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Moyen Orient et Monde - ÉCLAIRAGE

Le gouvernement irakien naît dans la douleur

Des défis aussi nombreux qu’immenses attendent la reconstruction de l’État et du contrat social.

Le Premier ministre Adel Abdel Mahdi, lors de la première réunion de son gouvernement. Photo Reuters

Le gouvernement irakien est en marche, mais beaucoup d’embûches sont à prévoir. Jusque tard dans la nuit de mercredi à jeudi, le Parlement irakien élu il y a cinq mois débattait pour finalement accorder sa confiance au Premier ministre. L’indépendant chiite Adel Abdel Mahdi, chargé au début du mois par le président kurde Barham Saleh de former un nouveau gouvernement d’ici au 2 novembre, est issu du consensus national et de celui des deux grandes puissances rivales présentes en Irak, les États-Unis et l’Iran. Son gouvernement devra compter vingt-deux ministres, mais seuls 14 ont été intronisés hier.

Certains des candidats de M. Abdel Mahdi ont buté sur l’opposition de nombreux parlementaires. Le désormais ex-Premier ministre Haïder al-Abadi a souhaité à son successeur et à son gouvernement « tout le succès possible dans leur tâche de servir et réaliser les aspirations d’un avenir meilleur du peuple irakien », dans un tweet hier matin. Les 220 députés présents sur un total de 329 ont fixé la date du prochain vote de confiance au 6 novembre prochain, a déclaré le chef du législatif, le sunnite Mohammad al-Halbousi, accordant dix jours de plus pour les tractations en cours concernant le reste des huit ministères à pourvoir. Les portefeuilles-clés de la Défense et de l’Intérieur, cruciaux pour ce pays qui sort de quatre années de guerre contre l’État islamique et d’autres groupes jihadistes, n’ont notamment pas été attribués, n’ayant pas été soumis au vote de l’Assemblée à cause des divergences profondes au sein du Parlement. Les blocs chiites du clerc Moqtada Sadr (Saïroun) et de M. Abadi (Nasr) ainsi que le bloc formé par les partis sunnites ont quitté l’enceinte avant que le vote pour les huit autres ministères ne puisse avoir lieu. « Nous avons décidé de nous retirer de la session, car nous ne sommes pas satisfaits du reste des candidats au cabinet », a déclaré le député Ali Sined, du bloc Nasr, avant d’ajouter qu’il était « suffisant d’approuver 14 ministres ».


(Lire aussi : En Irak, on postule pour devenir ministre)


Prévarications

Le nouveau gouvernement fait face à d’immenses défis pour le retour à la sécurité et la paix sociale : la reconstruction des institutions et le recouvrement de l’autorité de l’État sur tout le territoire, la reconstruction des infrastructures d’une grande partie du pays, la poursuite de l’effort de stabilisation alors que l’EI ne tient plus de territoire, mais conserve un pouvoir de nuisance et mène régulièrement des attaques, et l’apaisement des tensions ethniques et religieuses. Tout cela en maintenant un équilibre diplomatique entre les États-Unis et l’Iran, les deux principaux alliés de Bagdad qui sont aussi ennemis jurés, mais qui semblent trouver un modus vivendi dans ce pays, dans la mesure où il faut assurer une certaine stabilité requise pour des intérêts économiques et géopolitiques divergents. Ce retour à la sécurité est une question brûlante pour les plus de 8 millions d’Irakiens en besoin d’aide humanitaire et les 2 millions toujours déplacés, selon les derniers chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH ou OCHA) de l’ONU, qui assurent ne pas pouvoir rentrer chez eux de peur d’y trouver des jihadistes ou des zones entières toujours en ruine. Le gouvernement Abdel Mahdi devra également s’attaquer à plusieurs fléaux qui ont suscité des manifestations ayant dégénéré en violences meurtrières : la prévarication dans un des pays les plus corrompus au monde, les pénuries d’électricité et la déliquescence des services publics. Durant l’été dernier, 100 000 personnes ont été hospitalisées pour des intoxications à l’eau dans la province pétrolière de Bassora (Sud), à majorité chiite et théâtre d’émeutes qui ont culminé avec l’incendie volontaire du consulat iranien en septembre. Le gouvernement a en outre la lourde tâche d’apaiser les relations avec le Kurdistan irakien qui, il y a un an, votait massivement pour la sécession. Ce référendum dénoncé par Bagdad et la communauté internationale a déclenché une série de représailles, militairement limitées mais économiquement consistantes, de la part de Bagdad.


(Lire aussi : Adel Abdel Mahdi, candidat du consensus)


Technocrates et conciliations

Le Premier ministre de consensus a donc du pain sur la planche, et devra tenter de régler ces dossiers tout en maintenant une neutralité déterminante envers tous les acteurs. Cet économiste de 76 ans, qui avait permis des candidatures en ligne pour les postes ministériels dans son cabinet ces dernières semaines, est perçu comme capable de relever les défis. « C’est un homme compétent, vu comme un technocrate et un indépendant. Il peut jouer un rôle très positif pour la construction de la nation », estime Joost Hiltermann, directeur Moyen-Orient de l’ONG International Crisis Group, pour le journal Le Monde, rappelant néanmoins que « n’importe qui à sa place aurait grand mal à corriger les écueils de l’Irak post-2003 ».

Cette réputation de conciliateur apparaît dans l’identité des membres de son gouvernement. La nomination de Fouad Hussein, candidat kurde malheureux à la présidence de la République début octobre et proche de Massoud Barzani, architecte du référendum d’indépendance, au ministère des Finances, est un signal fort envoyé à la région autonome du Kurdistan. En grave crise économique malgré ses ressources pétrolières, elle est en conflit ouvert avec Bagdad sur la part du budget fédéral qui lui revient. Le portefeuille du ministère du Pétrole, qui est l’unique source de devises du pays, a été attribué à Thamer al-Ghadbane, qui a déjà occupé ce poste de 2004 à 2005, au lendemain de l’invasion américaine. Pour l’Électricité, un poste à risque pour lequel aucun ministre n’est jusqu’ici allé jusqu’au bout de son mandat, M. Abdel Mahdi a choisi Louaï al-Khatib, un chercheur reconnu dans le domaine des énergies. Et pour les Affaires étrangères, M. Abdel Mahdi a porté son choix sur Mohammad Ali Hakim, un ancien ambassadeur de l’Irak à l’ONU, actuellement cadre d’une agence onusienne pour le développement.

Comme pour rassurer les Irakiens de sa capacité à relever les défis du pays, le gouvernement incomplet s’est réuni hier, quelques heures après le vote de confiance, dans un ancien complexe du Parlement de l’époque de Saddam Hussein qui se trouve à l’extérieur de la zone verte du centre de Bagdad. Tenir la première réunion du tout jeune cabinet et la première réunion d’un gouvernement irakien depuis 2003 à l’extérieur de l’enclave hérissée de béton, de barbelés et de points de contrôle infranchissables pour la quasi-totalité des Irakiens, et où se trouvent les ambassades britannique et américaine, est hautement symbolique et envoie un message fort de proximité et de souveraineté au peuple irakien. Mais le souci de compromis dans un contexte factieux et la rivalité irano-américaine dans le pays, ainsi que l’immensité des défis à relever, rendent la marche entamée du cabinet d’Abdel Mahdi laborieuse.


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