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Culture - Focus

Comment le metal libanais s’est fait plaisir dans les années 1990

Plusieurs formations locales ont fait vivre la scène metal après la guerre civile, souvent avec les moyens du bord. Retour sur ces années fastes, à l’occasion d’un concert revival ce soir à l'Aresco Palace, à Hamra.

Les Black Angels dans les années 1990, avec Johnny, le vétéran du groupe Revelations. Photo V.B.

L’association Skull Session s’apprête à faire trembler les murs de l'Aresco Palace, à Hamra (Beyrouth), à l’occasion d’un festival dédié aux amoureux du metal, dans toutes ses déclinaisons. Organisé à fonds perdus – l’entrée est gratuite pour tous –, cet événement est particulier à plusieurs égards, selon Bassem Deaibess, musicien, compositeur et membre de l’association qui parraine l’événement.

« Nous voulons d’abord faire plaisir aux aficionados du pays, qui n’ont pas souvent l’occasion d’assister à des concerts sans devoir mettre la main à la poche. Il y a ensuite l’envie de se faire plaisir sur scène, raison principale pour laquelle nous nous investissons. Nous espérons enfin que cet événement va attirer de nouveaux venus et leur permettre de se faire leur propre idée sur ce courant musical souvent marginalisé au Liban, la plupart du temps pour de mauvaises raisons », explique Bassem.

Son groupe, Blaakyum, qui se partage l’affiche ce soir avec Adapt, Death Tone, Nocturna et Phenomy, a été fondé dans le Liban des années 1990, comme beaucoup de formations locales qui ont choisi à la même époque d’embrasser ce courant musical dérivé du rock.


(Pour mémoire : Carton plein pour les vétérans de Scorpions à Beyrouth)


Exutoire
Le pays se remet à peine de la guerre civile qui a éclaté en 1975 pour déboucher sur les accords de Taëf, le 22 octobre 1989, puis la signature, le 22 mai 1991, du traité de « fraternité et de coopération » qui officialise le début de près de quinze ans de présence syrienne au Liban. Pour beaucoup de jeunes Libanais, le metal devient un exutoire face à l’incertitude de l’avenir et une passerelle qui leur permet de découvrir les tendances en vogue en Occident, où les variantes les plus traditionnelles de metal (heavy, thrash death, etc.) se font désormais concurrencer par le grunge de Kurt Cobain et le metal alternatif des Korn et autres Rage Against the Machine...

Une effervescence musicale qui, combinée au retour de la paix civile au Liban, a encouragé beaucoup de passionnés à former leurs propres groupes pour interpréter leurs titres préférés devant des parterres de gamins aux cheveux longs et vêtus de couleurs sombres, venus se défouler le temps d’un concert organisé avec les moyens du bord. Sollicités par L’Orient-Le Jour, quatre membres de formations qui se sont lancées à cette époque – Bassem Deaibess (Blaakyum), Garo Gdanian (Weeping Willow puis Khavar, formé récemment), Tony Istambouly (Chain of Disease et Valhalla) et Vicken Bajakian (passé par Blaakyum et Valhalla) –, et qui ont aujourd’hui entre 35 et 40 ans en moyenne, ont volontiers partagé leurs souvenirs.

Tous soulignent d’emblée qu’ils n’ont pas été les pionniers de cette scène, qui avait déjà été investie par leurs prédécesseurs de Generation X, Revelations, Spliff ou encore Dogma. « Ces noms étaient déjà connus lorsque je n’étais encore qu’un gamin », se souvient Vicken Bajakian, habitué à se pencher sur une basse électrique. Bassem Deaibess se rappelle pour sa part que le terme de « rock el-maleje’ » (le rock des abris) était utilisé pour parler du metal libanais dans les années 1980. « Le Liban a d’ailleurs toujours été à la page en ce qui concerne la scène underground, que ce soit le mouvement punk dans les années 1970 ou le metal dans les années 1980, pour ne citer que ces courants-là », ajoute-t-il.


(Pour mémoire : Le metal symphonique et les ailes de Tarja Turunen)


« Googlemap de l’époque »
Tony Istambouly, qui assurait le chant dans les groupes où il a officié, signale pour sa part qu’internet n’en était qu’à ses balbutiements dans les années 1990 et que les téléphones mobiles commençaient à peine à se démocratiser. « La communication autour des concerts se faisait à coup d’affiches et de tracts dessinés et montés presque exclusivement à la main avant d’être photocopiés.

Le petit plan qu’on dessinait pour indiquer le lieu, c’était le Googlemap de l’époque », s’amuse-t-il. « Les groupes se produisaient un peu partout (NDLR : majoritairement dans les régions proches de Beyrouth), que ce soit dans des salles dédiées comme le Peak Hall à Jal el-Dib, le Beirut Hall à Sin el-Fil, ou prêtées par des établissements scolaires, des restaurants, des boîtes de nuit, etc. », ajoute Vicken, qui a gardé beaucoup de souvenirs tangibles – tracts, photos, revues de presse – de cette période. « Parfois, les propriétaires de salle nous disaient : tu peux jouer si tu arrives à vendre un certain nombre de billets. Du coup, on essayait de convaincre nos amis et nos familles de venir nous soutenir, y compris ceux qui étaient le plus en décalage par rapport à ce genre musical », raconte de son côté le guitariste Garo Gdanian.

« Mais au moins, comme ça, on était sûr de remplir une partie de la salle », plaisante Vicken. En termes de genre, la plupart de ces formations reprenaient les titres de leurs groupes préférés, tous genres confondus, avant de commencer à se spécialiser.

« De manière plus générale, entretenir une passion musicale n’était pas bon marché dans les années 1990, que ce soit le prix des CD pour les fans, des instruments, des équipements, et enfin des tarifs des studios pour ceux qui avaient eu l’idée de devenir musiciens », poursuit-il, avant d’avouer avoir dû vendre sa moto pour acheter une table de mixage pour le groupe. Tony Istambouly évoque de son côté une facture de plusieurs centaines de dollars pour enregistrer un titre vers la fin des années 1990. « Les professionnels bien équipés n’étaient pas nombreux dans le pays et ils le savaient », justifie-t-il. « Bref, il fallait en vouloir pour entretenir cette passion, d’autant plus que les cachets étaient loin d’être faramineux, pour les fois où on était payés, à nos débuts. Mais le plaisir que l’on ressentait une fois sur scène en valait largement la peine », note encore Garo Gdanian.

Tous ces artistes évoquent avec un ton grave les conséquences de « l’incompréhension », voire l’hostilité d’une partie de la société libanaise et des autorités vis-à-vis du metal et de son folklore. « Il y a eu au moins deux périodes difficiles, vers 1997 puis en 2002, pendant lesquelles il ne faisait pas bon de se promener avec un t-shirt noir et les cheveux longs », se remémore encore Bassem Deaibess  « Cela a duré un moment puis cela s’est s’arrêté net, comme si on nous avait oubliés », conclut-il.

Il reste que le metal libanais a bien survécu à l’épreuve du temps, et devrait encore montrer de belles couleurs ce soir. Aujourd’hui, seul Blaakyum est encore actif. D’autres noms, comme Rising Force, Armageddon ou encore Cimmerian Path, ont figuré parmi les formations qui se sont distinguées au même moment.


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commentaires (2)

Le Liban depuis les années 60 en à connu des groupes de musique de Tout style. Certains avait tout le talent des grands groupes connus mondialement, mais moins de moyens et de publics probablement... Beaucoup de souvenirs.... Puis cette foutue guerre civile qui à arrêté net leur elan, les eparpillant un peu partout dans le monde. C'est notre sort ... Hélas Allez, gardons espoir dans notre avenir

Sarkis Serge Tateossian

00 h 26, le 18 novembre 2018

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Commentaires (2)

  • Le Liban depuis les années 60 en à connu des groupes de musique de Tout style. Certains avait tout le talent des grands groupes connus mondialement, mais moins de moyens et de publics probablement... Beaucoup de souvenirs.... Puis cette foutue guerre civile qui à arrêté net leur elan, les eparpillant un peu partout dans le monde. C'est notre sort ... Hélas Allez, gardons espoir dans notre avenir

    Sarkis Serge Tateossian

    00 h 26, le 18 novembre 2018

  • Super papier qui me fait découvrir l'existence de tout un univers musical qui était vraiment underground pour moi. PHB sait à l'évidence de quoi il parle et son papier fourmille d'anecdotes et d'infos pertinentes. Du journalisme, du vrai!

    Marionet

    10 h 31, le 17 novembre 2018

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