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Lifestyle - Focus

Maya Ibrahimchah, la pasionaria du patrimoine

Grand moment dimanche 23 décembre, au palais Hneiné, où flottait un parfum de légende. Sept mois de travaux et un gros budget ont permis à Maya Ibrahimchah d’offrir à 200 invités un intermède pour remonter le temps.


Elle s’est battue comme une tigresse pour montrer que quand on veut, on peut sauver des joyaux du patrimoine libanais... Maya Ibrahimchah posant en famille au cœur du palais Hneiné (à Zokak el-Blatt) qu’elle a fait superbement revivre le temps d’une soirée. Photo DR

Pendant sept mois, Maya Ibrahimchah a « réquisitionné » le palais Hneiné, à la rue Abdel Kader, secteur de Zokak el-Blatt. Jetant son dévolu sur cette grande demeure du XIXe siècle, dont les décors d’une rare beauté sont inspirés de l’Alhambra et de l’architecture médiévale de l’Égypte mamelouke, cette pasionaria inconditionnelle du patrimoine libanais se fixe un objectif : restituer au palais un éclat qui rappellera son lustre d’antan et y célébrer l’anniversaire de son mari Christian Ibrahimchah, pour partager avec ses amis la beauté des lieux. L’initiative de Maya Ibrahimchah vise à démontrer aux propriétaires-promoteurs que ce magnifique bâtiment peut servir de sésame pour un bel exemple de développement. Et, surtout, que le patrimoine libanais, en danger de mort, est inestimable.

La gageure n’est pas évidente car, laissé à l’abandon depuis la guerre civile du Liban, le bâtiment a subi une forte dégradation. Mais Maya Ibrahimchah a du ressort et, comme le dit un de ses amis, une force de caractère peu commune et des convictions bien ancrées. Alors, après l’accord des propriétaires, elle va s’armer de gants de protection, de bottes de chasse, d’un masque et d’un foulard pour recouvrir le nez, la bouche et les cheveux, et diriger une équipe d’ouvriers qui vont entreprendre le grand nettoyage, enlevant par dizaines de brouettées les ordures amoncelées dans le hall et dégageant la magnifique envolée de l’escalier baroque. Ce déblayage permettra de récupérer les débris de dalles qui jonchaient le sol, qu’elle va patiemment recoller fragment par fragment. « J’avais l’impression de faire un puzzle géant », dit-elle. Une opération qu’elle recommencera en emboîtant les uns dans les autres les morceaux de pierre de la fontaine qui décorait un des salons.


Au coton-tige

Faisant fi des risques de problèmes respiratoires et de réactions allergiques, elle s’attaque ensuite aux épaisses couches de moisissure qui se sont propagées sur tous les murs. Des semaines seront nécessaires pour décrasser les surfaces, avant de les nettoyer à l’alcool isopropylique, un puissant désinfectant.

Dans la salle principale ouverte sur le nord par une triple arcade, elle va patiemment dépoussiérer, avec du coton-tige, le magnifique plafond de stuc aux motifs géométriques polychromes incrustés de miroirs, qui rappellent le scintillement des étoiles.

De plus, dans la pièce voisine où le mur a été sciemment éventré par les propriétaires dans l’espoir de précipiter la dégradation des lieux, le plafond menaçait de chuter : « 1 400 clous ont été utilisés pour le consolider », signale Mme Ibrahimchah, qui indique également que les portes en bois qotrani séparant les diverses pièces ont été retrouvées dans le jardin. Pour marquer chacune son territoire, les nombreuses familles qui avaient squatté les lieux avaient remplacé ces portes par des cloisons de béton.

Au bout de six mois, tout était propre. Elle fait alors appel à des amis pour planter le décor au sein duquel vont évoluer les invités. Aux murs, photographies et tableaux d’époque sont assurés par le collectionneur Gaby Daher. Des reproductions de paysages libanais commandités par Lina Ezzeddine serviront à dissimuler les impacts d’éclats d’obus. La Maison Tarazi prête du mobilier et des objets, identiques à ceux qui apparaissent sur les clichés de Tancrède Dumas qui avait photographié l’intérieur de la demeure vers 1885. On raconte d’ailleurs que Dimitri Tarazi avait meublé la maison lors de sa construction. Des rideaux rouges finissent par donner à la demeure une scénographie propre aux fêtes et aux légendes d’Orient. Idéale ce soir-là pour accueillir la soprano Mira Akiki et les dix choristes de l’Université antonine dirigés par le père Toufic Maatouk, avant que l’ambiance ne s’échauffe encore plus avec les sets de Caline Chidiac.


Boîte à histoires

L’histoire du palais Hneiné est un vrai feuilleton à rebondissement. Il a été construit vers 1880 pour Constantin Podhorski, fils d’une princesse russe et d’un comte polonais, qui y résida jusqu’en 1901 ou 1902, avant de quitter le Liban pour les États-Unis où il a été assassiné dans un restaurant du Nevada en mars 1907, par l’époux de sa maîtresse.

Au début du XXe siècle, le palais est acquis par Youssef Mezher « Bahar », qui le léguera à ses filles Salloum, Marguerite, Jeanne, Alice, Marie et Victoria. Comme le décrit si bien l’historienne May Davie, « la somptuosité des décors de cette habitation est saisissante. Pour beaucoup inspirés de ceux du palais Alhambra et de l’architecture médiévale de l’Égypte mamelouke, ils déploient une composition foisonnante de formes et de détails de l’art islamique néomauresque : maçonneries bicolores en rangs alternés dites ablaq ; arcs brisés festonnés et en dents de scie ; colonnettes graciles ; chapiteaux ornés des figures géométriques ; consoles et culs-de-lampe en nids d’abeilles dits mouqarnas ; clairevoies aux ajours étoilés, frises en arceaux, bandeaux d’entrelacs, panneaux en trompe-l’œil au grillage losangique (…) ».

Vers 1903, le Dr Justin Calmette, chargé de la chaire de la clinique médicale chez les jésuites, en devient le principal locataire. Après son départ, au début de la Grande Guerre en 1914, le consulat américain s’y installe jusqu’en juillet 1936. Un des étages du bâtiment sera occupé par le consulat hollandais entre 1917-1919.

Vers 1932, Marie Mezher « Bahar » (1892-1970) et son époux, le Dr Joseph Hneiné (1883-1961) rachètent aux héritiers de Youssef Mezher une grande part du palais, et s’y installent vers 1936. En 1968, Marie Hneiné transforme sa demeure en restaurant, qu’elle nommera « Au petit palais » et qui sera fermé à sa mort en 1970.

Entre-temps, Georges Haddad et son épouse, l’écrivaine et artiste Marie Chiha, sœur de Michel Chiha, éliront domicile au troisième étage, et le deuxième sera investi par le Dr Dahesh, considéré par ses disciples et adeptes comme le « Paraclet » annoncé par Jésus de Nazareth.

Durant la guerre civile, le bâtiment est squatté. Les Hneiné et leurs descendants vendent leurs parts à un certain Kobeissi qui, n’ayant pas pu déloger les réfugiés, cède le palais qui est racheté au milieu des années 2000 par Wahib Ali Ghaith et le promoteur immobilier et ancien membre du conseil municipal de Beyrouth, Saadeddine Nemr Wazzan.Le palais est frappé d’un interdit de démolition par décision du ministre de la Culture Salim Wardy, le 9 novembre 2009. Mais, suite à « un prétendu accident », un trou béant à même la façade livre sciemment le bâtiment aux vents et à la pluie, et risque de le transformer en une ruine. L’ONG Save Beirut Heritage, soutenue par le ministre de la Culture, Rony Arayji, réussit à l’inscrire sur la liste des 100 monuments les plus menacés du World Monuments Watch 2016, un puissant organisme privé voué à la protection du patrimoine mondial. Aujourd’hui, l’initiative de Maya Ibrahimchah vise à démontrer aux propriétaires-promoteurs que ce magnifique bâtiment peut servir de sésame pour un bel exemple de développement. Et, surtout, que le patrimoine libanais, en danger de mort, est inestimable.

Pendant sept mois, Maya Ibrahimchah a « réquisitionné » le palais Hneiné, à la rue Abdel Kader, secteur de Zokak el-Blatt. Jetant son dévolu sur cette grande demeure du XIXe siècle, dont les décors d’une rare beauté sont inspirés de l’Alhambra et de l’architecture médiévale de l’Égypte mamelouke, cette pasionaria inconditionnelle du patrimoine libanais...

commentaires (4)

Un bouquet de mercis! A Mme brahinchah qui a soufflé du renouveau dans ce joyaux Beyrouth un, merci à son mari pour lavoir soutenu, mercis à ces ministres qui ont protégé ce trésor en détresse, merci à l'OLJ pour cet article qui nous redonne un sens d'attachement à ce pays où des personnes se transforment en super- héros pour sauver notre mémoire collective!

Wlek Sanferlou

21 h 27, le 30 décembre 2018

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Commentaires (4)

  • Un bouquet de mercis! A Mme brahinchah qui a soufflé du renouveau dans ce joyaux Beyrouth un, merci à son mari pour lavoir soutenu, mercis à ces ministres qui ont protégé ce trésor en détresse, merci à l'OLJ pour cet article qui nous redonne un sens d'attachement à ce pays où des personnes se transforment en super- héros pour sauver notre mémoire collective!

    Wlek Sanferlou

    21 h 27, le 30 décembre 2018

  • Je vais pourtant jouer advocat du diable , je me pose la question si ce n'est pas une maison d' "orientalisme" du 19ième siècle il semble, un style ou beaucoup d'européens ont construits des maisons un peu partout dans un style pseudo-andalousien mille-et-une-nuits je crains ... (du kitch ?). En tous cas si la maison est "patrimoine mondial" ou "patrimoine libanaise" les propriétaires-promoteurs doivent respecter cela mais je comprendrai aussi les libanais qui trouveraient peut-être que c'est une maison qui ne va pas avec l'identité libanaise spécifique.

    Stes David

    22 h 32, le 29 décembre 2018

  • BRAVO A LA DAME. EXEMPLE A SUIVRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 58, le 29 décembre 2018

  • Bravo Maya ! Le Liban a besoin de ''tigresse'' comme ca : avec idealisme, courage et perseverance ! Excellente intiative et grand succes !! Danielle Sara

    Danielle Sara

    02 h 18, le 29 décembre 2018

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