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Moyen Orient et Monde - Éclairage

L’Irak « en mode survie » sur la gestion des ressources hydrauliques

La découverte de milliers de poissons morts sur les rives de l’Euphrate, début novembre, a sonné l’alarme : c’est l’ensemble de l’écosystème de la Mésopotamie qui est menacé.

Des Irakiens préparent leurs filets pour pêcher dans l’Euphrate, dans la région de Samawa, en Irak. Essam al-Sudani/Reuters

Des milliers de carpes, inertes et gonflées, qui flottent sur les bords de l’Euphrate : découvert début novembre, ce terrifiant spectacle en dit long sur l’état des fleuves dans la province de Babylone (centre de l’Irak), où près de 90 % des poissons d’élevage seraient morts d’une mystérieuse maladie. Le ministère de l’Agriculture irakien annonçait, dans la foulée, l’ouverture d’une enquête pour déterminer la cause du désastre.

L’affaire a réveillé les craintes d’une possible contamination humaine, malgré les déclarations du chef du district de Moussayab, qui certifiait que « la mort des poissons de l’Euphrate n’est pas une épidémie ». Ces derniers mois, plus de 100 000 habitants de Bassora ont été hospitalisés après avoir consommé l’eau du Chatt el-Arab (Sud). L’eau du canal, à la confluence du Tigre et de l’Euphrate, n’est désormais plus potable, rendue impropre par le double effet de la pollution des sols et le taux de salinisation des eaux presque aussi élevé que dans le Golfe voisin. Fin septembre, une enquête irakienne révélait que les treize usines de dessalement de l’eau qui ont été livrées à Bassora depuis 2006 n’ont jamais démarré et se retrouvent aujourd’hui hors d’usage.

C’est dans ce contexte que le Conseil des ministres irakien a annoncé, au début du mois, la rédaction d’une loi spéciale destinée à protéger le Tigre et l’Euphrate. « Tant que le gouvernement irakien ne mènera pas d’enquête approfondie sur la qualité des eaux, nous manquerons de données », signale Andreas H. Lück, consultant sur les questions hydriques en Irak pour l’Unesco. « Les institutions irakiennes ont pris du retard sur la question de l’eau et n’arrivent pas à se relancer après la guerre », confie-t-il à L’Orient-Le Jour.


(Lire aussi : En Irak, un mystérieux mal décime les carpes de l'Euphrate)


Les installations hydriques ont été les victimes collatérales des combats qui ont suivi l’expansion de l’État islamique à partir de 2014, à l’image du barrage d’al-Ramadi, endommagé intentionnellement par les jihadistes au moment de sa reconquête par la coalition en janvier 2016. Le coût des réparations de ces infrastructures vitales pour les Irakiens est estimé à 600 millions de dollars, d’après les Nations unies. Un pansement sur une jambe de bois d’après les experts, qui se souviennent de la situation environnementale du pays déjà préoccupante bien avant l’intervention américaine et la déstabilisation du pays. Pour Tobias von Lossow, spécialiste des enjeux sécuritaires de l’eau en Irak, la situation actuelle « n’est pas une surprise ». Contacté par L’OLJ, le chercheur au Clingendael Institute de La Haye y voit « la continuité de phénomènes apparus il y a une trentaine d’années », sous le régime de Saddam Hussein. Le drainage des marais par le dictateur dans les années 1990 pour chasser ses opposants a eu des conséquences désastreuses sur l’ensemble de l’écosystème irakien. « À l’époque déjà, l’Irak avait parmi les pires infrastructures pour l’eau au monde », explique-t-il.

En pleine phase de reconstruction, le gouvernement irakien compte sur l’agriculture pour retrouver le chemin de la prospérité économique. Mais en l’absence de systèmes pour traiter les eaux usées, « les polluants liés aux activités agricoles, industrielles et domestiques sont déversés directement dans les sols, les rivières et les nappes phréatiques », indique Andreas H. Lück. Constat que partage Tobias von Lossow, qui estime « impossible de remettre en état l’agriculture comme elle était auparavant. Il faut de nouvelles solutions » pour les sols, les machines, l’irrigation.


(Lire aussi : À Bassora, le Chatt el-Arab est devenu « un poison, comme Daech »...)


Contestation

Face à l’inaction de l’État central, des milliers d’Irakiens sont descendus dans les rues de Bassora depuis juillet pour protester contre la déliquescence des services publics, aggravée par une violente vague de sécheresse. L’impact du changement climatique est durement ressenti dans le pays, et aggravé par la construction abusive de barrages par les pays en amont, Syrie, Iran et Turquie. Depuis les années 1980, Ankara a construit une vingtaine de barrages hydroélectriques au sud de l’Anatolie, limitant drastiquement le débit des fleuves qui traversent les pays voisins. « C’est l’un des bassins où la distribution est la plus inégale au monde… Ankara peut faire comme bon lui semble grâce à sa situation géographique », souffle un proche du dossier. Malgré des efforts diplomatiques récents entre l’Irak et la Turquie pour évoquer les dossiers au cas par cas, rien n’augure une évolution positive de la situation des fleuves d’Irak tant qu’un accord régional sur le sujet n’est pas signé. Et Tobias von Lossow de rappeler qu’avec la fin de la guerre civile, « les besoins en eau de la Syrie vont augmenter, ce qui va encore réduire le flux de l’Euphrate ».

Face à la crise humanitaire qui se profile lentement mais sûrement en Irak, l’incapacité des institutions à Bagdad et dans les gouvernorats est unanimement pointée du doigt par les experts. « Les personnes en charge de l’agriculture et celles en charge de l’eau ne se parlent pas, les rôles de chaque département ne sont pas clairement définis… Les financements sont là, mais il faut que le gouvernement prenne des décisions secteur par secteur », martèle l’un d’eux à L’OLJ. « Avec davantage de systèmes d’alerte, nous pourrions repérer les problèmes en amont du fleuve », propose Andreas Lück depuis Amman, « mais l’absence de prise de conscience dans le pays montre bien que l’Irak n’a pas le luxe de se préoccuper de ces questions : le pays est en mode survie ».


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