Le trentième sommet arabe organisé par la Ligue s’est tenu à un moment particulièrement délicat pour la région, après la décision du président américain Donald Trump de reconnaître la souveraineté israélienne sur le Golan syrien. En principe, une telle décision – qui a suivi celle prise l’an dernier par le même Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État israélien et à laquelle le sommet de Dahran ( Arabie saoudite) avait été consacré ( avril 2018), en vain – aurait dû être suffisante pour pousser les dirigeants arabes à adopter une politique d’urgence et des mesures concrètes pour remettre en cause les décisions américaines en faveur d’Israël, ou, en tout cas, chercher à en limiter les dégâts.
Finalement, à part la condamnation exprimée dans le communiqué final, la seule décision nouvelle a été de saisir le Conseil de sécurité pour obtenir une décision qui contredise celle de Trump. Mais tout le débat qui a précédé le sommet sur une possibilité de demander à l’État syrien de reprendre son siège au sein de la Ligue n’a eu aucun impact ni aucun écho lors des réunions de ce sommet.
Le seul effort enregistré s’est limité au niveau de la participation, qui a poussé la plupart des dirigeants arabes à être présents à Tunis, même si l’émir du Qatar est reparti quelques minutes après la séance d’ouverture, ayant juste pris le temps d’écouter le discours du président tunisien et celui du secrétaire général de la Ligue arabe Ahmad Abou el-Ghaith, alors que le roi Salmane d’Arabie, lui, a quitté Tunis juste après avoir prononcé son propre discours.
Le sommet a donc poursuivi ses travaux et les participants ont réussi à se mettre d’accord sur une déclaration finale qui permet aux dirigeants arabes de sauver la face, sans se sentir liés par la moindre mesure concrète.
Dans ce contexte, le seul discours considéré comme franc et loin de la langue de bois si chère aux dirigeants arabes est celui du président du Liban, Michel Aoun. Ce dernier a pourtant bien pesé ses mots et contrairement à son discours au sommet de 2017 sur les rives de la mer Morte en Jordanie, il n’a pas donné de conseils ni présenté des suggestions. Il s’est simplement contenté de poser des questions qui devraient faire réfléchir les dirigeants arabes. Il a ainsi demandé : Si la terre est perdue, à quoi peuvent servir les négociations ? Il s’est aussi demandé que devient, dans, ce contexte, l’initiative de paix arabe, lancée par le prince héritier du royaume saoudien à l’époque Abdallah, au sommet de Beyrouth en 2002, qui reposait essentiellement sur le principe de la terre contre la paix, auquel le Liban avait ajouté in extremis le droit au retour des réfugiés.
Adoptant toujours le style interrogatif, pour ne pas braquer les dirigeants arabes, le président Aoun s’est demandé quel va être le sort des fermes de Chebaa, des collines de Kfarchouba et d’une partie de la localité de Ghajar à la lumière de la décision américaine et si le Conseil de sécurité sera en mesure de protéger les droits territoriaux du Liban et ceux de la Syrie ? Devenant encore plus précis, il a demandé comment la Ligue arabe compte faire face à de telles atteintes aux droits alors qu’entre les pays arabes, les frontières restent fermées et certains sièges au sein de la Ligue sont vacants ( dans une allusion à la participation de la Syrie) ? Aoun s’est encore demandé pourquoi la communauté internationale insiste-t-elle pour garder les déplacés syriens au Liban, alors que ce pays n’est plus en mesure de supporter un fardeau aussi lourd, tant sur le plan social, qu’économique ou sécuritaire. Le chef de l’État s’est aussi demandé pourquoi le million et demi de déplacés syriens présents au Liban sont considérés comme des réfugiés politiques, alors qu’une grande partie d’entre eux ont fui la Syrie pour des raisons économiques, ou à cause des combats ?
Selon les échos retransmis par les journalistes arabes présents à Tunis pour couvrir le sommet, le discours du président libanais a été le plus écouté, car le plus clair et le plus direct, allant droit au but sans passer par les effets de littérature si chers aux Arabes. En même temps, il contenait entre les lignes un appel à la conscience des dirigeants arabes en cette période particulièrement délicate, au cours de laquelle l’administration américaine est en train d’aligner totalement sa position sur celle des Israéliens, en leur faisant des cadeaux en territoires sans la moindre contrepartie. Si la forme interrogative du chef de l’État était destinée à atténuer l’impact négatif des propos, le contenu n’en était pas moins dérangeant, tout en laissant entendre en filigrane que face aux nouvelles réalités, l’option de la résistance reste indispensable. Aoun a ainsi rappelé que l’an dernier, il y a eu la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, cette année, cela a été le tour du Golan, laissant entendre que l’an prochain ce sera peut-être le tour d’une partie de la Cisjordanie, ou plus encore, si les Arabes n’y prennent pas garde. Officiellement, il n’y a pas eu de réaction apparente chez les dirigeants arabes aux interrogations du président du Liban et en fait nul ne s’attendait à ce qu’il y en ait. Mais dans les archives des sommets arabes, il y aura sûrement la trace de ce discours qui a voulu alerter les Arabes avant qu’il ne soit trop tard.
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Des soldats druzes de l'armée israëlienne occupent 1200 km2 du Golan druze syrien depuis 1967. Les mouches du coche arabes portent plainte en 2019 au Conseil de Sécurité. Une milice pro-iranienne équipée, habillée, payée, armée par un pays non-arabe occupe une partie très importante du territoire national du Liban... Quelles mouches du coche arabe ou international, porteraient plainte au Conseil de Sécurité ?
Un Libanais
19 h 50, le 02 avril 2019