Comme il l’avait annoncé vendredi au lendemain de l’émission Sar el-wa’ët, au cours de laquelle Paula Yacoubian, députée de Beyrouth, l’avait accusé de corruption dans le cadre du dossier des navires-centrales turcs loués pour produire de l’électricité, le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, a intenté hier un procès à la députée indépendante. La requête présentée devant le tribunal de première instance du Metn par Majed Boueiz, avocat de M. Bassil, porte sur « des mensonges ayant touché à la dignité, la réputation et la position » du chef du CPL, qui demande réparation à hauteur d’un montant de 110 millions de livres libanaises.
Mme Yacoubian s’en était dans le même temps prise à Nader Hariri, ancien directeur du cabinet du Premier ministre Saad Hariri, l’accusant d’être lui aussi impliqué dans un marché douteux axé sur les navires-centrales et qui a comporté, selon elle, le profit par les deux hommes d’une commission de 8 %. Le cadre du courant du Futur avait réagi en affirmant qu’il se mettait à la disposition de la justice, mais que si les propos de la députée s’avéraient fausses, il souhaiterait que celle-ci soit également disponible auprès de la justice pour répondre des diffamations lancées à son encontre.
La poursuite de Mme Yacoubian en justice est-elle conforme aux valeurs constitutionnelles et démocratiques qui consacrent la liberté d’expression des députés dans le cadre de l’exercice de leur mandat et les protègent à travers leur immunité parlementaire ? Interrogé par L’Orient-Le Jour sur l’opportunité de sa démarche, Me Boueiz affirme que « l’immunité concerne uniquement les poursuites pénales », indiquant qu’en l’espèce, Mme Yacoubian est poursuivie devant les tribunaux civils. « Nous n’intentons pas le procès sur base du code pénal, mais sur celle du code des obligations et des contrats qui, dans l’article 122, condamne tout propos ayant nui à la réputation d’autrui », indique l’avocat de M. Bassil, soulignant que « c’est de la plainte en diffamation auprès du tribunal des imprimés que sont protégés les parlementaires ».
Mais le fait pour Mme Yacoubian d’avoir accusé M. Bassil de corruption constitue-t-il un délit, même civil ? Selon Me Boueiz, « la liberté d’expression est limitée par la loi et la Constitution ». Il mentionne à cet égard le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) qui « soumet la liberté d’expression à certaines restrictions fixées par la loi, notamment le respect de la réputation d’autrui ».
Majed Boueiz évoque également l’article 83 du règlement intérieur du Parlement qui « donne le droit au chef du législatif d’interdire à un député d’attenter à l’honneur, à la réputation et à la dignité de l’autre ». « S’il en est ainsi dans l’hémicycle parlementaire, a fortiori la règle doit être appliquée en dehors du Parlement », estime-t-il.
Devoir de contrôle
Interrogée par L’OLJ, Mme Yacoubian déclare qu’il est de son « devoir de parlementaire d’évoquer des questions qui font l’objet de doutes », soulignant que « cela fait partie de (son) obligation de contrôler le pouvoir exécutif et lui demander des comptes ». Elle affirme toutefois « préférer encore que M. Bassil use du recours en justice plutôt que des menaces et insultes proférées sur la toile par des fonctionnaires relevant de lui ».
Répondant à l’accusation du chef du CPL d’avoir porté préjudice à sa renommée, la députée soutient que « sa réputation est déjà gâchée par des milliers de personnes qui condamnent son comportement et ses actes depuis qu’il a pris en charge ses responsabilités politiques ». « Qu’il poursuive donc ces milliers d’accusateurs ! D’ailleurs, pourquoi ne s’en prend-il qu’aux activistes ou à moi qui ne relève d’aucun bloc parlementaire ? Pourquoi ne recourt-il pas aux mêmes actions contre des responsables politiques affiliés à des partis et qui l’ont pointé du doigt à maintes reprises ? » interroge-t-elle, rappelant qu’« en 2013, le quotidien al-Moustaqbal avait révélé que M. Bassil avait acquis un appartement de 5 millions de dollars et (qu’) il n’avait alors manifesté aucune volonté de poursuite ».
Sur un autre plan, Me Boueiz affirme qu’ « il est interdit de discuter de faits qui font l’objet d’une enquête judiciaire ». « Or, note-t-il, Mme Yacoubian a elle-même affirmé avoir fait une dénonciation concernant l’affaire des navires-centrales. » Il y a quelques jours, la députée a en effet affirmé sur son compte Twitter qu’elle avait présenté une note d’information au procureur général financier dans l’affaire des navires-centrales en se basant sur un tweet de M. Bassil dans lequel celui-ci affirmait le 20 décembre dernier que certains partis politiques avaient touché des commissions dans le cadre de la location des barges. « Je souhaite que M. Bassil partage ses informations avec la justice, et ce dans l’intérêt de la vérité », a-t-elle écrit.
En réponse aux propos de Majed Boueiz, Paula Yacoubian indique à L’OLJ qu’elle considère que la question liée aux navires-centrales n’est pas aux mains de la justice puisque, dit-elle, « il n’y a aucune enquête », affirmant que le procureur général financier, auprès duquel elle avait présenté sa requête en décembre, « n’a pas entendu Gebran Bassil ». « Le juge l’a convoqué, mais il n’a jamais comparu », assure-t-elle, précisant qu’elle compte intenter une action en justice contre M. Bassil « pour les courtages, partages de parts et adjudications dans lesquels il est impliqué ».
Quant au recours de M. Bassil, Me Boueiz affirme qu’il a un but, « celui d’amener Paula Yacoubian à présenter des documents prouvant la véracité de ses accusations ». il juge à ce propos que la députée se base sur des informations et non sur des documents. « Dans un tweet lancé au lendemain de l’émission Sar el wa’ët, elle a elle-même prétendu que “sur base d’informations” qu’elle détient, la commission semble s’élever à plus de 8 % », indique l’avocat.
La parlementaire n’a pas souhaité répondre sur ce dernier point, affirmant qu’en tout état de cause, elle ne se laissera pas intimider.
Pour mémoire
Infrastructures : Bassil parle de corruption, Yacoubian veut informer le parquet financier
Navires-centrales : le ministère de l'Energie notifie le parquet des accusations de S. Gemayel
D'APRES LE JUGE QUI A PARLE SUR MTV DANS L'EMISSION DU LUNDI M BASSIL N'A PAS REPONDU A SES APPELS ET DEMANDE DE PARAITRE DEVANT LUI POUR CONTINUER SON ENQUETE SUR CE SUJET SI CELA EST VRAI PEUT ETRE UNE ENQUETE A CE SUJET SERA NECESSAIRE POUR COMPRENDRE POURQUOI M BASSIL EST AUX ABONNES ABSCENT QUAND UN JUGE VEUT LUI PARLER
02 h 31, le 27 février 2019