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Nos Lecteurs ont la Parole - par Sissi BABA

Le Liban au bois dormant

Dans les « il était une fois » des bois européens, même des montagnes libanaises bien tissées par les Rahbani, le mal s’empare du héros, suçant jusqu’au bout la sève fraîche de sa vie pour tenter de transformer la fleur en cendres.

Parce qu’on est très loin des notions grecques, de leurs tragédies qui, pour nous, n’ont plus rien à voir avec nos foisonnantes tragédies quotidiennes… Parce qu’on est loin d’Œdipe qui s’est autopuni après avoir commis l’erreur, on est là où l’on est, prisonniers des longues péripéties d’un conte. Pas d’élément résolveur, voire salvateur. Pas de Christ, pas de Dieu dans cette terre qui les louent jusqu’au fanatisme. Peut-être parce qu’on est devenu le Christ. Le chemin est encore très long, les ronces écorchent le front saignant, la sorcière n’a pas encore fini d’enfoncer ses ongles dans le cœur de la Belle, la Belle que tout le monde aime et qui est réputée aussi bien pour sa beauté que pour son sort pitoyable, la Belle qu’on appelle le Liban.

Mais elle a quelque chose d’étrange cette Belle. Elle n’est ni dans l’attente du Prince sauveur, ni dans l’autosecours, on dirait qu’elle a perdu sa foi. Elle continue pourtant à prier – superficiellement, bien sûr, par snobisme ou par racisme. Elle est déroutée, frustrée, désespérée, c’est qu’elle a perdu sa voie. Ne sachant pas comment s’exprimer, on a réussi à lui faire entendre qu’elle n’a pas de voix. Et elle est toujours là, la Belle, jetée au cœur des bois, à pleurnicher sans voix, sans prendre la peine d’essuyer les larmes qui coulent sur ses joues pâles – des larmes roses qui se mêlent aux gouttes du front saignant.

On la chasse malgré elle de son palais qu’elle finit par oublier que sa terre est la sienne. On lui hôte ses fortunes, elle se contente du soleil chauffant ou du visage de la pleine lune. On lui hôte ses habits, elle ne dit rien. On la viole, elle ne fait rien. Étrange, cette Belle… elle est forte par sa faiblesse, mais est-ce que sa faiblesse la rend forte ?

La voici maintenant dans les bois, sans abri ni habits. Pas d’épée ni de petit canif pour se protéger. Pas de fruits ni d’eau douce pour se nourrir. C’est que les bois ont échangé depuis longtemps leurs feuilles pour les ronces. Les seuls fruits qui poussent désormais sont d’un juteux poison, et l’eau sent la morue et les cadavres d’animaux. Rien n’a plus de vie, sauf cette Belle qui, étrangement, continue à survivre.

Plus que passive, elle est inquiétante : elle ne pense plus aux révoltes qui ont bouleversé la terre et basculé les régimes. Elle ne pense pas à punir la sorcière, son horrible marâtre qui se prend pour « la mère de tous », qui est vieille et se prend pour jeune, qui est illettrée et pense être capable de promouvoir des projets éducatifs même artistiques, qui pense être capable de jouer aux échecs et qu’elle est digne de la cour des grands alors qu’elle est « grande », voire gonflée uniquement dans son royaume, petite, dégonflée de sa prétention et de sa corruption ailleurs où on la voit pour ce qu’elle est, une laide vieille aux ongles vert-vomis, à la voix rauque et qui ne sait ni bien parler ni bien écrire, c’est qu’elle ne sait pas réfléchir. Elle ne sait même pas prier. Dépourvue de toute valeur, elle n’a pas de cœur. Mais elle a une petite tête de petit pois qui, avec l’aide de sa potion magique, a pu tromper la Belle. Elle a réussi à la rendre misérable, à lui faire penser qu’elle est uniquement digne de laver les cochons et nourrir les poules. Elle a réussi à lui faire entendre qu’une vie – qui n’est pas d’ailleurs une vie – est plus que suffisante pour elle, alors que la sorcière, venue du rang de populace, se parfume comme les rois, mange comme les empereurs et vit comme les tsars. Elle s’empare même de quatre géants chars pour voyager et fréquenter le beau monde, comme si elle pouvait en faire partie. Mais quoique le parfum soit fort, il ne saurait estomper la pourriture qui émane de cette lâche marâtre. Comment une vermine a pu tromper la Belle… comment la Belle a pu croire en une vermine ?

La voilà, du haut de son trône du haut de son palais, guettant la Belle qui dort. Moment propice pour tout prendre puis inviter les loups d’autres royaumes à venir violer ce qui reste. Mais qu’est-ce qui restera ? La Belle ? Peut-être. Seule. Sans amis, ni oiseaux qui ont été d’ailleurs violemment chassés, ni moutons, violemment massacrés, ni nature, violemment empoisonnée. La Belle qui dort désormais sera à nouveau livrée aux servants de la sorcière qui vont la violemment violer. Étrange, cette Belle que j’appellerai plutôt Justine, elle ne fait que subir les infortunes d’une vertu trop vertueuse. Devant tant de vice, ne faut-il pas, au moins, gifler le violeur ? Ne faudrait-il pas bouger, agir – pleurer, certes ! mais en criant ? ne faudrait-il pas se souvenir du passé ? De se reconnaître en fin de compte, comme dans tous les contes ? De se rappeler ses origines, se souvenir que cette pauvre Belle est en fait la véritable princesse pleine de bonté et d’intelligence, qui lit et écrit et qui mérite tous les mérites du monde ? Pour quand la reconnaissance, la redécouverte de soi et du passé plein de sagesse et de noblesse? Pour quand la bataille finale qu’elle affrontera finalement face au dragon noir dont toute épée et toute guillotine ne sauront faire justice à son cou ?

Au clair de la lune, la Belle saignante dort dans ce qui reste du bois. Quoique le conte dure, le réveil tarde mais il vient, car un conte est finalement destiné au bien, et tout est bien qui finit bien !

Dans les « il était une fois » des bois européens, même des montagnes libanaises bien tissées par les Rahbani, le mal s’empare du héros, suçant jusqu’au bout la sève fraîche de sa vie pour tenter de transformer la fleur en cendres. Parce qu’on est très loin des notions grecques, de leurs tragédies qui, pour nous, n’ont plus rien à voir avec nos foisonnantes...

commentaires (2)

touchante verite.merci

Helou Helou

16 h 44, le 17 octobre 2018

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Commentaires (2)

  • touchante verite.merci

    Helou Helou

    16 h 44, le 17 octobre 2018

  • Cet article me rappelle notre fameux Maroun Aboud qui dans une de ses histoires du terroir qu'il nous avait légué : un père et un fils entrain de prier le rosaire entendent du bruit. Ils mettent leurs rosaires entre les dents pour marquer le je-vous-salut atteint, et s'en allèrent tirer sur la source du bruit. Puis après avoir dérober cet étranger tué, ils s'en vont finir de réciter le rosaire en attendant une nouvelle victime... Que de prieurs de tout bord dans notre cher Liban et que de victimes... Rien n'est nouveau sous le soleil...

    Wlek Sanferlou

    00 h 04, le 10 octobre 2018

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