C’est la première fois depuis six ans que le Maroc et le Front Polisario (Front populaire de Libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro), représentant le peuple sahraoui, se retrouvent autour de la même table pour discuter du dernier territoire africain en attente d’un statut postcolonial : le Sahara occidental. C’est aussi la première fois que l’Algérie et surtout la Mauritanie prennent également part aux discussions avec les deux belligérants directs du conflit, qui dure depuis le retrait de la puissance coloniale espagnole en novembre 1975.
La « table ronde initiale » qui a pour but de relancer les négociations sur le Sahara occidental, province marocaine pour Rabat, territoire de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) pour le Polisario, a débuté hier au Palais des Nations à Genève et doit se terminer aujourd’hui. Elle est initiée par l’ancien président allemand Horst Köhler, nommé émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental en août 2017 suite à la démission en avril de la même année de son prédécesseur, l’Américain Christopher Ross, qui a jeté l’éponge après huit années à ce poste.
« Il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre dans le processus politique », souligne la lettre d’invitation adressée en octobre par Horst Köhler. Dans la même lignée d’encouragement, une note d’information de l’ONU définit la réunion comme « le premier pas d’un processus renouvelé de négociations » pour une « solution juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ».
Dans les faits pourtant, l’approche est de ne pas mettre « trop de pression et d’attentes » sur cette première rencontre, décrypte à l’AFP une source diplomatique proche du dossier, qui souligne les mauvaises relations entre Alger et Rabat, alors que le Maroc considère que son voisin est partie prenante au conflit. En d’autres termes, l’objectif des discussions actuelles est avant tout d’accepter de discuter.
Le dernier cycle de négociations mené sous l’égide de l’ONU en mars 2012 s’est achevé sur une impasse, avec des désaccords continus entre les parties. En premier lieu, sur le statut du territoire désertique de 266 000 km2, doté d’un millier de km de littoral atlantique poissonneux et d’un sous-sol riche en phosphate. Ensuite sur la composition du corps électoral pour le référendum d’autodétermination prévu par une décision de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye datant du 16 octobre 1975, du fait d’une politique de peuplement favorisée par Rabat, qui contrôle 80 % du territoire globalement inhospitalier ainsi que les principales villes, Laâyoune, Dakhla et Smara.
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Pressions américaines
La reprise des pourparlers s’explique en partie par l’attitude de l’administration américaine, qui considère que la mission de l’ONU est coûteuse et a déjà trop duré. Le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), mise en place au moment du cessez-le-feu entre le Maroc et le Polisario en 1991 après 16 années de guerre, est traditionnellement renouvelé tous les ans pour douze mois au Conseil de sécurité de l’ONU. Cette année pourtant, le Conseil de sécurité a réduit ce mandat à six mois à deux reprises, en avril et en octobre, quelques jours après l’envoi de la lettre d’invitation par M. Köhler. Depuis mars dernier, c’est le conseiller à la sécurité nationale du président américain Donald Trump, John Bolton, qui « gère presque exclusivement » le dossier du Sahara occidental, indique Khadija Mohsen-Finan, enseignante à l’université de la Sorbonne, interrogée par L’Orient-Le Jour, qui rappelle que « M. Bolton avait été conseiller de James Baker lorsque ce dernier était l’envoyé spécial de l’ONU au Sahara entre 1997 et 2004, période durant laquelle des plans de sortie de crise avaient été proposés, tous rejetés par l’une ou l’autre des parties. Il n’a rien oublié de cette expérience et est également agacé par le renouvellement automatique de la Minurso, parce que pour lui, la reconduction automatique des mandats des missions de l’ONU contribue à geler les conflits. » Permise en partie par la pression américaine, cette table ronde « ne donnera aucun résultat », estime pour sa part Stephen Zunes, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de San Francisco et auteur de Sahara occidental : guerre, nationalisme et irrésolution de conflit (Syracuse University Press, 2010), interrogé par L’OLJ.
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Pour le Polisario, « tout peut être négociable sauf le droit inaliénable et imprescriptible de notre peuple à l’autodétermination », a déclaré à l’AFP Mhamed Khadad, membre du secrétariat national du Front Polisario et président de la commission des Affaires extérieures. Pour le Maroc, toute solution autre qu’une autonomie sous sa souveraineté sera rejetée, invoquant la nécessité de préserver la stabilité régionale. Rabat assure développer la région avec d’importants programmes d’investissement, mais le Polisario estime que ce développement ne profite pas à la population sahraouie et que l’exploitation des réserves naturelles par Rabat relève du « pillage ».
Même si le règlement du conflit enlèverait une épine du pied au Maroc, qui cherche à se projeter notamment en Afrique de l’Ouest, il est difficile pour le royaume chérifien de revenir sur sa position et d’accepter un référendum qui pourrait mener à l’indépendance de la RASD. Cela équivaudrait à reconnaître un tort. De plus, les richesses halieutiques et de phosphates, ainsi que la présence probable de pétrole sur ce territoire, favorisent probablement une approche inflexible du pouvoir marocain vis-à-vis du Sahara occidental.
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09 h 14, le 06 décembre 2018