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Liban - Table ronde

Système électoral libanais : entre traditions et ambiguïtés

Des juristes révèlent les effets pervers de la nouvelle loi électorale lors d’un débat au Salon du livre.


De gauche à droite : François Blanc, Diane Kheir, Antoine Courban, Nadi Abi Rached et Samer Ghamroun. Photo Michel Sayegh

La nouvelle loi électorale, dont les « bénéfices » et « nouveautés » avaient été vantés à l’extrême par ses auteurs et par la classe politique libanaise en général, a-t-elle abouti aux résultats annoncés, que ce soit en termes de représentativité ou de renouvellement des élites ?

Adoptée après deux prorogations du mandat parlementaire de la Chambre précédente, la loi concoctée sur le mode proportionnel, auquel a été greffé le principe du seuil d’éligibilité, n’a vraisemblablement pas réussi à raviver les pratiques démocratiques au Liban, mises en veilleuse depuis des années déjà. Quand bien même elles représenteraient un critère nécessaire mais non suffisant pour mesurer la vitalité de la vie démocratique, les élections de mai 2018 ont failli à leurs objectifs en termes d’expression de la volonté populaire et comme moyen de sélection du personnel politique. La composition du nouveau Parlement étant restée quasiment inchangée et la dynamique du changement grippée par un système qui ne fonctionne que sur le mode consensuel.

Ces problématiques ont fait l’objet d’une analyse minutieuse livrée par des experts et enseignants universitaires, qui à l’occasion d’un débat au Salon du livre ont partagé avec le public le condensé de leurs écrits publiés dans le cadre d’un dossier spécial qui vient d’être publié dans le magazine semestriel Travaux et jours de l’USJ, dirigé par Antoine Courban. Ce dernier a modéré un débat, respectivement animé par les juristes et maîtres de conférences à la faculté de droit de l’USJ François Blanc, Diane Kheir, Nadi Abi Rached et Samer Ghamroun, sur le thème du système électoral.

À froid, soit plusieurs mois après le déroulement des législatives, les auteurs ont planché sur les rouages des modes de scrutin, l’historique de la représentation communautaire, mais aussi sur les effets pervers du nouveau code électoral adopté en juin 2017.

Égrenant les vices qui ont entaché cette loi ainsi que sa mise en œuvre, Diane Kheir a relevé une première faille : le nouveau code électoral n’a pas été assez compris par le plus grand nombre, ce qui a fini par ternir le caractère démocratique du processus électoral. « L’illisibilité de la loi est un premier signe d’une démocratie en souffrance », constate l’intervenante.

L’autre déficience est à rechercher dans l’écart qui existe entre la promotion faite du mode proportionnel par le gouvernement et les responsables politiques – pour donner l’illusion d’une plus large représentation – et ses effets dans la réalité. La réforme, qui devait permettre de représenter l’électorat dans toutes ses variations idéologiques, politiques et partisanes, a selon elle échoué. Et pour cause : l’introduction d’un seuil d’éligibilité au mode de scrutin a fini par annuler le principe de la proportionnalité, dans la mesure où les listes n’ayant pas obtenu le seuil minimal ont été éliminées d’emblée.

Après le « filtre » du seuil d’éligibilité, il y a eu « l’illusion du vote préférentiel », également dévoyé par le fait qu’au candidat favori coché par l’électeur pouvait être substitué un autre du fait de la répartition communautaire, constate encore Mme Kheir. « Cette loi est la manifestation de la production par le pouvoir en place d’un système qui lui est favorable », déplore-t-elle.

« Si l’on considère que la loi n’a pas été assez représentative ou pas du tout, elle aura au moins donné lieu à une certaine compétition et à un meilleur débat qui a permis à d’autres composantes de la société de s’exprimer, même si cela est resté vain pour la plupart », conclut la juriste, en allusion à la participation active aux échanges des candidats issus de la société civile.

Partant du constat selon lequel une législation trouve ses limites dans le contexte de sa mise en œuvre, Samer Ghamroun a illustré les limites de la loi électorale notamment par l’échec de la Commission de supervision des élections, dont le rôle et la tâche avaient pourtant été définis dans le texte qui a prévu des compétences « qui auraient pu laisser espérer une vraie supervision du scrutin ».

« Dans la pratique, nous nous sommes retrouvés face à une commission complètement paralysée qui s’est elle-même positionnée dans une impuissance totale par rapport à tous les dérapages sur le terrain », a constaté M. Ghamroun. Il a rappelé au passage « la démission fracassante » de la représentante de la société civile au sein de cette commission, Sylvana Lakkis, qui, a-t-il dit, a soulevé « la vacuité juridique de la loi face au contexte réel de sa mise en œuvre ».

La thèse que développe l’intervenant repose sur la place qu’occupe le vote dans le système, par-delà la nature de la loi, ses dispositions et leur mise en œuvre.

« Les élections constituent-elles la principale source de légitimité dans le système politique libanais ? » s’interroge-t-il, avant de répondre par la négative, en soulignant que les lieux réels du pouvoir se trouvent ailleurs. « En observant la vie politique depuis des dizaines d’années, force est de constater que beaucoup plus que le vote ou l’élection, c’est la règle du consensus qui fournit la légitimité du pouvoir au Liban. » Un consensus qui, précise le juriste, « nous pousse à relativiser toutes les règles du régime parlementaire ».

Autrement dit, explique M. Ghamroun, une décision ou loi n’est légitime que dans la mesure où elle est le fruit d’« un consensus entre les principaux chefs communautaires (…), lesquels doivent leur position à des logiques dynastiques – nous pensons à tous “les fils de” qui nous gouvernent – ou à des logiques clientélistes très puissantes ». Pour étayer ses propos, le juriste cite l’exemple du dernier budget (2018) adopté quelques semaines avant les législatives et proposant aux Libanais une amnistie fiscale massive « qui ressemble à un cas de clientélisme flagrant à la veille des élections ».

M. Ghamroun a conclu en affirmant craindre que le débat permanent sur la technicité de la loi et du mode de scrutin ne serve au final qu’à masquer la réalité et à empêcher d’aborder d’autres débats dans la société libanaise, notamment celui des inégalités sociales, les travaux récents ayant montré que le Liban est l’un des pays « les plus inégalitaires », une situation qui perdure « dans l’indifférence générale ».


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commentaires (2)

LA MEILLEURE ETAIT LA LOI FERZLI DITE ORTHODOXE POUR LA JUSTE REPRESENTATION DES COMMUNAUTES AVEC LE 50/50 DE LA CONSTITUTION !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 22, le 08 novembre 2018

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Commentaires (2)

  • LA MEILLEURE ETAIT LA LOI FERZLI DITE ORTHODOXE POUR LA JUSTE REPRESENTATION DES COMMUNAUTES AVEC LE 50/50 DE LA CONSTITUTION !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 22, le 08 novembre 2018

  • et donc , pourrait on un beau jour sortir de son chapeau / ou de sa manche une loi plus adequate , ideale , devant quand meme se "plier" a notre systeme confessionnel ? j'en doute tres fort

    Gaby SIOUFI

    09 h 39, le 08 novembre 2018

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