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Culture - Photos

Dans la solitude des nuits de Myriam Boulos

Elle est toute jeune, toute fluette, un brin timide, Myriam Boulos. Et pourtant l'œil qu'elle pose sur sa génération, à travers le viseur de sa caméra, est déjà aiguisé, profond, distancié. Attention : pur talent!

Il y a des abîmes de désespérance dans certains regards emportés par la musique.

Un lieu, une foule de silhouettes anonymes, la nuit. Les scènes se passent dans (et autour) d'un bar sur le toit d'un immeuble industriel. Des jeunes dansent, boivent, discutent... Bref, ils font la fête. Bizarrement, sans trop de conviction. Il y a des abîmes de désespérance dans certains regards emportés par la musique; des quêtes effrénées d'oubli dans des rires à gorge déployée; une frénétique envie de vivre l'instant présent dans des jambes – galbées de bas nylon sur boots ou en jeans et baskets – enchevêtrées, mais aussi souvent se tournant le talon sur dancefloor.

Pleines de vie, de mouvement, de musique et de fureur... Et, cependant, traversées d'une insondable solitude... Ces scènes capturées par l'appareil photo digital de Myriam Boulos et accrochées, jusqu'au 26 avril, sur les cimaises de la salle d'exposition de la Byblos Bank* déroulent des séquences comme celles d'un film. À la fois hyperréalistes, quasi documentaires (elles définissent un groupe social à une époque donnée) et en même temps propices à alimenter l'imaginaire de celui qui les regarde, elles dégagent une note narrative évidente.

Ces images de jeunes noctambules libanais, réunies sous le titre de «Nightshift», sont en quelque sorte «la suite» de son précédent projet («Vertiges du matin») sur les sorties du BO18 qui avait valu à la toute jeune photographe de 22 ans (elle boucle dans trois mois son master à l'Alba) le Byblos Bank Award pour la photographie. Un prix décerné à l'issue d'un concours organisé par la banque dans le cadre de la Beirut Art Fair 2014, qu'elle avait remporté haut la main face aux 67 postulants en lice. Et qui lui vaut aujourd'hui l'organisation, par les commissaires Marine Bougaran et Pascal Odille, de sa toute première exposition individuelle.

«La photo est pour moi un prétexte pour observer plein de choses», dit Myriam Boulos. Qui avoue une prédilection pour le noir et blanc justement parce «qu'il met l'accent sur les détails et permet de jouer avec les surexpositions et les sous-expositions de certaines parties de l'image».
«Mais plus qu'à "montrer", la caméra m'aide à trouver ma place. À aller vers les autres, à être en interaction avec les gens», confie la jeune fille à l'allure (faussement?) sage. À commencer par ceux de sa génération. Sur lesquels elle pose un regard à la fois distancié et en quête d'identification.

 

Myriam Boulos a photographié « le lieu, le groupement social au Liban qui pourraient le plus (lui) ressembler ». Photo Michel Sayegh

Noctambulisme social
Pour portraiturer ces «soirées beyrouthines en milieu industriel», elle a ainsi pris comme modèles neuf filles qu'elle connaissait peu ou prou et les a immergées dans «cet espace qui, au Liban, serait celui qui pourrait le plus me ressembler», dit-elle. «Car, c'est comme si la carte géographique de Beyrouth se redessinait la nuit à travers les groupes sociaux qui s'y forment», affirme pertinemment la jeune artiste.
Dans ce microregroupement festif, sorte d'underground formé en réaction au bling-bling et paillettes qui collent habituellement aux nuits libanaises, celle qui se définit comme «un peu timide et ayant une certaine appréhension du monde extérieur» trouve sa place. À travers la photo justement. Et ces modèles qu'elle photographie «sans les faire poser» se mouvant naturellement sur un arrière-plan de silhouettes anonymes.

L'anonymat issu de la culture urbaine, voilà ce qu'évoquent également ces portraits de jeunes femmes évoluant dans le monde de la nuit. «Certainement, mais j'y aborde aussi le changement du statut de la Libanaise», fait remarquer la photographe au regard de sociologue déjà aiguisé. Et qui, en capturant dans ses compositions «ce mélange de fragilité et de lutte que leurs physionomies et leurs attitudes dégagent», semble préfigurer de leurs personnalités d'adultes en devenir.
Le sien d'avenir semble en tout cas bien tracé.

*Siège central, Achrafieh, avenue Élias Sarkis. Horaires d'ouverture : du lundi au vendredi de 16h à 21h et le week-end de 10h à 21h.

 

Pour mémoire
« Vertiges du matin » de Myriam Boulos étourdit le jury du Byblos Bank Award

Un lieu, une foule de silhouettes anonymes, la nuit. Les scènes se passent dans (et autour) d'un bar sur le toit d'un immeuble industriel. Des jeunes dansent, boivent, discutent... Bref, ils font la fête. Bizarrement, sans trop de conviction. Il y a des abîmes de désespérance dans certains regards emportés par la musique; des quêtes effrénées d'oubli dans des rires à gorge déployée;...

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