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Culture - Rencontre

L’heure de la libération a-t-elle vraiment sonné ?

La cinéaste Heiny Srour était présente au Liban pour présenter son film « L’heure de la libération a sonné », tourné en 1971, qui clôturait le Festival du film libanais. Rencontre avec une féministe avant-gardiste.

Fawaz Traboulsi présente Heiny Srour lors de la clôture du Festival du film libanais. Photo DR

Heiny Srour parle à grands gestes tout en émaillant ses propos de plaisanteries. Elle est contente de retourner au Liban pour présenter son film aux Libanais. Première femme du tiers-monde à avoir eu son film sélectionné au Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique et distribué internationalement, la cinéaste n’a pas eu cependant le plaisir de le projeter dans les salles arabes, sauf clandestinement dans le cadre d’un ciné-club au Liban. Aujourd’hui, Heiny Srour tient sa revanche. Non seulement L’heure de la libération a sonné fait l’objet de la clôture au Festival du film libanais, mais auparavant il a été le premier film d’une femme arabe à être sélectionné pour restauration par la cinémathèque française. À ce grand privilège s’était ajouté un autre, le Centre national du cinéma français lui ayant accordé proportionnellement quatre fois plus d’argent qu’au film d’Alain Resnais, pour financer une restauration numérique.


Entre la plume et la caméra

Heiny Srour est d’abord une femme de lettres, une journaliste (qui a travaillé à L’Orient-Le Jour, confie-t-elle). Ayant grandi au Liban, elle quitte le pays du Cèdre dans les années 70 pour entreprendre son doctorat en anthropologie sociale à la Sorbonne. Intéressée par le problème des femmes et leur statut social, surtout dans le monde arabe, et soutenue par son professeur Jean Rouch, elle se fixe comme objectif premier de sauver les rituels disparus des sociétés primitives. Très vite, le reportage dans le monde arabe la séduit, mais elle réalise aussitôt que les chefs ou politiciens de la région refusent de débattre de ce sujet. « De plus, si les femmes libanaises donnaient l’impression d’être plus délurées et de porter la minijupe, à cette époque-là ce n’était que du vernis. Il fallait chercher au bas de l’échelle de la société pour voir combien elles étaient opprimées par le père, le frère, le chef de tribu ou de clan. Les crimes d’honneur étaient nombreux, mais non dénombrés par l’État », signale-t-elle. Devant le mutisme des gouvernants, elle décide de troquer la plume contre une caméra et de faire du cinéma. « C’est surtout le 8 et 1/2 de Fellini qui m’a convaincue de choisir cette voie », avoue-t-elle.

L’heure de la libération a sonné est un titre prémonitoire et visionnaire. Tourné au plus profond de l’ex-« Zone libérée » du Dhofar, dans le sultanat d’Oman, et dans des conditions difficiles (parfois 800 km parcourus à pied avec matériel sur le dos, sous les bombardements de la Royal Air Force), dans un pays désertique, montagneux et sans routes, il est l’œuvre d’une femme engagée et forte qui avoue cependant avoir souvent eu peur. Épaulée par une équipe héroïque : l’ingénieur du son Jean-Louis Ughetto portait à l’épaule un Nagra de 12 kg et le cameraman Michel Humeau une caméra synchrone de 10 kg, la réalisatrice s’est faite la voix de ceux qui n’en ont pas. De plus, elle a réussi à montrer qu’à cette époque un mouvement arabe pouvait être démocratique, féministe et libéral. Son film a une valeur patrimoniale. Car l’armée populaire de libération du Dhofar n’a pas fait que libérer à cette époque le tiers du territoire omanais, elle a pu construire, entre autres, la première route du pays, la première ferme-pilote, le premier hôpital et a pratiqué la discrimination positive envers la femme, 30 ans avant l’Occident.

Filmé en 1971 et achevé en 1974 par manque d’argent, L’heure de la libération a sonné est considéré à l’avant-garde d’une libération de l’image féminine à travers le monde. Acclamé par la presse et le monde académique occidental, il demeure un outil précieux et le miroir d’une société à devenir. Un témoignage d’actualité. À ce propos, Roy Armes, docteur ès lettres, professeur émérite à la Middlesex University de Londres avec une vingtaine de livres sur le cinéma à son actif dira : « S’il fut jamais eu un moment pour réintroduire cette œuvre à une audience jeune et nouvelle, paralysée par le printemps arabe qu’elle vient de vivre, le moment est sûrement maintenant. »

Heiny Srour parle à grands gestes tout en émaillant ses propos de plaisanteries. Elle est contente de retourner au Liban pour présenter son film aux Libanais. Première femme du tiers-monde à avoir eu son film sélectionné au Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique et distribué internationalement, la cinéaste n’a pas eu cependant le plaisir de le projeter dans les...

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