Le prédicateur Fethullah Gülen va-t-il être extradé par les États-Unis vers la Turquie ? Selon un haut représentant de la Maison-Blanche s’exprimant sous couvert d’anonymat hier, « le président américain Donald Trump ne s’est pas engagé lors d’un entretien avec son homologue turc Recep Tayyip Erdogan pour extrader Gülen », exilé aux États-Unis et bête noire du président turc. Le haut responsable démentait ainsi les propos tenus dimanche par le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, selon lequel Donald Trump avait assuré au reïs que l’administration américaine faisait le nécessaire pour extrader le prédicateur turc. « En Argentine, Trump a déclaré à Erdogan qu’ils travaillaient à l’extradition de Gülen et d’autres personnes », avait alors déclaré le chef de la diplomatie turque, évoquant le sommet du G20 d’il y a deux semaines à Buenos Aires.Cette confusion résulterait, selon les spécialistes de la question, à la fois de la stratégie turque pour chercher à obtenir l’extradition du prédicateur, mais s’inscrirait aussi dans une « tradition » diplomatique d’Ankara. « Les propos de M. Cavusoglu sont une manière de mettre encore plus de pression sur la justice américaine et de laisser entendre qu’il y a des négociations qui vont dans ce sens. Les Turcs là-dessus jouent leur carte », décrypte Guillaume Perrier, ancien journaliste au quotidien Le Monde et auteur de Dans la tête de Recep Tayyip Erdogan (Solin/Actes Sud), contacté par L’Orient-Le Jour. « Il est assez habituel d’entendre le ministère turc des Affaires étrangères précéder les événements en faisant des communiqués et des déclarations qui prennent pour acquis ce que la Turquie souhaite, mais qui ne l’est pas encore », estime quant à lui Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’Union européenne en Turquie.
Fethullah Gülen, vivant en exil en Pennsylvanie depuis 1999, est l’objet d’une réelle obsession de la part du reïs depuis le coup d’État manqué de 2016. Autrefois considéré comme l’un des hommes les plus puissants de son pays, il est accusé par le pouvoir turc d’être l’architecte du putsch et est désormais l’ennemi numéro un du pouvoir turc. Il nie cependant tout en bloc. Ses partisans, appelés
« gülenistes », sont pourchassés dans tout le pays, à travers des purges effectuées dans tous les secteurs possibles : l’armée, la fonction publique, la justice, l’éducation, les journalistes, etc. Des milliers de personnes ont ainsi été arrêtées au nom de leurs liens, réels ou imaginaires, avec M. Gülen.
Sa famille a aussi fait l’objet d’arrestations. Selon l’agence turque Anadolu, Suleiman Gülen, l’un des neveux du prédicateur, a été condamné hier à sept ans et six mois de prison pour « adhésion à une organisation terroriste armée ». Cité par l’agence turque, Suleiman Gülen a déclaré qu’il « n’est pas membre de FETÖ (Appellation turc du mouvement Gülen, considéré comme terroriste par le pouvoir), qu’il est accusé ainsi parce qu’il est le neveu de Fethullah Gülen qu’il n’a vu, selon lui, qu’une seule fois dans sa vie ».
Régulièrement, la Turquie, partenaire des États-Unis au sein de l’OTAN, tente de convaincre
Washington de bien vouloir extrader le leader religieux, en vain. Mais Ankara n’a pas renoncé et ne lésine pas sur les moyens pour obtenir satisfaction, y compris en menant des tractations politiques et du lobbying auprès des États-Unis.
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Campagnes d’influence et manque de preuves
Des proches de Donald Trump auraient ainsi tenté d’obtenir l’extradition de l’imam. L’ancien maire de New York Rudy Giuliani ou encore Michael Flynn, ancien secrétaire à la Sécurité nationale du président américain, font partie de ceux-là.
Selon des informations de RFI (Radio France internationale), Bijan Rafiekian, un homme d’affaires qui vit en Californie, travaillait avec Kamil Ekim Alptekin, un proche du président turc, pour le compte de la société de conseil du général Flynn, et ils auraient obtenu un contrat de 600 000 dollars de la part d’Ankara pour tenter de « discréditer ce ressortissant turc (Gülen) aux yeux des responsables politiques et de l’opinion publique américaine, dans le but ultime d’obtenir son extradition », après que le département américain de la Justice eut refusé de renvoyer en Turquie le prédicateur religieux. « Une entreprise intense de lobbying menée par les Turcs sur les Américains existait même avant la tentative du coup d’État. Aujourd’hui, avec le procès en cours de Michael Flynn aux États-Unis, on a quelques détails sur le projet », complète Guillaume Perrier.
Mais le reproche qui est régulièrement fait à Ankara, c’est de ne pas fournir suffisamment de preuves pour justifier cette extradition, notamment en ce qui concerne sa responsabilité dans la tentative de putsch. « Il y a deux éléments majeurs dans la décision du secrétaire d’État d’accorder ou non une extradition : la disponibilité de preuves suffisantes et la tenue d’un procès équitable si la personne est extradée », poursuit Marc Pierini. Quelques éléments, comme les actions de la confrérie Gülen aux États-Unis, notamment avec les financements des écoles religieuses qui sont passés au crible par la justice américaine, pourraient être utilisés par les autorités turques. Mais ils concernent les affaires internes américaines et non turques, et pourraient donc être insuffisants pour faire extrader l’imam.
Par ailleurs, « une extradition est beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre aujourd’hui qu’il y a trois ans à cause de la dégradation de l’État de droit en Turquie », explique l’ancien diplomate. « Une extradition me paraît compliquée compte tenu de la sacro-sainteté de l’indépendance de la justice américaine. Qu’il y ait eu une tentative d’intervention politique pour essayer de presser dans ce sens est un fait maintenant avéré. Mais que cela soit couronné de succès, on en est encore très loin. Les Turcs essayent de faire passer leur message », complète Guillaume Perrier. Mais dans le cas où une extradition serait envisagée, des compromis auront très certainement été faits entre Ankara et Washington.
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Quels arrangements ?
Plusieurs sujets pourraient être mis en avant entre les deux pays pour tenter d’arriver à un compromis. « Les Turcs utilisent chaque sujet en fonction du timing de manière pragmatique, il n’y a pas de réelle priorité stratégique pour eux si ce n’est d’obtenir la tête de Gülen (…). À l’époque du contentieux autour du pasteur Brunson, le but était clairement de dire aux Américains : vous voulez votre pasteur, rendez-nous le nôtre », estime Guillaume Perrier. Cet homme d’Église avait été détenu par la justice turque pendant deux ans, accusé d’être lié à la tentative de putsch de 2016. Il a été libéré en octobre dernier, ce qui avait grandement réchauffé les relations avec Washington. Mais Ankara espérait sans doute utiliser M. Brunson comme monnaie d’échange pour récupérer son prédicateur. La Turquie attend donc le retour de son partenaire américain, même si celui-ci a répété ne pas vouloir lier le pasteur Brunson à Fethullah Gülen.
« Mais il y a d’autres sujets de tractations politiques sur lesquels les deux pays pourraient discuter, comme le statut de la ville de Manbij, la libération de certains prisonniers politiques américains en Turquie accusés d’être liés au mouvement Gülen, l’acceptation d’un certain statu quo en Syrie ou encore les pressions exercées par la Turquie contre l’Arabie saoudite dans le cadre de l’affaire Khashoggi », conclut-il.
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commentaires (6)
Mais la Turquie avec ses manigances et coups montés même en dehors de ses frontières sont quotidiens... Et pourtant ses revers et ses débâcles se comptent à la pelle chaque jours ... Tenez : Aux USA - La Turquie et l’Azerbaïdjan ont tenté en vain d’interdire à la chaîne américaine CW Network la diffusion du défilé de Noël où les Arméniens défilaient avec des drapeaux de l’Arménie et de l’Artsakh. (Il y a juste trois jours) - En France Nouvelle victoire de l’opposant turc controversé Cem Uzan contre la saisie de ses biens par Ankara en France L’opposant turc controversé et ancien homme d’affaires Cem Uzan a remporté mardi à Paris une nouvelle victoire contre l’offensive d’Ankara visant ses avoirs en France, selon une décision de justice consultée par l’AFP. (il y a deux jours) Et c'est chaque jour ainsi ... l'effendi Erdog, perd des "batailles" ! Le despote milite CONTRE LES DROITS DE L'HOMME, CONTRE SES VICTIMES DU GÉNOCIDE, CONTRE CHYPRE ENVAHI PAR SON PAYS, CONTRE LA GRÈCE, CONTRE LES ARABES, CONTRE L'OCCIDENT, ET SES "AMADOUEMENTS" AVEC LA RUSSIE, NE SONT QUE CIRCONSTANCIELS ET CALCULÉS... mais les russes ne sont pas dupe! (Tu fais semblant, on fait semblant)
Sarkis Serge Tateossian
12 h 06, le 19 décembre 2018