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Nos Lecteurs ont la Parole - Jana MRAD

Silence, elle est morte

Le 7 juillet 2013, Roula Yaacoub meurt sous les coups de son mari. Le 30 octobre 2018, la chambre criminelle du Liban-Nord reconnaît les violences faites à Roula mais acquitte l’époux pour « absence de preuves ».

C’est un soir de novembre à Paris. Je transpire dans mon appartement. Je sors une clope de son paquet et m’installe sur mon balcon. Je fume. Et je pense à toi.

Votre dispute, je l’entends. Il te traite de charmouta, de sale pute. Pouffiasse ! Tes cris stridents percent le silence du village. Tu gémis. Ce n’est pas la première fois. Tu murmures ta mélopée. Tu le pries d’arrêter. De t’épargner le supplice. De penser aux enfants. Il te frappe ; tu lui demandes pourquoi. Pourquoi il s’acharne sur toi. Il t’ordonne de te taire. De la fermer. Il te roue de coups. Tu respires par à-coups. Le forcené se défoule sur ton corps. Sur ta peau autrefois blanche. Sur ta chair bleuie. Sur tes membres qui tremblent.

Sur ce qu’il reste de toi.

Puis, tu te tais. Pauvre bête meurtrie, abattue sur l’étal du boucher. Un silence se creuse. Ton silence. Et le nôtre.

Ton corps qui gît, je le vois, Roula. L’image de tes blessures me tourmente. Tu me hantes. J’éteins ma clope, j’ai les larmes aux yeux. J’ai envie de comprendre notre silence. De justifier notre inertie. Est-ce une sorte de conditionnement libanais pavlovien ? Stimulus : violence conjugale. Réaction : silence. Est-ce cela ? J’essaye de comprendre, mais je n’y arrive pas.

Tu passes dans les faits divers. Dans un petit reportage à la télé. On évoque ton meurtre autour d’un café. Brièvement. (Petite parenthèse que l’on ouvre pour aussitôt refermer.) On parle de toi, comme on parle du beau temps. Comme on se plaint du trafic. On parle de toi, comme ça. Pour rien. Ensuite, on passe à autre chose.

Chut ! Silence.

Il t’a tuée ; et on s’est tu.


Le 7 juillet 2013, Roula Yaacoub meurt sous les coups de son mari. Le 30 octobre 2018, la chambre criminelle du Liban-Nord reconnaît les violences faites à Roula mais acquitte l’époux pour « absence de preuves ».C’est un soir de novembre à Paris. Je transpire dans mon appartement. Je sors une clope de son paquet et m’installe sur mon balcon. Je fume. Et je pense à toi.Votre...

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