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Culture - Céramique

La cinquième vie de Nada Rizk

Cette plasticienne, reconvertie sur le tard à l’art de la céramique, présente son installation « Cocoon » dans le cadre du Salon d’automne* au musée Sursock et continue d’interroger, avec une curiosité et une persévérance intactes, les mystérieux rouages de la nature.

Nada Rizk parmi ses « Cocoons » exposés au Salon d’automne du musée Sursock. Photo Milad Ayoub

Souvent, pour mieux cerner un(e) artiste et en dresser le portrait, on se plie à l’exercice sommaire qui consiste à aller faire un tour du côté de son arbre généalogique. Sur le versant maternel, le destin de la grand-mère de Nada Rizk prend un tour assez épique. Amputée de la main gauche à dix ans à peine, elle refuse son assignation à cette entrave physique et fait carrière dans la peinture. Par-delà ce penchant pour l’art, c’est surtout cet acharnement et cette opiniâtreté étonnants dont sa petite-fille aura hérité quand, à l’âge où d’autres somnolent sur leurs lauriers ou n’aspirent plus à de réelles possibilités de se réinventer, bref, sur le tard, comme on dit vulgairement, elle se reconvertit au travail de la céramique. Un épanouissement à retardement qu’elle qualifie de la sorte : « C’était un fascinant sentiment de renouvellement intérieur, j’avais l’impression de vivre une cinquième vie. »


Se redécouvrir
Avant cela, forte d’un diplôme de la London School of Economics, suivi d’un master en sciences politiques et relations internationales, Nada Rizk ne s’était égarée qu’épisodiquement dans l’art, à la faveur de quelques toiles talochées par plaisir, se consacrant aux déménagements qui ont tramé sa vie et à l’éducation de ses deux enfants. En 2005, de retour définitivement à Beyrouth, elle s’inscrit, « spontanément, sans trop réfléchir », à l’Alba pour une licence en arts plastiques. « Je me suis retrouvée dans une classe d’élèves qui avaient l’âge de mes enfants », confie celle qui se découvre alors un talent et une passion pour la céramique à laquelle elle s’essaye aux côtés de son professeur Samir Müller. Ce qui la séduit, c’est « l’idée de laisser son empreinte sur la matière et surtout de construire quelque chose. Dès que j’enfourne une pièce, je me prends à devenir une enfant, car à chaque fois, c’est une surprise, on ne sait pas à quoi s’attendre », dit-elle avec la gourmandise intacte des premières fois. Seule dans son atelier de Broummana, noyé dans les pinèdes et le chant des élytres, la plasticienne égrène les journées à malaxer l’argile, l’enfourner, l’enduire de vernis, puis réitérer ces mêmes étapes, en attendant patiemment ses créations, « qui sont aussi le produit du hasard » et dont les premières prenaient la forme de bols à la fois bruts et naïfs, inspirés par les récipients grecs, romains et ceux du monde islamique. « Parfois, tout ce que j’ai mis des jours à bâtir s’effrite. Je pense que le travail de la céramique est une leçon d’humilité, aussi, celle de l’acceptation de l’échec, des choses qui tombent à l’eau d’une minute à l’autre », rit-elle.


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L’homme et la nature
À la force de ses doigts noircis par la terre et ses poignets qu’elle tortille « jusqu’à l’épuisement », les pièces de Nada Rizk sortent de l’ombre et s’exposent à Beyrouth aux galeries Rochane, Alwane, Art on 56th et au Musée national, ainsi qu’à la galerie Laterna Magica à Helsinki, au Palazzo Priuli à Venise et au Carrousel du Louvre parisien. Que ce soit à la faveur de A Part of You Wants to Go Another Wants to Stay, ses oiseaux à deux têtes qui racontaient le déchirement de sa terre natale, sa série de sculptures Bloom présentées dans le cadre de la Beirut Design Fair en 2017, vases d’où émanaient, en se bousculant, des myriades de fleurs comme pétrifiées par le temps, la céramiste établit son vocabulaire personnel, irrigué par l’imagerie de la mythologie ou interrogeant l’identité de l’homme et son rapport à la nature. D’ailleurs, sélectionnée par le Salon d’automne du musée Sursock, c’est à ce thème que Nada Rizk consacre sa surprenante Cocoon, une installation de neuf sculptures à la géométrie aléatoire, aussi imposantes que fragiles, conçues par la technique du colombin, qui disent l’énergie constructive de la nature ainsi que la symbolique d’une métamorphose. Explications de l’artiste : « Cette installation représente un virage dans ma technique, celle du colombin qui s’apparente à la construction d’un bâtiment, avec ces rubans de glaise qui s’empilent jusqu’à donner la forme finale à ma pièce. Mon geste n’est pas sans rappeler, en outre, la larve qui construit son cocon. » Rizk a aussi « tenu à éliminer l’étape du vernissage, de sorte à fragiliser mon installation d’une certaine manière, et la rendre éphémère. L’idée était que mes cocons parlent justement de l’aspect éphémère de la nature, non seulement par leur forme, mais également par leur fabrication ».

En décembre, lors de la quatrième édition de House of Today, la céramiste montrait Neptunes Cups au sein du WallpaperSTORE, où patientaient ses petites sculptures d’oiseaux en bronze sur le rebord de bols en marbre. Si, pour ce faire, Nada Rizk dit s’être inspirée de la forme des éponges vivantes, on y verrait plutôt une allégorie d’elle, faisant fi de son âge, se fabriquant des ailes et s’apprêtant à s’envoler.

*Salon d’automne au musée Sursock jusqu’au 14 janvier 2019



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