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Moyen Orient et Monde - Reportage

La grande inquiétude des réfugiés syriens en Turquie

Bien accueillis au début de la guerre, les Syriens ont parfois l’impression de servir de boucs émissaires.

Des enfants syriens réfugiés dans le camp d’Elbeyli à Kilis en Turquie, en décembre 2016. Umit Bektas/Reuters

Dans un salon de thé du quartier de Fatih, parfois surnommé « le petit Damas » à cause du nombre important de réfugiés syriens installés dans ce vieux district de la rive européenne d’Istanbul, Ajna, une Syrienne de 29 ans, arrivée en Turquie fin 2015, exprime ses craintes. Après trois années passées dans la capitale économique turque, où elle a réussi à prendre ses marques, sa situation reste fragile. Car si Ajna est bien enregistrée auprès des autorités turques en tant que réfugiée, elle ne dispose pas pour l’instant d’un titre de séjour permanent. « Si le gouvernement turc décide du jour au lendemain de me renvoyer en Syrie, je ne pourrai pas protester », explique-t-elle, préoccupée. « Au début, je détestais vivre en Turquie. Aujourd’hui, je travaille comme traductrice pour un journal syrien basé à Istanbul, j’ai mon propre appartement, et, surtout, je me sens plus en sécurité ici qu’en Syrie. J’ai même commencé à apprendre le turc ! » dit la jeune femme.Ce qui inquiète Ajna et tant d’autres Syriens exilés en Turquie, ce sont les récentes déclarations du président Recep Tayyip Erdogan, notamment lors des élections présidentielles du printemps dernier. Dans ses discours de campagne, le président turc a répété à l’envi son intention de créer une zone sécurisée en Syrie afin de « faciliter le retour chez eux de tous nos invités ». Longtemps favorable à l’accueil des réfugiés syriens dans son pays, voire à leur naturalisation, Recep Tayyip Erdogan semble désormais pressé de pousser les presque quatre millions de Syriens vers la sortie. Un rétropédalage qui n’étonne pas Lami Tokuzlu, professeur de droit à l’Université de Bilgi et spécialiste des migrations : « Le discours d’Erdogan fluctue en fonction de la conjoncture politique. Or, une partie de la population turque, et donc de l’électorat, est de plus en plus opposée à la présence des réfugiés en Turquie. »


(Pour mémoire : La Turquie a cessé d'enregistrer de nouveaux réfugiés syriens, selon HRW)


« Pas le moindre centime »

Magasins syriens saccagés, propriétaires refusant de louer des appartements à des étrangers, difficultés à obtenir un prêt ou même à ouvrir un compte en banque, réflexions racistes... Ces derniers mois, les tensions communautaires se multiplient. « Au départ, les Turcs ont été plutôt accueillants car ils pensaient que les Syriens n’avaient pas vocation à rester ici durablement, analyse Lami Tokuzlu. Mais c’était sans compter l’enlisement du conflit en Syrie. Et puis, il ne faut pas oublier que beaucoup d’événements ont eu lieu en Turquie ces deux dernières années. La tentative de coup d’État, le régime d’état d’urgence, la chute de la monnaie et l’inflation, l’augmentation du chômage... Tout cela a contribué à créer du ressentiment à l’égard des migrants », ajoute-t-il. Dans un contexte de crise économique, les réfugiés syriens ont parfois l’impression de servir de boucs émissaires. « J’entends souvent dire que les Syriens reçoivent beaucoup d’argent de la part du gouvernement et qu’ils sont plus aidés que les Turcs eux-mêmes. C’est faux, je n’ai jamais touché le moindre centime, s’emporte Ajna. Je ne suis pas une migrante économique, je suis une rescapée de la guerre ! »

Guerre ou pas, la Turquie refuse désormais d’accueillir de nouveaux migrants sur son sol et a officiellement fermé sa frontière avec la Syrie. La perspective d’un assaut des forces gouvernementales de Bachar el-Assad contre la ville d’Idleb fait craindre aux autorités turques un afflux massif de réfugiés. En attendant, le robinet d’entrée a été coupé. « Cette année, nous n’avons presque pas enregistré de nouvelles arrivées, explique un membre de l’ONG Small Project Istanbul, qui a requis l'anonymat. Nous sommes très loin de la grande vague migratoire de 2014 et 2015. » Pour SPI, qui prend en charge environ 300 familles syriennes, la priorité reste l’intégration, à travers notamment des ateliers de fabrication de bijoux et des cours de langue. « Bien sûr, beaucoup de gens nous disent qu’ils aimeraient rentrer en Syrie à plus ou moins long terme, reprend-il. Mais, pour l’heure, ils doivent surtout penser à se reconstruire une vie en Turquie », poursuit-il.

Un avis que partage Hisham, un Syrien de 41 ans, installé depuis quelques mois à Gaziantep, dans le sud du pays. « Je me démène pour trouver un emploi mais c’est compliqué car les employeurs préfèrent embaucher des citoyens turcs ou des réfugiés avec un permis de travail », déplore celui qui a réussi à entrer illégalement en Turquie après neuf tentatives infructueuses. Quand on lui parle d’un potentiel retour en Syrie, ce père d’un petit garçon d’un an préfère botter en touche : « Je ne pense pas que la situation puisse s’améliorer de sitôt. Et même si la guerre s’arrête un jour, je n’aurai nulle part où aller, car le régime a pris ma maison. Quand je pense au futur, cela me rend malade. »


Pour mémoire 

En Turquie, tensions croissantes dans la "petite Syrie"


Dans un salon de thé du quartier de Fatih, parfois surnommé « le petit Damas » à cause du nombre important de réfugiés syriens installés dans ce vieux district de la rive européenne d’Istanbul, Ajna, une Syrienne de 29 ans, arrivée en Turquie fin 2015, exprime ses craintes. Après trois années passées dans la capitale économique turque, où elle a réussi à prendre ses...

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