C’est un ouvrage qui tombe à point nommé. Alors que Riyad est noyé dans le tourbillon provoqué par l’assassinat de l’éminent journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, au consulat de son pays à Istanbul le 2 octobre dernier, le dernier livre de Christine Ockrent intitulé Le prince mystère de l’Arabie. Mohammad ben Salmane, les mirages d’un pouvoir absolu* est paru le 11 octobre. Dans son ouvrage, la journaliste de renom, qui a interviewé le roi Fayçal dans les années 1970, brosse le portrait du jeune prince héritier propulsé sur le devant de la scène politique saoudienne en 2015 par son père, le roi Salmane, tout en revenant sur l’histoire tumultueuse du royaume. De passage à Beyrouth à l’occasion du Salon du livre 2018, elle répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Mohammad ben Salmane a été décrit dans un premier temps comme un homme moderne et réformateur. Aujourd’hui, il est perçu comme un autocrate sanguinaire. La réalité est-elle entre les deux ?
Le personnage garde son mystère, mais personne n’est jamais blanc ou noir. On ne peut en aucune manière s’en tenir à des critères aussi simplistes. Il est évident que les critères d’appréciation qui sont les nôtres, Occidentaux, particulièrement depuis l’assassinat de Khashoggi à Istanbul, tiennent à un système de valeurs qui n’a absolument pas cours dans un système de ce genre, un pouvoir absolu où il n’y a aucun espace politique, où il n’y a aucun espace de liberté quelconque. MBS est très impulsif et pique des colères noires. Mais il a aussi cette énergie et cette volonté de faire, qui tranche avec le style de cette monarchie qui jusque-là offrait, au monde extérieur en tout cas, le visage d’un homme très âgé et fonctionnant à un rythme extrêmement lent.
Tout au long du livre, vous distillez des détails sur la famille royale saoudienne. Quels sont ceux qui permettent de mieux cerner la personnalité du prince héritier ?
C’est un homme qui n’est pas du tout occidentalisé. Il adore les jeux vidéo depuis qu’il est tout petit et a fait des études de droit à Riyad, c’est-à-dire des études coraniques. Il est sûrement, par rapport aux autres fils du roi Salmane, celui qui est le plus intimement pénétré du tissu saoudien, qu’il soit tribal ou religieux. Il vit la nuit, à un rythme de travail à la fois frénétique et désordonné. MBS s’est entouré – au-delà des boîtes de conseil avec qui des contrats faramineux ont été conclus pour la modernisation de l’économie – de gens qui étaient ses copains d’enfance et, en particulier, de personnes qui ont probablement été étroitement mêlées à l’assassinat de Khashoggi. On peut imaginer que dans ce type de pouvoir, les notions de confiance et de dépendance du conseiller par rapport au prince sont très spécifiques.
Quelle est l’anecdote qui vous a le plus surprise lors de vos recherches ?
Le décor de McDonald’s est reconstitué dans les palais du prince héritier à Riyad et à Djeddah, c’est assez drôle.
Face au tollé international provoqué par l’affaire Khashoggi, MBS peut-il s’en sortir ?
Les critères d’un pouvoir absolu ne sont pas les nôtres, donc la sanction que nous appellerions politique dans un tel système est sûrement à la fois très décalée dans le temps et très différente dans ses manifestations. Face au fait que le dernier fils Soudairy (tribu dont est issue la mère du roi Salmane), le prince Ahmad ben Abdelaziz, n’avait manifestement aucune envie de rentrer de Londres (il est soudainement rentré à Riyad fin octobre) et que Khaled, le frère cadet du prince al-Walid ben Talal, ait été « libéré » – la plupart de ces princes étaient assignés à résidence – on sent que l’emprise de MBS s’assouplit un tout petit peu. Il semble aussi que le roi Salmane entreprend une tournée en province pour la première fois depuis qu’il est roi, ça devrait sûrement resserrer l’équilibre. Mais je n’imagine pas qu’il y ait tout à coup un limogeage à l’occidentale et que le roi se dise « ah, je me suis trompé de fils ! ».
* « Le prince mystère de l’Arabie. Mohammad ben Salmane, les mirages d’un pouvoir absolu », Christine Ockrent, Robert Laffont.
Lire aussi
Les intérêts en jeu sont considérables mais MBS est sur un fauteuil éjectable...L’Arabie n’est pas seule au monde . Des « petites » pressions s’exercent ici ou là .
15 h 54, le 08 novembre 2018