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Lifestyle - Un peu plus

Le franbanais

Dans le cadre du Salon du livre francophone, L’Orient-Le Jour organisait une table ronde, rectangulaire certes, autour du franbanais et des libanismes dont notre peuple est particulièrement friand. Ces petites confusions de sens, ces emprunts lexicaux à la langue de Baudelaire, l’apparition de nouveaux mots mixant français et libanais, ces nouvelles formulations syntaxiques et la traduction littérale d’expressions idiomatiques font partie de notre langage. Et de notre identité.

Toutes les langues empruntent et récupèrent des mots appartenant aux autres. Chaque peuple en joue, les modifie. Les Américains donnent des rendez-vous, les Français aiment la dolce vita, et les Libanais… Les Libanais mélangent avec un talent indéniable le français et le libanais. Si cela est pour nous tout à fait naturel, c’est assez surprenant pour nos amis et autres collègues venant de l’Hexagone. Le bonjour revu et corrigé en bonjourak et autre bonjourein sonne assez étrangement. Deux fois bonjour, ma chérie, parce que tu le vaux bien.

Dans ce lexique personnel et propre aux Libanais, on trouve de tout donc. Des traductions littérales de l’arabe, des expressions travesties et des fautes de français à faire hérisser tous les cheveux de notre crâne. Les je n’ai pas ta patience, il est descendu aux élections, un jour oui un jour non, je peux te demander une question, 3 heures et demi cinq, à quelle heure tu pars au cinéma, tu as quitté ? où tu veilles ? sont des phrases insupportables, et pas seulement pour les puristes de la langue française et autres amoureux de Rimbaud.

Mais franchement, comment ne pas sourire quand on sait que la demoiselle de votre fils en classe de CM2 est adorable avec lui, alors que la masœur, elle est odieuse ? Comment ne pas sourire quand votre copine vous a dit qu’elle est coincée cette semaine parce qu’elle a un voyageur. Après tout, chacun fait c’qui lui plaît. Et si ça nous plaît de boire un gin basil avec un chalumeau, d’acheter une grosse de cigarettes avec 10 boîtes à l’intérieur, eh bien, faisons-le. Parce que nous sommes comme ça. Parce que nous utilisons une pile pour éclairer notre chemin lorsque le moteur est en panne, alors qu’on met des batteries dans la télécommande. Et oui, nous disons à vous quand on nous dit merci. On répond même bienvenue. On appelle tante les femmes d’une autre génération, on descend à Beyrouth, on estive à la montagne, on mâche des mastiques, on porte des blouses fleuries, on fait ses mains chez la manicuriste. Chacun son truc. Chacun sa façon de maîtriser (ou pas) la langue française. Ce n’est pas bien grave au final. Parce qu’on a aussi le don d’alléger des mots lourds de sens. De les transformer en fe3el comme on sait si bien le faire avec nos propres formules et proverbes. Nous savons mieux que n’importe quelle langue exprimer n’importe quelle sensation et ses nuances. Comme nous avons nos 3ab2a, comme 7lina ou marmar temmna ; comme tla2man 3a léyé, ou l’odeur de la zankha sur un verre mal lavé nous insupporte, nous savons aussi déprimer ponctuellement devant un film angoissant. Daprassné ne veut pas dire qu’on fait une dépression. Et si hastaret quand j’ai perdu mes clés, ça ne fait pas de moi une hystérique. Tout ne s’arrête pas à un suffixe comme le « ak » de pannak, le « é » de cousinté. Il suffit d’un exemple pour comprendre la capacité que les Libanais ont de tout décliner : le point mort. Bawmré l’siyyara. Sérieusement, qui peut transformer le neutral d’une voiture en action à part nous ? Qui peut se targuer que son ordinateur bawcal, que sa fille tmakyajit comme un camion volé ?

Il faut donc nous pardonner si on confond les mots, si on appelle une boîte à gants l’tableau, si on a cogné nos tamponet, si on dit les abat-jours au lieu des volets, si on porte des espadrilles et qu’on végète sur la véranda après avoir rangé notre chiffonnière. Et ma3lé si les enfants montent de classe, s’ils sont nés en quatre-vingt et un et s’ils se parentent. Tant que ça reste usité dans le langage. Tant que ce n’est pas à l’écrit. Et puis, on le sait, ce n’est pas en employant ce genre de mots, de locutions, en utilisant l’argot ou en disant maître à un serveur que ça va empêcher nos enfants d’exceller au bac et d’intégrer de grandes écoles en France. 3icha.


Dans le cadre du Salon du livre francophone, L’Orient-Le Jour organisait une table ronde, rectangulaire certes, autour du franbanais et des libanismes dont notre peuple est particulièrement friand. Ces petites confusions de sens, ces emprunts lexicaux à la langue de Baudelaire, l’apparition de nouveaux mots mixant français et libanais, ces nouvelles formulations syntaxiques et la...

commentaires (11)

Aussi "je vais faire un peu le trottoir" et on se voit après:)

PPZZ58

22 h 29, le 17 novembre 2018

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • Aussi "je vais faire un peu le trottoir" et on se voit après:)

    PPZZ58

    22 h 29, le 17 novembre 2018

  • Cela n'est pas du "franbanais", c'est du français militaire colonial des années 1913-14 que le ministère français de la Guerre apprenait aux troupes dites "sénégalaises" afin de se faire comprendre et de faire comprendre sur le front européen. Spécimen célèbre : Y'a bon !

    Un Libanais

    17 h 35, le 17 novembre 2018

  • alors c'est mieux de dire LE PETIT DEJ ON VA AU RESTO TU VOIS A LA TELE LES ACTU? En fait aujourdh'ui on ne parle meme plus on s'envoie des messages meme quand on est assi a la meme table pour diner

    LA VERITE

    17 h 26, le 17 novembre 2018

  • Il faudrait un peu moins de complaisance et beaucoup plus de sérieux dans l’apprentissage du français. Les fautes de grammaire et de syntaxe devraient être corrigées et non pas érigées en “régionalisme”, encore moins devenir une source de fierté. Le tout petit Liban francophone n’est ni le Québec ni la Suisse romande ni la Wallonie.

    Abichaker Toufic

    17 h 15, le 17 novembre 2018

  • Il faudrait un peu moins de complaisance et beaucoup plus de sérieux dans l’apprentissage du français. Les fautes de grammaire et de syntaxe devraient être corrigées et non pas érigées en “régionalisme”, encore moins devenir une source de fierté. Le tout petit Liban francophone n’est ni le Québec ni la Suisse romande ni la Wallonie.

    Abichaker Toufic

    16 h 47, le 17 novembre 2018

  • Le mélange des langues n'est pas apprécié en dehors du Liban. Je ne pense pas qu'il faille vanter cet état de fait navrant. In fini, on cherche la facilité, mais on n'ose pas le dire. Cette façon de s'exprimer ne nous rend pas service en cas de déplacement à l'étranger.

    Shou fi

    16 h 25, le 17 novembre 2018

  • Wou sannferlou 3al sanferiène...

    Tina Chamoun

    10 h 17, le 17 novembre 2018

  • Une étude sur ce sujet avait été présentée pour la prmière fois en guise de mémoire de maîtrise de lettres françaises par le comédien Samy Khayath dans les années 60 . Il serait intéressant de la relire , voire de la publier afin d'ajouter des informations précieuses à ce sujet . Je signale en passant que la pureté du français classique n'existe plus du tout dans le langage parlé des jeunes en France , et parler à la façon académique à Paris ou à Lyon serait considéré par les jeunes comme archaique . Ne critiquons donc pas notre argot libanais plein de saveurs délicieuses qui plaisent même aux puristes , car nos mots sont tendres et succulents aux oreilles des métropolitains , j'en ai l'expérience . Aucune de nos expressions ne saurait être considérée comme "insupportable" , comme le mentionne la chère Médéa . Nous avons une autre musique , et si remplie d'émotions , c'est tout !

    Chucri Abboud

    10 h 13, le 17 novembre 2018

  • Ktir mahdoumeh ?

    Marie-Jo Abou Jaoude

    09 h 59, le 17 novembre 2018

  • Le franbanais fait partie du charme que présente le Liban aux yeux (et aux oreilles) des français. Il fait sourire et ajoute une certaine fraîcheur à la conversation: gardez-le!

    Yves Prevost

    07 h 15, le 17 novembre 2018

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