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Culture - Café littéraire

« Quand les nœuds se défont et les liens se refont »

Lina Sleiman et Fady Noun en vedettes d’une lecture de poèmes modérée par Antoine Boulad, à l’Institut français.

Le printemps des poètes n’était pas encore passé que deux météores traversaient le ciel de Beyrouth. Le premier sous le nom de Lina Sleiman, une enseignante reconvertie dans la coordination et la médiation, dont la poésie ressemble aux battements d’ailes effrayés d’un oiseau que l’on tente de saisir dans sa cage ; le second sous le nom de notre collègue Fady Noun, une parole arrivant à sa maturité aux douze coups d’un rideau qui s’ouvre: un homme aux cheveux blancs apparaît, et on croit que c’est le machiniste ; mais non, c’est le poète.

Les deux astres passent en mode café littéraire, à l’Institut français, grâce à un Antoine Boulad qui a troqué ses casquettes de poète et d’enseignant pour celle de directeur de collection, et un passeur de culture, Ghazi Berro, qui, entre Paris, Beyrouth et Bruxelles, grâce à sa maison d’édition « Oser dire », promeut la traduction d’ouvrages du français vers l’arabe, tout en laissant son ami Antoine Boulad diriger une collection de poésie « En vers et avec tous ». Autrement dit, « À mes risques et périls ».

Avec dix titres déjà à son actif, la collection d’Antoine Boulad et Ghazi Berro devrait être saluée comme il se doit par la planète francophone où elle a commencé à se faire un nom et une place. Oh ! bien sûr, ses livres ne sont imprimés ni sur vélin d’Arches ni numérotés, mais ils se tiennent bien en main, se glissent facilement dans la poche et sont de bons baromètres du temps qu’il fait. Et c’est sans doute suffisant pour des poètes qui rêvent en montagne, entre un écran de portable et un écrin de mots pour leurs rêves.

Devant une foule d’aficionados venue les encourager, comme on encourage des coureurs de marathon, les deux astropoètes sont assis derrière une table ; avec un gentil bouquet de tulipes offert par un grand cœur et un micro.

Fady Noun est le premier à se lever. Son poème d’ouverture s’intitule « Pour un fils absent ». Son ton est neuf. Sa phrase coule, légère, chaleureuse. C’est un texte en cinq poèmes. Il parle de quelque chose de grave, une mère qui a perdu son fils. Pourtant, nulle trace de la nostalgie du sens qui marque beaucoup de ses poèmes, mais un voile de tristesse que l’espérance dissipe.

« M’imprégner de la douceur du moment/Quand la cuisine est ensoleillée comme les conversations/Que sa lumière apaise la violence du dehors/Et du dedans/Me laisser envahir par la paix des mots prononcés/Du sucre qui brunit au feu/Du pain qui se dore au four/Quand les nœuds se défont et les liens se refont. »

Comme il se doit pour un homme qui s’affiche sans détour comme un poète chrétien, le poème s’achève sur l’avenir : les noces de l’Agneau et le joyeux désordre qui marquera l’arrivée de l’épouse, dans les rues d’or et de cristal de la Nouvelle Jérusalem.

Citant un poète peu connu, Paul de Roux, Fady Noun a donné comme titre à son recueil Permis de séjour. « Une métaphore pour dire la vie, explique-t-il à l’assistance. Permis de séjour qui, à tout moment, peut être retiré ; permis de séjour qu’un homme doit justifier, en rendant utiles ses mains données. »

Puis le poète donne lecture d’un autre long poème : « Les derniers jours de Pompéi ». C’est en partie une belle ode à Beyrouth défigurée une première fois par la guerre, et une seconde fois par la reconstruction ; un poème qui parle aussi de la soif de vérité trahie une première fois par l’Orient et une seconde fois par l’Occident. Reprenant l’imagerie de la Prose du Transsibérien de Cendrars, l’auteur y dit :

« Dis Blaise, sommes-nous loin de Montmartre ?/Oui, oui, nous sommes loin de Montmartre/Et pas seulement de Montmartre/Nous sommes loin de la vérité, nous sommes loin dans le mensonge/On nous a enlevé notre raison de vivre et nous ne savons pas où on l’a déposée. »

Vient ensuite la douloureuse lecture de Lina Sleiman, les cris d’écorchée vive du désir, et l’écho sourd du choc de l’âme sur le vide et l’absence. C’est le premier recueil de cette auteure :

« À ma portée/La nuit se dérobe/Le long des trêves/Dans le chemin sinueux de l’absence/Elle s’en va/Engloutie par un brouillard/Pesant/Dissimulée par les ronces/ Spectres vivant dans les ténèbres/À l’ombre du temps et de l’alanguissement/Elle s’évade/Hibou menaçant la grisaille/De ses griffes lancinantes/ Sanglantes./Et craignant la lumière/J’ai caché ton image/Dans la tirelire de l’oubli. »

À la fin de ce temps à la fois magique et redoutable, que certains ont jugé trop court, c’est le temps des dédicaces et… des trous de mémoire. Mais comment dire notre gratitude aux auteurs et aux éditeurs d’avoir rendu possible ce temps de beauté et de sincérité humaine ?

Le printemps des poètes n’était pas encore passé que deux météores traversaient le ciel de Beyrouth. Le premier sous le nom de Lina Sleiman, une enseignante reconvertie dans la coordination et la médiation, dont la poésie ressemble aux battements d’ailes effrayés d’un oiseau que l’on tente de saisir dans sa cage ; le second sous le nom de notre collègue Fady Noun, une parole...

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