce principe est de comparer la dette publique non pas au PIB ou à la dépense nationale, mais à la valeur du patrimoine physique appartenant à l’État. Ce ratio ne devrait pas être supérieur à l’unité. Malheureusement, nous n’avons pas un inventaire complet des biens publics avec une estimation de leur valeur et pouvons tout juste estimer la valeur actuelle des investissements publics effectués dans le passé. La valeur actuelle des investissements cumulés de 1988 à 2017 se chiffrerait ainsi à environ 41 600 milliards de LL. Ainsi, le ratio dette publique/valeur actuelle des investissements passés s’élèverait, en 2017, à 277 %.

Face à cette situation, l’État devrait à notre avis adopter les principes suivants : d’abord, prendre les mesures nécessaires pour rétablir la confiance des citoyens et minimiser le risque pays, notamment à travers la rationalisation de certaines dépenses (subventions, gaspillages). Même si cela ne suffira pas à réduire le déficit budgétaire dans les proportions voulues, cela pourrait créer un climat plus propice à une baisse des taux d’intérêt sur la dette à un niveau favorisant le développement économique (soit, idéalement, à environ 5 % contre 7 % actuellement) et, parallèlement, une diminution des intérêts de la dette. Ensuite, tenir compte de la conjoncture et ne pas prendre des mesures d’austérité trop drastiques qui réduiraient le niveau des services publics qui constituent un des moteurs de la croissance économique ou augmenteraient trop lourdement la pression fiscale dans un contexte de récession. Enfin, veiller à ce que le déficit budgétaire ne dépasse pas la valeur des dépenses d’investissement. L’application de ces principes exige évidemment plusieurs années d’effort soutenu et une planification des finances publiques basée sur une prévision à moyen et long terme de l’évolution de l’économie nationale.

Par Robert KASPARIAN
Ancien directeur général de l’ACS (1993 -1998) et ancien conseiller du Premier ministre pour les comptes nationaux (1997-2010).


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commentaires (4)

Pourquoi ne pas reconnaître que nos responsables sont totalement incapables d'élaborer un budget ? Et confier enfin cette tâche, en toute urgence, à des professionnels honnêtes...et pas corrompus ? Irène Saïd

Irene Said

15 h 16, le 05 mai 2019

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Pourquoi ne pas reconnaître que nos responsables sont totalement incapables d'élaborer un budget ? Et confier enfin cette tâche, en toute urgence, à des professionnels honnêtes...et pas corrompus ? Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 16, le 05 mai 2019

  • Article très intéressant. Si sans tenir compte du coût du service de la dette le gouvernent présentait un budget à 100 % équilibré, les instances mondiales viendront nous aider à trouver des solutions pour la dette. Si on n'arriverait pas, ce sont les instances mondiales qui viendront nous dire comment il faut faire et dans ce cas nous perdrions la souveraineté financière. Le problème n'est pas insurmontable, ça nécessite que les politiques "se reposent" et qu'ils laissent aux techniciens de l'Administration de concocter un budget équilibré en chiffres et en partage régional.

    Shou fi

    11 h 46, le 05 mai 2019

  • Une dette en extension continuelle finira par imploser l'économie du pays, déjà gravement détériorée. Attendre une catastrophe irrémédiable pour agir n'est pas la bonne solution.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 41, le 05 mai 2019

  • DES CHIFFRES QUE LE COMMUN DES LIBANAIS NE COMPREND PAS. CE QU,IL COMPREND C,EST QUE LA DETTE DOIT ETRE REDUITE ET CE EN REDUISANT LES DEPENSES DE L,ETAT DONT LE NOMBRE ASTRONOMIQUE DES EMPLOYES FAINEANTS DU SECTEUR PUBLIC ET LES SALAIRES ET AVANTAGES DES ABRUTIS IRRESPONSABLES PLUS L,ASSAINISSEMENT DE L,EDL, DE L,AEROPORT ET DES PORTS, LA RECUPERATION DES CHARGES DUES PAR LES ACCAPAREURS DU LITTORAL ET NON SEULEMENT ET QUI SE CHIFFRENT EN MILLIARDS DE DOLLARS AVANT DE DEMANDER A LA MASSE DES SACRIFICES. CERTES IL Y A AUSSI D,AUTRES MESURES A PRENDRE. PARALLELEMENT APPLIQUER A TOUS LES ABRUTIS CORROMPUS LE MEN AYNA LAKA HAZA. TOUT CELA PEUT ETRE ENTREPRIS ET ACCOMPLI DANS UN TEMPS TRES COURT SI ON FAIT APPEL A DES EXPERTS ETRANGERS POUR AIDE. POURRONS-NOUS NOUS ATTENDRE A UNE JUSTE ET PROMPTE ACTION SUR CE QUI EST DIT LA-HAUT DE NOS ABRUTIS CORROMPUS JUSQU,AUX OS ? C,EST LA LA QUESTION ! 7RAMIYA MOUMKEN I SIIR HAMIYA ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 19, le 05 mai 2019

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