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Culture - Photographie

C’est au bout de l’impasse que Myriam Boulos a (re)trouvé son Liban

Pour sa seconde exposition solo, la photographe libanaise présente à l’Institut français de Beyrouth, jusqu’au 26 avril, « Dead End », ou comment faire évoluer la société en résistant.

Une photo de la série « Dead End » de Myriam Boulos exposée à l'Institut francais de Beyrouth.

À 26 ans, Myriam Boulos a déjà entamé une carrière de photographe reconnue et saluée au Liban et à l’étranger. En 2014, alors qu’elle n’a que 22 ans et qu’elle est encore étudiante en master à l'Académie libanaise des Beaux-Arts (ALBA), elle remporte le prix de la photographie de la banque Byblos. Depuis, cette artiste précoce a fait un joli bout de chemin : en parallèle de ses collaborations avec le journal Libération (elle y est photographe correspondante au Liban), elle sera fin avril exposée à New York à la fondation Aperture puis à Paris à l’Institut du monde arabe en septembre, et elle est actuellement sur deux affiches à la fois, à Paris et dans la capitale libanaise. En effet, depuis le 28 mars dernier, elle fait partie des 16 photographes et cinéastes sélectionnés pour l’exposition C’est Beyrouth, qui se déroule jusqu’au 28 juillet à l’Institut des cultures d’islam de Paris et où elle dévoile un ensemble d’images d’employées de maison étrangères, les représentant au cours de leurs sorties dominicales ; tandis qu’au Liban, elle a inauguré mercredi 3 avril « Dead End », une série de photographies plus intimes et personnelles, dans la lignée de sa précédente exposition solo « Nightshift » présentée en 2015.

Cette nouvelle exposition, dont la structure et le fond conceptuel ont été solidement pensés, a pu voir le jour après un an et demi de prises spontanées dans Beyrouth. « C’est en faisant les photos que les choses se clarifient dans ma tête et que je me rends compte de mes obsessions et du fil conducteur », explique l’artiste.



(Pour mémoire : Dans la solitude des nuits de Myriam Boulos)



« Tarik gheir nafez »
En entrant dans la galerie de l’Institut français, on peut lire, placardée au mur, la phrase suivante : « Chaque série issue de ma pratique photographique est née en parallèle à une phase de ma vie et recèle des questionnements et des obsessions. Pourtant, à la différence des travaux précédents, “Dead End” relève plus de l’appropriation que de la démarche documentaire au sens classique du terme. Chaque élément, chaque personnage – y compris moi-même – y est décontextualisé, extrait de sa fonction première pour être instrumentalisé. »

Avec une incroyable douceur devant ses photographies montrant des corps à demi-nus et des poubelles, des baisers et des regards perdus, des vierges maquillées et des peaux crevassées, ou encore des transexuels dont les yeux perçants semblent sortir du cadre pour fixer le spectateur déboussolé, Myriam Boulos raconte cette impasse dans laquelle elle s’est reconnue et qu’elle a voulu dépasser à travers la photographie : « “Dead end”, c’est ce qu’on lit sur les panneaux Tarik gheir nafez, c’est-à-dire l’impasse. Dans tous mes travaux, je soulève la question des rôles dans la société, de la ville et ma place dans tout cela. La société libanaise, comme la plupart des sociétés, est patriarcale et capitaliste, et les contrastes sont particulièrement marqués, particulièrement visuels et donc visibles. Moi, je cherche à exister au sein de ce peuple plein de différences, de la manière la plus authentique possible, à avoir mon identité propre sans intégrer aucune communauté. » Autrement dit, c’est de la confrontation au sein de l’implacable, peut-être de la rencontre d’une forme d’irrévocabilité, d’impossibilité, ou de la prise de conscience absolue devant l’impasse d’une société diffractée et en quête d’unité, que la nécessité du dépassement se révèle dans toute sa puissance. Et chez Myriam Boulos, cet affranchissement devant l’éclatement passe par la photographie.

Avec son appareil Canon 6D qu’elle utilise toujours flash enclenché, elle éclaire les paysages beyrouthins pour révéler ce qui est tu et caché, ce qu’on ne montre pas et qu’on marginalise. Apparaissent alors, à travers mille couleurs, les déchets entassés de la capitale, l’homosexualité, la nudité, les petites gens qui sont l’âme du peuple, le tout sans jamais tomber dans une forme de « misérabilité » qu’elle rejette au même titre que le mot « tabou ». Car au fond, c’est une histoire, une histoire d’amour qu’elle nous raconte avec ces photos aux formats et aux cadres chaque fois différents, avec ces petits mots qu’elle accroche sur les murs à leur côté, et c’est comme si l’on retrouvait condensée la mosaïque fragmentée des paysages libanais. Ce sont tous les visages en apparente contradiction de ce pays qu’elle ne quittera jamais, qu’elle exhibe à ses pairs et à qui elle a peut-être voulu rappeler que « chacun vit dans une bulle, et rares sont les personnes qui regardent en dehors de leur sphère. Tandis que la force du peuple libanais doit pourtant résider dans la capacité à survivre et coexister dans ce pays éclaté et morcelé ». Et l’artiste de conclure, convaincue : « C’est en résistant à ce que la société nous impose qu’on la fait avancer. »


Pour mémoire
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À 26 ans, Myriam Boulos a déjà entamé une carrière de photographe reconnue et saluée au Liban et à l’étranger. En 2014, alors qu’elle n’a que 22 ans et qu’elle est encore étudiante en master à l'Académie libanaise des Beaux-Arts (ALBA), elle remporte le prix de la photographie de la banque Byblos. Depuis, cette artiste précoce a fait un joli bout de chemin : en parallèle...

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