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Lifestyle - Entretien

Pam Nasr : J’étais féministe avant même de savoir ce que ce mot signifiait

Avec son premier court métrage, « Clams Casino », basé sur la pratique du mukbang, Pam Nasr interroge avec brio, et dans une imagerie très stylisée, la solitude de notre époque, ainsi que la condition de la femme et l’indémêlable relation mère-fille...


Une scène du film « Clams Casino ». Photo DR

Forte et fragile, la réalisatrice dont l’esthétique affirmée joue de la porosité entre élégance et vulgarité, a délaissé le champ de la mode pour celui, plus large, du cinéma. Lequel lui permet désormais d’explorer avec profondeur le monde qui l’entoure et attise sans cesse sa curiosité, intacte. Retour sur un parcours déjà rempli.

Quel a été votre premier contact avec la mode et le cinéma, deux domaines auxquels vous touchez ?

J’ai grandi à Dubaï, ville paisible mais très peu inspirante, surtout pour moi, une gamine ultravisuelle. Tout se jouait donc aux côtés de ma mère, extrêmement créative et qui transformait tout ce qu’elle touchait. Je me souviens de petits détails qui ont certainement forgé mon regard, sa façon de s’habiller, son vernis à ongle turquoise, une couleur qui ne m’a plus quitté et même sa manière, très artistique, de me préparer le goûter. Elle tricotait et créait des vêtements que je porte jusqu’à aujourd’hui. C’est elle qui m’a naturellement initiée à la mode.

En grandissant, aviez-vous des figures de référence féminines ?

J’admirais Ophrah Winfrey qui dégageait, sans effort, une attitude de boss, une sorte de force silencieuse mais aussi une empathie que je ne retrouvais pas vraiment dans le modèle féminin moyen-oriental. Enfant, j’aimais Pocahontas qui détonnait un peu, de par sa marginalité et sa liberté, du reste des héroïnes souvent dans l’ombre d’un homme. Je crois que j’étais déjà féministe, avant même de savoir ce que ce mot voulait dire.

Un souvenir marquant de cinéma ?

Je n’ai jamais été cinéphile dans le sens scolaire du terme. Les films que je regardais servaient plutôt de friandises à mon imagination. Je me souviens en particulier de la scène de The Mask où Cameron Diaz arrive à la banque, dans sa robe moulante rouge vermillon. J’avais l’impression de sentir même son parfum. C’est cette dimension du cinéma, cette propension à nous immerger que je trouvais absolument incroyable.

Après une expérience en tant que styliste de mode, comment s’est opéré le virage vers le cinéma ?

Sans en prendre conscience, j’employais mes images de mode comme un moyen de cadrer des moments et des visages qui m’attiraient et qu’a priori, on ne remarquait pas. C’était une démarche quasi cinématographique. Puis, au bout d’un moment, j’ai eu besoin d’un champ d’exploration plus large que des images statiques, un espace d’expression où je pourrais raconter des histoires en plusieurs dimensions, et mettre en scène mes émotions et mes désirs. Le cinéma était une évidence.

Votre téléphone portable en était le premier instrument…

J’ai toujours été fascinée par cet objet, très démocratique, qui me permettait d’observer et d’enregistrer les comportements des personnages qui m’entouraient, sans que cela ne soit trop encombrant.

Que ce soit dans votre esthétique de styliste ou de réalisatrice, particulièrement dans « Clams Casino », vous semblez toujours flirter avec la vulgarité…

À Beyrouth, j’habite entre les quartiers de Jdeidé et Zalka. Dans ces lieux très chamarrés, mon œil s’est formé, et j’ai puisé l’inspiration dans la rue, à la faveur des personnages hauts en couleur qui ont instauré avec beaucoup d’assurance une esthétique qui leur est particulière, faisant fi des modes et des standards plastiques. J’ai beaucoup d’estime pour ceux qui ne se préoccupent pas de la notion du goût et laissent libre cours à une expression personnelle du style. Avoir du goût, au final, c’est avoir le sien propre, quel qu’il soit, et j’y suis très sensible. C’est de cet angle que je conçois la beauté, à la frontière de l’élégance et de la vulgarité, mais dans l’authenticité. Les canons d’esthétique polis, et codifiés ne m’intéressent aucunement.

Comment est né « Clams Casino » qui était votre projet de diplôme et a ensuite participé aux festivals « Girls In Film X Women And Film », « Official Latino Film & Arts », « La Femme », et celui de La Nouvelle-Orléans…

Au moment de démarrer mes recherches pour ce court métrage qui est mon projet de diplôme (un master en réalisation à la School of Visual Arts de New York), j’ai découvert par hasard le mukbang, une pratique initiée en Corée du Sud et qui consiste à avaler des quantités phénoménales de nourriture en se filmant devant son ordinateur et des internautes. Certains pratiquants du mukbang sont mêmes devenus des célébrités du net. Ce concept me semblait si peu familier, absurde, que je m’y suis intéressée. « Clams Casino » rejoint ma conception du cinéma, censé rapprocher les mondes.

Ce premier court métrage met en scène des femmes et dresse un parallélisme entre deux adolescentes, l’une qui pratique le mukbang et recherche la validation de sa mère et l’autre qui se prive de manger en regardant des sessions de mukbang. Pourquoi ce choix ?

Clams Casino est sans conteste une histoire de femmes. Cela était important pour moi car jusqu’à présent à part quelques exceptions comme dans le remarquable Thelma and Louise, les actrices sont reléguées à de seconds rôles. Il s’agissait aussi de construire la trame autour de figures féminines et d’aborder des thématiques qui leur sont propres : le rapport à leur corps, leur solitude, les relations complexes mère-fille et toute l’ambiguïté qui habite beaucoup de femmes, dont je fais partie..

Pourquoi avoir choisi de planter votre décor au cœur de la communauté latina ?

Je ne connaissais cette culture qu’à travers mon copain Gogy Esparza (qui est artiste et m’a aidé sur le film). J’y ai été intuitivement attirée, sans doute parce que cette minorité présente des traits communs avec nous, libanais. Dans cette perspective, et dans un souci de cohérence, j’ai travaillé aux côtés de la scénariste Natasha Soto-Albors qui fait partie de cette culture. Une femme aussi, comme la plupart de l’équipe du film d’ailleurs.

Que représente pour vous la féminité?

C’est réussir à marier force et sensibilité.

Forte et fragile, la réalisatrice dont l’esthétique affirmée joue de la porosité entre élégance et vulgarité, a délaissé le champ de la mode pour celui, plus large, du cinéma. Lequel lui permet désormais d’explorer avec profondeur le monde qui l’entoure et attise sans cesse sa curiosité, intacte. Retour sur un parcours déjà rempli.Quel a été votre premier contact avec la...

commentaires (2)

Pas très frais les clams et fruits de mer sur la photo. Plutôt gris. Je ferai attention.

Evariste

16 h 15, le 29 novembre 2018

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Commentaires (2)

  • Pas très frais les clams et fruits de mer sur la photo. Plutôt gris. Je ferai attention.

    Evariste

    16 h 15, le 29 novembre 2018

  • Pratique bizarre ce "mukbang" ...

    Stes David

    13 h 58, le 29 novembre 2018

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