Des passants devant une affiche électorale du président turc Recep Tayyip Erdogan où l’on peut lire « Istanbul est une histoire d’amour pour nous » avec en arrière-plan la basilique Sainte-Sophie à Istanbul, le 26 mars 2019. Yasin Akgul/AFP
La basilique Sainte-Sophie d’Istanbul va-t-elle redevenir une mosquée ? C’est en tout cas l’ambition déclarée du président turc, Recep Tayyip Erdogan. En pleine campagne électorale pour les municipales du 31 mars, le reïs a créé la surprise générale en annonçant mercredi que « le temps est venu » pour l’ex-basilique Sainte-Sophie de redevenir « une mosquée », estimant que sa transformation en musée en 1934, sous la présidence « laïque » de Mustafa Kemal Atatürk qui désirait offrir la basilique à « l’humanité », avait été une « très grosse erreur ».
Située entre le palais impérial de Topkapı et la Mosquée bleue, coiffée d’une coupole haute de 55 mètres autour de laquelle se dressent quatre minarets, Sainte-Sophie est l’un des monuments les plus importants et symboliques de l’ancienne Constantinople, capitale de l’Empire byzantin. Elle a été bâtie au VIe siècle, sous le règne de l’empereur Justinien, puis convertie en mosquée sous celui du sultan Mehmet II après la conquête de Constantinople par les Ottomans en 1453. La « Sainte-Sagesse » fait office de musée depuis maintenant 85 ans et attire plusieurs millions de touristes chaque année. La qualification de musée « sera retirée » du statut du monument, a affirmé M. Erdogan lors d’un entretien à la télévision A Haber, ajoutant : « Nous appellerons Ayasofya une mosquée. » Mais quelles sont les motivations du reïs ? Le point sur la situation avec Jana Jabbour, enseignante à Sciences Po Paris et spécialiste de la Turquie, contactée par L’Orient-Le Jour.
Pourquoi Erdogan fait-il cette annonce maintenant ?
Cette décision prise par Erdogan de transformer Hagia Sophia en mosquée intervient dans un double contexte. D’abord celui des élections municipales du dimanche 31 mars, mais aussi celui de l’attaque contre les deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande le 15 mars. À travers cette annonce, le reïs veut consolider le vote islamique conservateur, mais aussi le vote nationaliste turc en faveur de l’AKP (Parti de la justice et du développement d’Erdogan). Il manipule les événements de la scène internationale pour gagner en voix sur la scène locale lors des élections. Il veut aussi montrer que la Turquie défend son identité musulmane orientale islamique face à un « complot » occidental et des ennemis de la Turquie contre elle et les musulmans. Ces ennemis peuvent d’ailleurs aussi bien être à l’extérieur (Occident) qu’à l’intérieur du pays (opposition libérale kémaliste, les Kurdes, les gülenistes…). Grâce à cette annonce, M. Erdogan veut montrer que la politique étrangère de la Turquie est aujourd’hui marquée et façonnée par l’islamo-nationalisme.
(Lire aussi : Erdogan veut renommer l'ex-basilique Sainte-Sophie en "mosquée Sainte-Sophie")
Est-ce qu’il peut parvenir à ses fins ?
Il est tout à fait possible pour Erdogan de parvenir à ses fins. Avec la nouvelle Constitution (approuvée en 2017), le président turc a le droit de gouverner par décrets. Ceux-là peuvent toucher tous les domaines de la vie politique. S’il décide, par décret, de reconvertir Sainte-Sophie en mosquée, il le peut sans problème, et ce même si l’AKP ne remporte pas la mairie d’Istanbul. Il peut outrepasser les partis politiques et n’a pas besoin de la validation du Parlement.
Le CHP, parti kémaliste (opposition traditionnelle), va s’opposer à cette décision, mais il est minoritaire au sein de la Grande Assemblée nationale, ce qui signifie une défaite s’il y a un vote avec les autres partis. Si la décision passe par décret présidentiel, le vote n’a pas lieu d’être et, de toutes les manières, le CHP n’a aucun mécanisme institutionnel qui puisse peser sur cette décision.
Quel message le président turc souhaite-t-il transmettre ?
Il s’agit moins d’effacer l’héritage et le patrimoine chrétien et byzantin de la ville d’Istanbul que de défendre l’identité islamique de la Turquie, aujourd’hui jugée en danger et attaquée par des puissances occidentales, l’extrémisme radical et l’extrême droite en Europe, mais aussi face à une opposition locale libérale qui se teinte de plus en plus de connotation antimusulmane, anti-orientale et anti-islamique. Il s’agit avant tout de consolider le vote conservateur avant les élections.
Cette décision d’Erdogan est par ailleurs indissociable de la décision de Donald Trump de déclarer la souveraineté sur le Golan. La reconversion de Sainte-Sophie en mosquée est une tentative de montrer que la Turquie est la championne de la cause musulmane dans le monde y compris la cause palestinienne, et l’unique défenseure réelle et authentique de la civilisation orientale et islamique contre Israël et les États-Unis.
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La basilique Sainte-Sophie d’Istanbul va-t-elle redevenir une mosquée ? C’est en tout cas l’ambition déclarée du président turc, Recep Tayyip Erdogan. En pleine campagne électorale pour les municipales du 31 mars, le reïs a créé la surprise générale en annonçant mercredi que « le temps est venu » pour l’ex-basilique Sainte-Sophie de redevenir « une...
commentaires (16)
Malheureusement pour la Turquie, d'Atatürk à tête de turc... l'évolution n'a pas été clémente...
Wlek Sanferlou
15 h 16, le 30 mars 2019