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Liban - REPÈRE

Aux origines de la lutte d’influence entre le français et l’anglais au Liban

Au XIXe siècle, les congrégations catholiques latines et les missions protestantes anglo-saxonnes se sont engagées dans une course pour la construction d’écoles au Liban qui constituent aujourd’hui l’essentiel du tissu scolaire du pays.

Sur ces assiettes, une représentation, notamment, du College Hall, en 1866, de l’Université américaine de Beyrouth. Photo archives L’OLJ

Dispensé par des missionnaires catholiques installés au fil des siècles au Levant, l’enseignement du français au Liban s’est institutionnalisé et a pris toute son ampleur au cours du XIXe siècle, notamment face à la concurrence de protestants anglo-saxons proposant un enseignement de la langue anglaise. La création, à quelques années d’intervalle, de l’Université Saint-Joseph (USJ) en 1875 et de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) en 1866 (à l’époque sous l’appellation de Syrian Protestant College), qui forment aujourd’hui encore les élites libanaises, est le symbole de cette lutte d’influence, l’un des catalyseurs de la Nahda, l’équivalent de la Renaissance.

Dans cette guerre d’influence culturelle, le français, diffusé par la France, fille aînée de l’Église et protectrice des chrétiens d’Orient, a l’avantage de l’ancienneté. « À l’époque des croisades, la langue française sert au Liban uniquement de moyen de communication et de négoce entre les occupants et les occupés, explique Karl Akiki, chef du département des lettres françaises à l’USJ. Plus d’un siècle après la politique de rapprochement instituée par François Ier avec le sultan Soliman le Magnifique, les jésuites installent en 1657 leur premier couvent à Antoura (Kesrouan), qu’ils cèdent aux lazaristes en 1784, pour le reprendre en 1834. » À partir du XIXe siècle, le français, grâce à la multiplication des missions, « commence véritablement à s’implanter comme langue de culture, de recherche et d’excellence », ajoute-t-il.

Au début du siècle, les missions catholiques assistent à l’expansion spectaculaire des missions protestantes menées par des religieux réformés venus d’Amérique du Nord et d’Angleterre. Sous la férule du Conseil américain des délégués aux missions étrangères (ABCFM), créé en 1810 dans l’objectif de régénérer le christianisme qu’il considère comme décadent, les premiers missionnaires américains débarquent dix ans plus tard à Beyrouth, à Damas et en Palestine.

Face à ce nouvel acteur, les missions latines connaissent un essor exceptionnel à partir des années 1840. Des congrégations comme les franciscains, les capucins ou les carmélites ouvrent des écoles sur l’ensemble du territoire libanais. À Beyrouth, certes, où la population chrétienne croît de manière exponentielle grâce aux migrations venues de la Montagne et qui devient la plaque tournante économique du Liban. Dans les grandes villes côtières aussi, et dans la montagne libanaise, à Ghazir notamment où les jésuites créent, en 1843, leur premier séminaire-collège.


(Dans le même dossier : Quand la francophonie, au Liban, trébuche aux portes de l’université)



« Guerre de positions »

Dans son ouvrage La classe sous le chêne et le pensionnat : les écoles missionnaires en Syrie (1860-1914), entre impérialisme et désir d’éducation, la professeure Chantal Verdeil, spécialiste des missions en Orient au XIXe siècle, explique qu’à la fin des années 1850, les congrégations latines de culture française, imprégnées de violents sentiments antiprotestantisme, et les missions protestantes anglo-saxonnes « se livrent une véritable guerre de positions, les unes ouvrant des écoles dans les zones où les autres s’installent ».

Cette lutte d’influence prend un tournant décisif à l’avantage de la langue française après les massacres des chrétiens perpétrés par les druzes dans le Mont-Liban en 1860. Rappelons, au passage, que l’Angleterre s’était faite protectrice des druzes. De nombreuses familles chrétiennes qui réussissent à échapper aux massacres trouvent alors refuge dans les écoles et dispensaires des congrégations catholiques. Après cet épisode, les missions francophones affluent. Les congrégations de religieuses fondent les premières écoles de filles « qui seront d’une importance capitale », note encore Karl Akiki. Le français finit par supplanter l’italien. Il aura mis près de trois siècles à s’imposer.

Cette expansion incite les missions anglophones, qui comptent alors une trentaine d’écoles, à tenter de prendre les devants. Supplantées dans les écoles, les missions protestantes, mieux connues sous le nom de « quakers », décident de créer une institution d’enseignement supérieur. Comme le raconte Abdul Latif Tibawi dans son article de référence « The Genesis and Early History of the Syrian Protestant College », les missionnaires font appel en 1861 au révérend Daniel Bliss pour lever des fonds dans ce but. Le Syrian Protestant College (SPC) ouvre ses portes en 1866 à Ras Beyrouth. « Cela expliquerait l’empressement des jésuites à multiplier leur présence sur le sol libanais », selon M. Akiki. Neuf ans plus tard, les jésuites répliquent en déménageant leur séminaire-collège de Ghazir à Beyrouth. Il devient l’Université Saint-Joseph en 1875. Et en 1920, le SPC devient l’Université américaine de Beyrouth.



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commentaires (2)

Article passionnant, mais on a l'impression qu'il s'arrête au milieu - il y a une suite ?

Jean abou Fayez

10 h 44, le 10 avril 2019

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Commentaires (2)

  • Article passionnant, mais on a l'impression qu'il s'arrête au milieu - il y a une suite ?

    Jean abou Fayez

    10 h 44, le 10 avril 2019

  • C'est un article très intéressant sur l'histoire riche du Liban. Je remarque aussi qu'on écrit "Le français finit par supplanter l’italien" donc je pense qu'à l'époque avant de 19ième siècle l'italien jouait aussi un rôle, en fait les italiens étaient très présent dans la région.

    Stes David

    16 h 40, le 03 avril 2019

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