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Moyen Orient et Monde - Contestation

Le Soudan reçoit le soutien de puissances étrangères aux agendas divergents

De nouvelles manifestations ont été réprimées dans la violence hier.

Un manifestant soudanais brandit un drapeau national alors que des centaines d’autres tentent de marcher sur le palais présidentiel de la capitale, Khartoum, le 24 janvier 2019. Photo AFP

Le régime du président Omar el-Béchir a annoncé avoir reçu le soutien de la Russie, du Qatar, de la Turquie et des Émirats arabes unis, alors que de nouvelles manifestations ont eu lieu hier, et que des centaines de protestataires ont été empêchés par la police de marcher vers la présidence.

« Le Qatar a réitéré son soutien ferme et continu au Soudan », a assuré le ministre soudanais des Affaires étrangères, al-Dirdiri Mohammad Ahmad, sans préciser la forme de l’aide ou du soutien. Il s’adressait à la presse à l’aéroport de Khartoum après le retour de Omar el-Béchir, qui a été reçu mercredi à Doha par l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani, lors de sa première visite à l’étranger depuis le début des manifestations. Dans la même journée, le ministre du Pétrole, Azhari Abdelkhader Abdallah, a déclaré devant des journalistes à Khartoum : « Nous avons reçu de l’aide des Émirats arabes unis. La Russie et la Turquie nous ont aussi proposé une assistance, notamment du carburant et du blé, et nous l’avons acceptée comme une affaire normale entre pays amis à la lumière de la situation que traverse le Soudan. » Il n’a pas fourni plus de détails. Être soutenu à la fois par les Émirats, le Qatar et la Turquie, alors que ces pays sont dans les camps opposés dans la crise actuelle que traverse le Conseil de coopération du Golfe (CCG) avec la mise au ban du Qatar, s’explique par l’emplacement géographique du Soudan, membre de la Ligue arabe et dont une partie du système judiciaire s’inspire de la charia. Des agendas divergents poussent ces puissances à s’investir au Soudan, théâtre important de la guerre froide entre les axes Ankara-Doha et Riyad-Abou Dhabi, dans laquelle « le Soudan tente de faire l’équilibriste » pour maximiser les retombées positives, indique Ahmad Soliman, spécialiste au Chatham House de la politique des pays de la Corne de l’Afrique, interrogé par L’Orient-Le Jour.


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Amarrage de 26 pétroliers
Dans le cadre de sa volonté d’avoir une ligne politique indépendante de Riyad dans sa politique étrangère, le Qatar a investi ces dernières années en Afrique de l’Est, notamment en Somalie et au Soudan. Doha semble poursuivre une politique différente de celle adoptée en Syrie, où il a jusqu’ici soutenu une approche favorable aux revendications du peuple contre le régime. « Le Qatar s’est directement engagé dans les négociations dans le pays, comme cela a été démontré avec la Déclaration de Doha sur la paix au Darfour » de 2011, note M. Soliman.

La Turquie, important allié du Qatar, se projette pour sa part en Afrique de l’Est pour acquérir des opportunités commerciales, tout en prenant le contre-pied de Riyad, et « a signé un protocole d’entente économique » lors de la visite à Khartoum de Fuat Oktay, vice-président turc, en novembre dernier, rappelle M. Soliman, visite qui avait précédé de quelques semaines celle du président Recep Tayyip Erdogan.

L’Arabie Saoudite cherche, quant à elle, à gagner en puissance dans la région de la mer Rouge, en accueillant par exemple le 16 septembre dernier à Djeddah la signature de l’accord de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée, ou en incluant le Soudan dans une réunion de sept pays riverains de la mer Rouge le 12 décembre dernier à Riyad, dont le but était d’« étudier la possibilité de créer une entité pour les États arabes et africains sur les côtes de la mer Rouge », selon l’Agence de presse saoudienne (SPA). Le Soudan est par ailleurs un allié de Riyad dans la guerre du Yémen, où des soldats soudanais sont déployés. Concernant Abou Dhabi, il est également présent militairement et économiquement en Afrique de l’Est, et « l’aide des Émirats arabes unis » à laquelle le ministre soudanais du Pétrole fait référence est l’amarrage de 26 pétroliers d’une capacité de 43 mille tonnes chacun au Soudan, et une aide prochaine de 300 millions de dollars selon une information du journal soudanais al-Intibaha, qui ajoute que cela suffirait à subvenir aux besoins de Khartoum pour une période de trois mois. Cette information a été confirmée par le chef de la commission pour le Pétrole et le Gaz au Parlement soudanais, Ishaq Bachir, qui a affirmé que le Soudan rembourserait cette aide, selon Bloomberg.


(Lire aussi : Quatre clés pour mieux comprendre ce qui se passe au Soudan)


« L’intérêt progressif des grandes puissances pour la Corne de l’Afrique »
Moscou pour sa part joue sur un autre tableau, celui de « l’intérêt progressif des grandes puissances pour la Corne de l’Afrique », note M. Soliman, qui rappelle que Vladimir Poutine et Omar el-Béchir se sont rencontrés à plusieurs reprises ces dernières années, et que le Soudan et la Russie entretiennent une relation militaire étroite. Le gouvernement russe a reconnu que « des représentants de sociétés de sécurité privées russes, qui n’ont rien à voir avec les organes de l’État, opèrent effectivement au Soudan », et que « leur tâche se limite à former le personnel des forces armées et des forces de l’ordre de la République du Soudan », selon une déclaration à la presse mercredi dernier de Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères.

Des manifestations quasi quotidiennes ont lieu au Soudan depuis le triplement du prix du pain, le 19 décembre. Selon de nombreux observateurs, le mouvement est devenu le plus grand défi posé au président depuis son arrivée par un coup d’État soutenu par les islamistes en 1989. Vingt-six personnes sont mortes dans le cadre de cette contestation, dont deux membres des forces de sécurité, selon un bilan officiel. Des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International ont évoqué 40 morts, dont des enfants et du personnel médical, accusant les forces de l’ordre d’en être responsables.

Omar el-Béchir, 75 ans, a refusé de démissionner et a imputé les violences liées à la contestation à des « conspirateurs ». Pour le président soudanais, les États-Unis sont à l’origine des difficultés économiques en raison d’un sévère embargo, imposé pendant 20 ans (1997-2017), qui interdisait au Soudan de mener des activités commerciales et des transactions financières à l’international. Au-delà de la baisse des subventions du pain, le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, fait face à un grave déficit en devises étrangères. Les habitants sont confrontés à des pénuries régulières d’aliments et de carburants, tandis que les prix de certaines denrées subissent une forte inflation.


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