Dans le centre d’Erevan, à deux pas de la place de la République, une dizaine de personnes sont attablées au restaurant Zaatar Pizza, dévorant des manakiche. « Au début, nous avions peu de clients, car les gens ne connaissaient pas la cuisine syrienne », raconte Hayguam Baghladarian, qui travaille depuis six ans dans cet établissement, depuis son ouverture par son oncle venu d’Alep. « Désormais, plus de 200 personnes viennent y manger chaque jour », ajoute la jeune Syrienne arménienne de 23 ans, originaire de Midane, le quartier arménien d’Alep. Comme elle, plus de 22 000 Syriens ont immigré en Arménie à partir de 2011, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR). Et près de 15 000 d’entre eux y sont restés, selon le service arménien des migrations, le reste se répartissant entre l’Europe, l’Amérique du Nord ou les pays du Golfe.
La majorité des Syriens restés en Arménie sont d’origine arménienne, de religion chrétienne et ont obtenu rapidement la nationalité arménienne, grâce à des démarches administratives simplifiées par le gouvernement depuis 2012. Un tiers d’entre eux sont résidents, les jeunes hommes en particulier demandant uniquement la carte de résident pour éviter le service militaire de deux ans, obligatoire dès 18 ans en Arménie.L’une des habituées de Zaatar Pizza boit son café arménien en terrasse. Ancienne volontaire de l’association Repat Armenia et du syndicat des Syriens arméniens, Dzovag Soghomonian a élaboré une liste de la centaine de commerces tenus par des Syriens arméniens à Erevan, depuis 2012, lorsque les combats ont éclaté à Alep. « Beaucoup d’entre eux ont changé de métier en arrivant en Arménie. Ils ont appris à devenir des entrepreneurs, à ouvrir des commerces qui correspondent aux besoins en service et en main-d’œuvre de l’Arménie : la restauration, les transports et l’habillement », détaille la Syrienne arménienne de 28 ans, originaire de Jaramana, près de Damas.
Des chants arméniens de Syrie
Comme une poignée de Syriens arméniens diplômés, lorsqu’elle est arrivée seule en 2013 à Erevan, Dzovag Soghomonian a poursuivi en parallèle de son volontariat ses études à l’Université française d’Arménie (UFAR). Les frais des universités publiques en Arménie sont les mêmes pour les Arméniens et les Syriens arméniens, grâce à une directive d’État. Dzovag Soghomonian a fait appel aux donations d’associations ou de fondations, comme l’Armenian General Benevolent Union (AGBU) pour payer ses frais, s’élevant à environ 1 500 euros.
Dans le sous-sol d’un bâtiment de la rue Abovyan, dans le centre-ville de la capitale, une cinquantaine de Syriens arméniens dînent en écoutant des chants arméniens de Syrie. Des photos de Palmyre décorent la pièce. Les longues tables du dîner de charité organisé par l’ONG Aleppo sont garnies de kebab préparés par les bénévoles. Assis parmi les convives, le directeur syrien arménien de l’association créée en 2013, Sarkis Balakhian, écoute attentivement Lieva Arabatlian, une des membres de l’association lui parler en arabe. « J’ai toujours vécu à Alep, ma famille s’y est installée après avoir fui le génocide arménien. Je n’étais jamais venue en Arménie avant d’arriver ici en 2012, à cause de la guerre en Syrie. J’ai dû tout recommencer à mon âge, avec l’aide de mes deux fils. Je ne reverrai sans doute plus jamais la Syrie », raconte Lieva Arabatlian, résolue. La Syrienne arménienne âgée de 80 ans évoque aussi le minuscule studio en centre-ville d’Erevan qu’elle partage avec ses deux fils d’une quarantaine d’années pour 150 euros par mois, un montant élevé pour sa retraite mensuelle de 40 euros.
« Quasiment tous les Syriens arméniens rencontrent des problèmes à leur arrivée dans le pays pour trouver un hébergement, un emploi et obtenir une couverture santé », s’indigne Sarkis Balakhian. L’ancien consultant organise des formations pour des centaines de migrants et de réfugiés syriens que compte l’association, en particulier pour les femmes, souvent sans qualifications et donc, plus vulnérables. Depuis cette année, l’association a aussi créé un service de traiteur pour les entreprises, géré par les femmes syriennes arméniennes.
Stéréotype positif
La plupart des nouveaux immigrants sont jeunes et non diplômés. Ils sont particulièrement concernés par le chômage qui touche plus de 18 % du marché du travail en Arménie, un taux atteignant près de 40 % chez les jeunes entre 15 et 24 ans, selon la Banque mondiale, en 2017. Une situation économique que l’État arménien souhaite transformer en attirant les investissements des émigrés d’une part et en attirant la diaspora d’autre part, y compris les Syriens arméniens. Une stratégie qui séduit la plupart des Arméniens, puisque près de 70 % d’entre eux estiment justement que les réfugiés apportent un renouveau économique et entrepreneurial à la société, selon une étude de la fondation arménienne Aurora publiée en 2017. « Les Syriens arméniens bénéficient d’un stéréotype positif largement répandu dans la société et de la part des autorités arméniennes. Leur travail est largement considéré comme de bonne qualité, en particulier en restauration et dans la réparation automobile », analyse Ana Uzelac, coauteure d’un rapport sur l’effet économique de l’intégration des Syriens arméniens publié en février 2018.
Pour leur part, les associations organisent des formations diplômantes dans les secteurs qui recrutent : le tourisme pour la fondation humanitaire suisse Kasa, la gestion par Aleppo NGO ou encore les prothèses dentaires pour le Centre de formation professionnel franco-arménien (Cepfa). Ces associations s’occupent aussi de l’intégration sociale des Syriens arméniens. Car si les aides d’État existent, elles sont peu élevées et réservées aux plus vulnérables, en raison d’un faible budget public. « Près de 7 000 Syriens arméniens bénéficient en 2018 des aides financières du UNHCR, comme l’aide au paiement du loyer ou des microcrédits », indique Anahit Hayrapetyan, chargée des relations extérieures pour l’UNHCR en Arménie.
Pour Ana Uzelac, la rapidité avec laquelle les autorités arméniennes ont octroyé la nationalité arménienne aux nouveaux arrivants ne doit pas faire oublier leurs besoins en tant que personnes vulnérables dans une économie structurellement faible : « Les Syriens arméniens sont victimes des mêmes inégalités que les Arméniens : l’absence d’assurance santé, le fort taux de chômage, le manque d’accès à la propriété », souligne-t-elle. Mais grâce à un accueil bienveillant des Arméniens, la volonté d’intégration, surtout économique, de la part des autorités et une offre diversifiée de formations de la part des associations pour trouver un emploi permet aux Syriens arméniens de trouver leur place dans la société et de diversifier son économie.
commentaires (6)
L'Arménie et les arméniens victimes d'un génocide subit en Turquie sunnite , resteront dans les cœurs des combattants pour le Juste gravés à jamais . Ils n'ont pas fait payer au monde leur souffrance , et se sont reconstruits en silence et avec détermination . Rappelons aussi un fait historique , beaucoup d'arméniens fuyant les massacres des turcs , se sont convertis à l'Alaouisme . Pour ce qui concerne le café , on a oublié de mentionner le café turque que les grecques aussi revendiquent la paternité .
FRIK-A-FRAK
13 h 31, le 01 novembre 2018