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Liban - Reportage

Vers une police municipale plus compréhensive et attentive aux besoins des habitants

Le PNUD parraine, depuis plusieurs mois, un projet de réhabilitation des municipalités.


Les femmes constituent 34 % des effectifs de la municipalité de Bourj Hammoud. Photo PNUD

Longtemps perçue comme une force de répression ayant recours à la coercition pour l’application de la loi, la police municipale peine, jusque-là au Liban, à gagner la confiance des citoyens et à rétablir une stabilité sociale autrement que par la contrainte et la violence, se mettant souvent à dos les citoyens au lieu de composer avec eux pour tenter de résoudre les conflits en amont. C’est cette attitude qu’entendent inverser désormais plusieurs municipalités qui viennent d’adhérer à un projet de réhabilitation de leur structure et de leur modus operandi.

Initié par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et financé par les gouvernements canadien et hollandais, le Projet de soutien aux municipalités a été mis sur les rails en concertation avec les acteurs municipaux.


À Baalbeck


Dans les locaux remis à neuf de la municipalité de Baalbeck, une quinzaine de policiers racontent leurs premières expériences après avoir bénéficié d’une formation prodiguée par des experts locaux et internationaux, axée sur le principe d’une police de proximité. Si nombre d’entre eux se disent « satisfaits » des outils acquis durant cette formation de cinq semaines, qui s’est déroulée à l’Académie des FSI (Forces de sécurité intérieure), et vantent les vertus d’une « police plus compréhensive et attentive aux besoins des habitants », d’autres restent sceptiques quant à la réceptivité de cette approche par la population locale.

L’idée, qui a déjà fait son chemin au sein des services des FSI, est de former une police proche des citoyens et à l’écoute de leurs besoins, l’objectif ultime étant de « résoudre les conflits en amont et de manière préventive en recourant à des compétences sociales et de communication dans une logique de médiation », explique Martin Borgeaud, conseiller technique du PNUD en matière de sécurité et de justice.

Oussama, la trentaine, se targue d’avoir acquis « une plus grande confiance en lui » qui lui a permis de mieux valoriser son métier de policier. « À Baalbeck, pas un jour ne passe sans que l’on ne soit confronté à un problème de sécurité ou autre », dit-il, soulignant que grâce à cette formation, il arrive désormais à « mieux contenir la colère des citoyens ».

Son témoignage est fidèlement recueilli par les experts du PNUD, qui viennent régulièrement en tournée pour évaluer les premiers résultats du projet et réfléchir aux moyens susceptibles d’en améliorer le rendu et de parvenir à réformer la police de sorte à mieux la professionnaliser.

La municipalité de Baalbeck est l’une des neuf municipalités-pilotes (parmi les 251 municipalités touchées par la crise syrienne) qui bénéficient de ce soutien technique. Grâce aux outils mis à la disposition des autorités locales dans le cadre de ce projet qui vise à moderniser les méthodes de travail des municipalités, la police de Baalbeck a commencé à tester sur place les premiers enseignements tirés de cette formation.


Changement de mentalité
Pour Mohammad, un policier de 24 ans, le problème majeur auquel sont confrontées les unités de police – appelées à gérer une situation sécuritaire alambiquée, un urbanisme chaotique autant que les embouteillages légendaires dans cette ville fourmillante – est la mentalité ambiante. « Si nous sommes désormais acquis à l’idée d’une police de proximité, il reste que le citoyen ignore encore souvent ses droits et ses devoirs et ne réagit pas toujours favorablement à notre nouvelle approche », dit-il. « Ce n’est pas simplement la police qui a besoin d’être réformée. Le citoyen libanais a également besoin d’être sensibilisé au concept de l’État de droit et de l’importance de respecter les règlements en vigueur », enchaîne son collègue Jawad, qui se plaint de l’attitude désobligeante de certains de ses compatriotes dès lors qu’on leur demande de déplacer leur véhicule qui bloque la route, par exemple. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains habitants de la localité ont été récemment conviés à la municipalité, pour les informer de la réforme en cours et recueillir leurs remarques et doléances.

Jihad Manini, un commerçant de la commune, déplore l’absence de prérogatives chez la police locale, appelée à régler notamment des problèmes aussi lourds que les « taxes arbitraires qu’imposent certains gangs pour collecter les déchets ». « Tout ce que nous demandons, c’est que l’État fasse acte de présence », lance ce quadragénaire.


Atténuer l’impact de la crise des réfugiés
La crise des réfugiés syriens qui ont déferlé en grand nombre, à Baalbeck notamment, est venue exacerber la tension déjà latente au sein des communautés d’accueil, compliquant un peu plus la gestion de la vie au quotidien. Une difficulté à laquelle les municipalités ont longtemps dû faire face en se débrouillant seules face à la crise, avec les moyens du bord.

C’est dans ce contexte qu’est née l’idée de réhabiliter la police tout en restructurant l’ensemble du fonctionnement des municipalités, de sorte à mieux servir la population locale et, par extension, la population de réfugiés jusqu’à leur retour escompté, l’accent devant être mis sur les moyens privilégiant la prévention plutôt que la répression. À l’instar de nombreuses villes de la Békaa, Baalbeck, qui compte 100 000 habitants dont 60 pour cent sont chiites, a accueilli 50 000 réfugiés syriens, répartis dans la ville et ses environs.

À en croire le chef de la police et membre du conseil municipal, Mohammad Taha, ce ne sont plus tant les rapports avec les réfugiés qui l’inquiètent le plus, que la guerre des clans et les parades musclées dans la ville qu’effectuent les dealers de drogue venant des localités avoisinantes, principalement de Brital. « Il est important que la relation de la police municipale avec les citoyens soit positive, en ce sens qu’elle doit les traiter avec respect, civilité et sans arrogance ou mépris tout en étant ferme sur la répression des violations », résume M. Taha.


Impliquer les femmes
Centre commercial et administratif du mohafazat, la ville de Baalbeck, dont l’un des principaux revenus provient du tourisme, abrite plusieurs banques et constitue la plaque tournante du commerce de la région. « D’où notre intérêt suprême à faire prévaloir l’organisation et la stabilité, le chaos n’étant dans l’intérêt de personne », commente encore M. Manini.

C’est notamment sur le développement du tourisme dans cette ville que lorgne désormais le président de la municipalité, Hussein Lakkis, un général à la retraite de l’armée libanaise, qui affiche son « indépendance totale » du Hezbollah et d’Amal, sur la liste desquels il s’est fait élire, ainsi que l’ensemble des membres du conseil municipal.

Misant sur l’un des volets-clés du projet de réforme – l’intégration des femmes à la police municipale –, M. Lakkis entend leur confier une tâche limitée au cadre touristique. « La culture locale encore conservatrice a du mal à accepter l’idée d’une policière gérant la circulation. Par contre, les femmes pourront exercer cette fonction aux portes des sites touristiques de la ville », dit-il, en dévoilant son plan d’engager des femmes maîtrisant les langues étrangères. Sa devise : commencer par le bas, pour changer les mentalités.


A Bourj Hammoud

À Bourj Hammoud, le recrutement des femmes au sein de la police municipale, mais aussi au sein de l’administration, a été initié il y a quelque temps déjà. Désormais, la gent féminine représente près de 34 % des effectifs et certaines d’entre elles ont été affectées à la gestion de la circulation.

D’un air assuré, Linda, une blonde de 24 ans, affirme ne plus craindre, après la formation dont elle a bénéficié, les blagues sexistes des automobilistes et leur manque de respect, un type de comportement qui, selon elle, a baissé avec le temps. « C’est une question d’attitude à adopter, mais aussi d’assurance dans le geste », confie-t-elle.

Pour Georges Krikorian, membre du conseil municipal, « la police locale doit désormais se départir des attitudes hautaines et condescendantes, en appliquant un juste milieu qui concilie la fermeté et l’amabilité, loin de toute complaisance ».

Réputées pour leurs bouchons inextricables, les ruelles de ce quartier à forte concentration arménienne, qui accueille beaucoup d’étrangers, renvoient désormais l’image d’une organisation et d’une gestion de l’espace public inhabituelle dans le paysage libanais. « Il ne suffit pas de discourir sur la réforme, mais de se donner les moyens de le faire et de mettre en place les procédures adéquates », ajoute M. Krikorian.

Avec Mardig Boghossian, le président du conseil municipal de Bourj Hammoud, il a saisi au vol l’opportunité du projet du PNUD, pour doter la municipalité des outils nécessaires à son évolution. Depuis, les membres du conseil travaillent d’arrache-pied pour moderniser le fonctionnement de l’administration sur le plan légal, administratif, pratique, humain et matériel. Parmi les moyens mis à la disposition de cette municipalité, l’élaboration, avec l’aide des experts du PNUD, d’un cadre commun et de « procédures opérationnelles standard », dans l’objectif de restructurer la politique municipale dans son ensemble de sorte à mieux servir et à protéger la population locale. Le mot d’ordre est désormais de favoriser la prévention des problèmes et de résoudre les conflits en amont.

C’est ce que confient Romy, 23 ans, et Talar, 25 ans, deux jeunes policières qui remplissent des fonctions administratives et de médiation au sein de la municipalité. À tour de rôle, elles racontent comment le contact avec les habitants s’est amélioré depuis que la perspective a changé et que les efforts de conciliation – dans les cas de disputes de voisinage notamment – se sont substitués aux méthodes traditionnelles, plus radicales. « Désormais, nous écoutons attentivement les doléances des citoyens et essayons de régler les problèmes autrement que par la répression », confie Romy, qui reconnaît que la présence de femmes contribue dès le départ à rendre les échanges plus pacifiés.

Pour les experts du PNUD, la municipalité de Bourj Hammoud « reste, sans aucun doute, une success story sur laquelle il faut tabler ».



Longtemps perçue comme une force de répression ayant recours à la coercition pour l’application de la loi, la police municipale peine, jusque-là au Liban, à gagner la confiance des citoyens et à rétablir une stabilité sociale autrement que par la contrainte et la violence, se mettant souvent à dos les citoyens au lieu de composer avec eux pour tenter de résoudre les conflits en amont....

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Il reflète une belle image de notre pays qui prouve, que grâce aux efforts des responsables locaux, le champ du possible est vaste, et permet de se projeter dans un avenir prometteur. Il suffit de pratiquer une politique volontariste et progressiste (dans le sens noble du terme) . Si la police municipale est devenue un acteur important et presque essentiel dans toutes les démocraties, pour sa complémentarité avec la police nationale, au Liban où les moyens publics de l'état et de son efficacité font hélas défaut parfois, pour des raisons évidentes que l'on connaît, elle devient une impérative pour son lien de proximité essentiel pour les populations qu'elle peut créer. Doit-on rappeler les nombreuses tâches déterminantes et intrinsèque pour les habitants d'une ville que font quotidiennement ces policiers municipaux ? Çà va de la sécurisation des rues, contrôle de la bonne application des arrêtés municipaux, la circulation routière de la commune, le stationnement ou l'application de l'ordre lors des rassemblements publics ou sportifs, protection des entrées et la sorties des écoles ,,, et encore bien d'autres missions d'intérêt public. Enfin, si dans toutes les professions l'égalité hommes-femmes est importante , dans la police est encore plus éminente et indispensable. Bravo à toutes et à tous ces policières et policiers.

Sarkis Serge Tateossian

20 h 04, le 26 novembre 2018

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Commentaires (1)

  • Il reflète une belle image de notre pays qui prouve, que grâce aux efforts des responsables locaux, le champ du possible est vaste, et permet de se projeter dans un avenir prometteur. Il suffit de pratiquer une politique volontariste et progressiste (dans le sens noble du terme) . Si la police municipale est devenue un acteur important et presque essentiel dans toutes les démocraties, pour sa complémentarité avec la police nationale, au Liban où les moyens publics de l'état et de son efficacité font hélas défaut parfois, pour des raisons évidentes que l'on connaît, elle devient une impérative pour son lien de proximité essentiel pour les populations qu'elle peut créer. Doit-on rappeler les nombreuses tâches déterminantes et intrinsèque pour les habitants d'une ville que font quotidiennement ces policiers municipaux ? Çà va de la sécurisation des rues, contrôle de la bonne application des arrêtés municipaux, la circulation routière de la commune, le stationnement ou l'application de l'ordre lors des rassemblements publics ou sportifs, protection des entrées et la sorties des écoles ,,, et encore bien d'autres missions d'intérêt public. Enfin, si dans toutes les professions l'égalité hommes-femmes est importante , dans la police est encore plus éminente et indispensable. Bravo à toutes et à tous ces policières et policiers.

    Sarkis Serge Tateossian

    20 h 04, le 26 novembre 2018

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